Rock not dead

 

« Jens, qu’est-ce que tu penses de la situation actuelle du rock n’ roll? »

Thurston Moore, Sonic Youth in « 1991, the Year Punk Broke »

 » A l’époque, j’étais accro à l’héroïne et je buvais plus d’un litre de vodka par jour. Vous savez, ces trucs qu’on donne à Johnny Halliday »

Anton Newcombe, The Brian Jonestown Massacre

 

L’été entre dans son dernier tiers, et comme c’est aussi la saison des festivals, mettons-nous à la place du petit Jens qui ne sut que répondre à l’illustre frontman de Sonic Youth: qu’en est-il du rock n’roll de nos jours? Je me pose la question, parce qu’outre la transhumance festivalière de saison, se sont produits cette semaine ou la semaine dernière des évènements qui laissent à penser. Ne m’emmerdez pas avec la date précise: je m’en fous, il fait trop chaud et inconsolable depuis la mort de M. Ricard, je vis dans la crainte que la boîte ne soit rachetée par des Chinois ou des Qataris indélicats qui ne manqueront pas de faire fabriquer des ersatz de vodka avec du liquide lave-vitres par des enfants exploités qui n’en laisseront pas même une goutte pour se consoler de leur dur labeur Ah salauds d’enfants exploités et alcooliques, salauds de Chinois qataris, et salope de mort qui s’empare d’un héros national au lieu de s’en prendre à ces enfoirés de marchands d’eau minérale.

Premier évènement qui nous aidera à diagnostiquer l’état du rock n’roll: le trente-cinquième anniversaire de la mort d’Elvis Presley dans son gras. Des milliers de personnes se sont réunies autour de l’ancien domicile du tas de saindoux à paillettes pour honorer la mémoire du King. Oh, je me gausse et je force le trait parce que je m’inquiète pour l’avenir de la vodka libre, mais croyez-bien que je ne me réjouis pas. Avant d’être le cobaye de Mc Donald’s et autres usines à cholestérol, Elvis Presley a quand même ressuscité quelques standards du blues qui risquaient de tomber dans l’oubli par la faute de la country bouseuse et des couineurs de casinos comme Sinatra et consorts. Il fut grandement aidé par son excellent guitariste Scotty Moore, et a eu une influence considérable sur nombre de ses successeurs (John Lennon pour n’en citer qu’un). Mais il fut aussi à son corps défendant le précurseur du marketing et de la mainmise des maisons de disques sur l’artisanat musical, comme un peu plus tard le boys band connu sous le nom de Beatles. Résumons, le bonhomme n’est pas sans mérite eu égard au début de sa carrière, mais j’ai du mal à comprendre comment on peut vouer un culte à un mecton qui a plus œuvré pour la popularité de Bibendum que pour la sauvagerie inhérente au rock n’roll, et qui est mort sur sa cuvette assassiné par un sandwich à la banane et aux analgésiques. Honnêtement, à part se faire crucifier en Palestine pour des tours de magie, j’ai du mal à imaginer une mort plus conne.

Passons au deuxième évènement. Comme je n’ai jamais conduit de véhicule plus puissant qu’un vélo, j’ai toujours associé les pilotes de grosses cylindrées à deux roues type Harley Davidson à de grosses bêtes velues, mi-homme mi-ours, fleurant bon l’huile de vidange et toujours prompt à la baston sauvage au son de Motorhead (et croyez-moi, Killed by Death de la bande à Lemmy vaut tous les miaulements du King et ses mouvements de bassin d’arthritique). Il faut dire que j’avais une vision extrêmement parcellaire de la chose, puisque je tiens l’essentiel de ma culture de la motocyclette de « Hell’s Angels » d’Hunter Thompson et de « Mammouth et Piston » de Coyote. Dans mon adolescence, j’ai vaguement entendu parlé de pots Ninja, mais j’ai encore du mal à me figurer pourquoi les ninjas s’intéressaient à la mobylette, qui est loin d’être le moyen de transport le plus discret. Et donc, au hasard des informations, je découvre qu’une bande de ces Huns modernes se sont réunis pour une messe autour de je ne sais quelle variante de la Vierge Marie. Bien peu rock n’roll de se faire lustrer le carbu à l’eau bénite, d’autant plus que si les Hell’s Angels s’étaient réunis quelques siècles plus tôt, le Saint-Esprit aurait eu une Sainte Surprise s’il s’était attendu à trouver une pucelle entre l’âne et le boeuf.

Résumons-nous: si l’on s’en tient aux deux paragraphes précédents, on pourrait déduire que le rock n’roll est en phase terminale, étouffé sous la dictature radiophonique et télévisuelle du rap pour illétrés,du Rn’B pour illéttrés, et de la pop gluante pour le même public. Je vous fait grâce de la chanson française du même tonneau, parce que je vais encore recevoir des lettres d’insultes des fans de Christophe Maé et Benjamin Biolay. Avant, j’aimais bien retourner ces missives à leurs expéditeurs en les ayant expurgé de leur syntaxe douteuse, mais il fait définitivement trop chaud, et où vais-je trouver de la vodka digne de ce nom si l’empire Ricard tombe entre de mauvaises mains?

Fort heureusement, chers ami(e)s, le rock de bonne facture, plein de gros mots, de grasses guitares et de circonspection à l’endroit de notre méchante société manuelvallsienne, pète des flammes, et c’est pour ça qu’il ne porte pas de caleçon. Eteignez la radio et la télévision. Si vous redoutez de sortir, faites le tour des labels indépendants sur Internet, vous trouverez plein de garçons et de filles qui suent sang et eau pour vous faire bouger le popotin et le cervelet plutôt que de sampler sans talent comme de vulgaires Black Eyed Peas. Pour quelques kopecks ou pour rien du tout, vous trouverez quantité d’albums à prix libre et vous pourrez sauter comme Iggy Pop dans votre salon et pogoter avec votre chèr(e) et tendre, ou avec votre chat si vous vivez seuls. Si vous ne craignez pas la chaleur et si vous avez les coordonnées d’un bon fournisseur de vodka de contrebande, d’une part écrivez au Graoully Déchaîné qui me transmettra, et d’autre part, écumez les salles de concert pour écouter la pléthore de bons groupes dont le talent et l’intégrité artistique ne sont pas encore épuisés par le star system. Encore mieux: emparez-vous d’une guitare électrique, poussez l’ampli sur 11, et braillez tout ce qui vous passe par la tête, vous ferez toujours mieux que les BB Brunes ou Indochine.

En résumé, en dépit des bigots inféodés à Elvis, à Ste Marie du pot d’échappement ou au productivisme capitaliste, le rock ne crèvera jamais parce que depuis son apparition dans la deuxième moitié du vingtième siècle, c’est la musique de la révolte. Demandez aux Pussy Riot pourquoi elles n’ont pas fait un zouk love dans la cathédrale du Christ Sauveur (qui selon Jeannot Halliday, qui retourne sa veste à chaque fois que le vent de la mode change de direction, avait cheveux longs et idées courtes mais était quand même un hippie) à Moscou.

En outre, le rock possède deux agréables corollaires, la drogue et le sexe. Alors que pour pécho en buvant de la tisane et en écoutant Bénabar, bon courage.

 

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