Plutôt l’apéro avec Besancenot que facho comme Morano.

 

« Que les citoyens donnent plus facilement leur vie que leur argent, voila un paradoxe assez fort »

Alain.

 

On vit vraiment dans un pays bizarre. Les Français ont la réputation plus ou moins justifiée d’être le peuple le plus politisé du monde, en plus d’avoir soixante millions de sélectionneurs d’équipe de France de foot (certes, c’est très injurieux pour toux ceux qui s’en cognent le tambourin, mais si l’on n’utilise pas assez souvent des clichés journalistiques, ils s’usent et risque d’être remplacés par des poncifs encore plus bêtes. Alors allons-y gaiement); et au nom de la sacro-sainte objectivité, on vire sans ménagement une journaliste qui partage sa vie avec un ministre, alors que le Figaro se touche devant tout le monde en pensant à Sarkozy, Morano et Le Pen. Tu vois la différence entre les trois, toi? Moi non, mais on y reviendra. Et à titre personnel, je trouve que « le peuple le plus politisé du monde » se contente vraiment de peu.

La Vème république est-elle même issue d’un paradoxe: elle a été taillée sur mesure pour un général qui se disait trop vieux pour être dictateur, sans quoi que serait-il advenu, qui ne cachait pas une petite admiration pour Mussolini, et qui a dû composer, au Conseil National de la Résistance, avec ces salauds de gauchistes qui tenaient absolument à fonder une caisse de Sécurité Sociale (avis aux derniers gaullistes qui croient que c’est De Gaulle qui a eu l’idée de mettre du social dans sa droite). De même, après De Gaulle, le premier président élu sous une étiquette de gauche était une vieille fouine ornée de la Francisque dont le livre de chevet était le traité d’hypocrisie de Machiavel, et le président de droite qui a gouverné le plus longtemps était un grand échalas qui dans sa jeunesse distribuait l’Huma, signait l’appel de Stockholm, se passionnait pour l’art asiatique et les « arts premiers », tout en développant une ouïe et un odorat magiques qui lui permettraient plus tard de distinguer les Français des imbéciles qui ne l’étaient pas.

Puis en 2007 est advenue la rupture, et la droite a décidé de se décomplexer et d’abandonner ses antiques pudeurs de jouvencelles gaullistes, en étant farouchement, férocement et brutalement de droite. Ceessez-le-feu dans les paradoxes. On peut penser tout le mal que l’on veut de Sarkozy, mais il faut lui accorder le crédit d’avoir rétabli une démarcation dans le jeu politique, à une époque où tout le monde, même à gauche, devait avoir la bouche pleine d’ordre et de Nation sous peine de subir le soupçon d’émettre d’odieuses dissonances et d’insoutenables fragrances venues de l’étranger. Car si être français, ça se mérite, c’est bien que les étrangers sont nuls, comme le soutenait la chronique de Pierre Desproges. Las, la droite, en dépit de cinq ans de méritoires efforts d’arrogance et de mépris à l’endroit d’à peu près tout le monde, n’a pas complètement réussi à tuer le père gaullien. Elle se sentait encore obligée, quand on la prenait les doigts dans la confiture l’Oréal ou quand elle prenait une mesure impopulaire, de se fendre d’un petit mensonge sur la générosité de Mamie Zinzin, sur l’ignorance du propriétaire de la piscine où Copé et Hortefeux font trempette comme d’autres font du squatt, ou sur la malédiction des Mayas qui se concrétisera plus tôt que prévu si on n’empile pas les plans de rigueur.

Enfin, en 2012, est venue la présidentielle. Sarkozy, sentant la fin arriver, se jette sans vergogne dans une campagne sévèrement de droite, pendant qu’Hollande se cramponne gentiment à son créneau d’extrême-centre. Abrégeons, après la pluie le beau temps, sauf en Moselle ou après la pluie c’est la pluie, et après la présidentielle les législatives. Nadine Morano est la première à faire son Oedipe (enfin on dit plutôt complexe d’Electre quand on est à cheval sur les questions de genre, mais je ne fais pas d’équitation sur les principes). Comme son mentor, elle appelle le FN au secours pour sauver sa circonscription. Elle soutient dans Minute que si le Front National n’est pas interdit, c’est qu’il n’est pas si méchant que ça (ce n’est pourtant pas faute d’avoir signé des pétitions et d’avoir manifesté pour son interdiction). De même, elle se défend de sa crise de fascisme aigüe en affirmant que le PS ne se gêne pas pour faire alliance avec l’extrême-gauche, comme si la politique était un cercle où tout se rejoint. Ce faisant, elle réactive une idée que l’on doit s’empresser d’étouffer avant qu’elle ne revienne à la mode. Si une bonne partie de l’UMP a fait son coming-out et a révélé ce qu’est vraiment la droite, la gauche dans sa version socialiste en est encore loin, impregnée de son souci d’être gestionnaire plutôt que révolutionnaire.

Dès lors, on peut considérer il n’y a pas l’extrême-droite, la droite, le centre, la gauche et l’extrême-gauche, mais simplement la gauche et la droite, et au milieu, la majorité de ceux qui ont fait de la politique leur métier, qui marivaudent au centre en s’échangeant des concepts plus ou moins éculés et en évitant soigneusement d’être créatifs. Le travail de la droite est plus simple: c’est une oeuvre dogmatique de destruction, de réaction et d’élitisme qui considère que l’inégalité est naturelle, qui considère la vie comme une compétition juste parce qu’elle n’a rien entravé à Darwin. De son côté, la gauche a du pain sur la planche: elle veut créer les conditions permettant à chacun d’exercer sa liberté, veut la promotion de l’égalité des droits, de l’accès à l’éducation et à la santé, et n’oppose pas la culture à la nature. Tout cela restera bien sûr très théorique, car ce qu’on appelle aujourd’hui l’extrême gauche peine à se défaire de son corpus doctrinal, de sa martyrologie, et de sa tendance à penser qu’un « autre monde est possible », alors qu’il n’y a qu’un seul monde et que c’est nous qui devons changer. Reste que nombre d’organisations « gauchistes » sont un formidable réservoir d’idées que le PS comprendra dans trente ans en prétendant les avoir inventé, comme pour la taxe Tobin.

Benoît Hamon considère ainsi que la première mission de son gouvernement est de remettre au goût du jour dans l’esprit des électeurs l’idée selon laquelle la politique peut changer la vie (c’est dire avec quelle conviction il pense que son patron a été élu sur la foi de son programme). On lui rétorquera que ces cinq dernières années, on a bien remarqué que la vie changeait, et que la politique n’y avait pas peu contribué. Et on ajoutera que changer la vie, c’est un peu autre chose que 2% d’augmentation du SMIC et un hypothétique accord sur la croissance pour encore, toujours et perpétuellement consommer.

Et les apparents paradoxes continuent de pleuvoir, mais ils nous étonnent moins: la petite fille Le Pen pourrait devenir députée parce qu’une candidate socialiste refuse de se retirer, en Charente-Maritime Olivier Falorni qui est un hollandiste fervent pourrait se qualifier avec les voix de l’UMP, et la majorité absolue à l’Assemblée étant pratiquement acquise, le PS va pouvoir laisser crever ses alliés en attendant de re-mendier leur soutien dans cinq ans, car le Président normal est avant tout un politicien normal.

Bref, plutôt l’apéro avec Besancenot que les valses facho avec Morano.

 

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