Jeg elsker deg, Eva

 

« Ce que tous doivent faire ne sera jamais fait »

Proverbe norvégien

 

Puisque vous aimez tant que je dise du mal de Sarkozy, je vais dire du bien d’Eva Joly. Pas la peine de pousser les hauts cris pour dire que je fais de la propagande électorale: d’une part je ne vote plus depuis 2002, d’autre part j’espère pour ma copine Eva qu’elle ne sera jamais élue à quoi que ce soit, parce qu’elle mérite bien mieux qu’un destin politique qui est à la vie ce que Dominique Bijotat est au football, c’est à dire une erreur de parcours.

Eva Joly cumule plusieurs handicaps pour une candidate à la présidentielle: tout d’abord elle est une femme. Quoique qu’elle ne l’ait pas choisi, nous sommes dans un pays qui tire son nom des Francs (terme qui étymologiquement ne vient pas de « libre » comme voudraient le faire accroire nos geôliers, mais d’une arme totémique proche du javelot, symbole éminnement phallique en psychanalyse de comptoir, dont l’origine est attestée en vieux norrois, la langue des ancêtres de notre copine Eva), Francs qui ont inventé la loi salique. A cette glorieuse époque, quand le royaume échoyait à une femme, on disait qu’il tombait en quenouille, du nom du fuseau utilisé pour la couture, et c’était une catastrophe pire que Fukushima et la perte du triple A réunis, attendu que les femmes ne savent rien gouverner d’autre que le lave-vaisselle et l’aspirateur.

Aujourd’hui, le prêt-à-porter a remplacé la quenouille, et le pouvoir part plutôt en couille, ce qui est moins commode pour tisser des frusques. Mais il est fort probable que les Etats-Unis auront un président noir avant qu’une femme n’accède au pouvoir dans l’Hexagone, qui a toujours six angles et quatre coins pour nombre de journalistes, ce qui ne laisse de m’étonner. Reste que les mêmes scribaillons qui manipulent le cliché comme Michel Denisot la brosse à reluire ramènent un peu moins leur museau face à un Mélenchon qui braille plus fort qu’eux que contre notre malheureuse candidate qui tente d’avoir un discours cohérent. Bande de pleutres.

Deuxième inconvénient dans un concours où il faut « communiquer », Eva Joly a un accent encore plus marqué qu’un péquenot jamais sorti de Sarreguemines. Des sommités intellectuelles comme Jean-François Copé et Patrick Besson se sont sentis autorisés à juger de l’appartenance nationale et de la justesse du propos de notre copine en fonction de sa prononciation teintée de Nynorsk. Pauvres, misérables incultes, vous ne méritez rien mieux que la médiocrité où vous vous vautrez avec une allégresse qui n’a d’égale que la vacuité de votre pensée. Moi qui parle le français le plus pur de ce côté-ci de la Loire, je n’ai aucune vergogne à affirmer que j’aime, que j’adore, que je goûte une joie sans mélange quand j’entends notre langue torturée par un accent pas franchement allogène, et d’ailleurs sans ces intrusions extranationales, on parlerait toujours le bas-latin de caniveau ou un dialecte celtique de taverne, et Verlaine et Baudelaire feraient moins les malins. Digressons, et insistons sur le fait que ce soit hors de propos quand on parle de politique, mais un accent exotique est infiniment plus émoustillant que n’importe quelle pub où le produit se cache derrière une naïade, quand bien même ce serait Natalie Portman, et qu’une diphtongue inaccessible à une non-gauloise peut transformer une gourgandine ordinaire en promesse de bonheur irisée de mille feux d’artifices sensuels qui feraient passer DSK pour un cénobite rigoriste. Fin de digression.

Troisième problème pour Eva Joly, elle est intègre, et en politique ce n’est pas une mince entrave. Quand je dis intègre, il ne faut pas seulement comprendre qu’elle n’a aucun de ses anciens collègues de Cour sur le paletot, mais elle est simplement trop honnête pour faire de la politique. Honnête avec elle-même tout d’abord, ce qui est la moindre des choses. Elle représente une idée, l’écologie, dont aucun de ses adversaires ne se soucie sans arrières-pensées. Elle fut une juge courageuse, récompensée pour son intégrité, a conseillé les gouvernements norvégien et islandais dans le cadre de la lutte contre la corruption et la délinquance financière (cependant que le tout petit père des peuples dépénalisait le droit des affaires), elle a soutenu Denis Robert lors de ses démélés dans l’affaire Clearstream, je ne cite pas l’intégralité de son CV, mais aucun autre candidat ne peut se targuer d’en avoir fait autant. Et pis que tout, elle est peu interessée par le pouvoir mais beaucoup plus par un programme, ce qui est aujourd’hui une insulte à une campagne indigne de ce nom.

Enfin, le plus gros handicap d’Eva Joly dans le scrutin à venir c’est son parti. Pourtant j’aimais bien les Verts, c’était bordélique et vivant, un vrai laboratoire à faire de la politique neuve. Puis le parti se trouva fort dépourvu quand la bise fut venue, et on se proposa même de présenter  un marchand de shampooings aux noms exotiques qui faisait de la télé poubelle avec l’argent des chimistes pour sauver la Terre. Lequel margoulin s’est fait étriller par Eva (ce qui prouve qu’on ne peut pas plus faire confiance aux électeus qu’aux sondeurs), et qui depuis traîne sa rancoeur, bien aidé par Mamère et Cohn Bendit. L’accord électoral avec le PS devrait avoir aidé Eva Joly à comprendre que la politique est assez loin du débat d’idée qu’on nous présente comme la panacée de la vie démocratique. Et quand on s’est fait enfler dans les grandes largeurs comme ça, soutenu à la petite semaine par les aigris du parti (qu’ils se soient fait latter dans une précédente élection ou qu’ils n’aient pas le courage d’y aller eux-même), on comprend que la fermeture des centrales nucléaires et le bio à tous les repas c’est pour un avenir aussi proche que le plein-emploi.

Aussi, madame Joly, vous invité-je sitôt la campagne électorale terminée, à laisser derrière vous cette basse politique qui ne vous mérite pas. Le pouvoir salit tout ce(ux) qu’il touche, et on vous accusera de tous les maux alors que vous êtes sans doute l’une des seules à ne pas vouloir donner l’illusion d’une révolution menée par des ovidés enivrés des idées de leurs bergers.

Venez en République Messine, et ensemble nous bouterons le pollueur, l’esclavagiste, le tripoteur d’atomes, le douanier, le banquier, le phallocrate paternaliste, l’académicien coincé du phonème, le crétin qui pense que l’écologie est punitive alors qu’elle pourrait être art de vivre, et tous les empêcheurs de vivre bien et bon par delà les frontières d’un monde sans frontières.

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