Rien de grave

 

Depuis qu’un cartel malveillant s’est convaincu qu’une France sans centrale nucléaire, c’est aussi absurde qu’une France sans vin et sans fromage, on n’arrête plus de nous faire avaler de la couleuvre. Au rythme où va le gavage où se produisent les accidents, l’évolution devrait prochainement nous doter d’un gosier balladurien pour stocker les couleuvres qu’on n’a pas encore mâchées et pour abriter notre thyroïde géante.

Areva et ses collègues en escroquerie à l’échelle publique nous arrêtent de suite: médisances et diffamations que tout cela. L’atome nous aime, mais comme dans un couple, il arrive que monsieur  et madame neutron s’engueulent pour la possession de la télécommande, ou parce que monsieur neutron est rentré bourré et arborait du rouge à lèvres d’isotope de baryum sur sa chemise, et c’est le drame passionnel, Tchernobyl et compagnie, je demande la clémence de la cour pour mon client. Alors que cette salope de bougie, si prisée des amateurs de SM, et sa luminosité à peine bonne à éclairer une église, voilà l’ennemie du genre humain.

Bref, on l’a compris, ce n’est jamais de la faute de la centrale, mais de la négligence des Soviétiques pleins de vodka frelatée ou de l’imprévoyance des Japonais qui persistent à vivre dans un coin à séismes. Hier, affutez vos couverts à reptiles et mettez vos bavoirs: accident à la centrale de Fessenheim. Médisant comme on est, on s’imagine déjà l’Alsace irradier comme le marché de Noël de Strasbourg, mais que nenni. Ce n’est pas un petit incident comme il s’en produit tous les jours dans nos poubelles radioactives, mais juste deux salariés maladroits qui se sont brûlés les doigts en manipulant de l’eau oxygénée. Autorités de l’atome, ministres et même représentants syndicaux se succèdent pour rassurer le badaud: t’inquiète biquette, la centrale tient encore debout, c’est un simple accident du travail.

Me voilà rassuré: c’est juste un accident du travail. Une ministre socialiste de l’Écologie (pouf pouf) et un membre de la CGT qui disent c’est « juste un accident du travail », remettez la couleuvre au frigo, ce soir on boulotte du boa. Simple erreur de communication, cynisme involontaire, ou bien ces gens qui se sont réunis qui dans un parti, qui dans une centrale syndicale pour protéger les travailleurs, trouvent qu’un accident du travail, ce n’est qu’une broutille? Ben merde alors.

D’après les statistiques de l’INRS, on compte pour l’année 2011 658000 accidents du travail, dont 41000 provoquent une incapacité totale et 529 sont mortels. Mais ce n’est pas grave, il fait beau à Fessenheim. Depuis le début de l’année, il y a eu à l’échelle mondiale 1 500 000 accidents du travail et 6000 personnes meurent quotidiennement au turbin. Pas de quoi s’inquiéter, les emplois d’avenir sont garantis 100% secure, sauf si les heureux bénéficiaires se coincent les doigts dans la photocopieuse ou se brûlent avec la machine à café, mais le risque zéro n’existe pas à part dans le monde merveilleux d’Areva. Précisons qu’en France, un tiers de ces accidents se produisent dans le domaine de la manutention. Et encore, nombre de salariés ne s’arrêtent pas pour ne pas perdre leur boulot, on peut donc penser que ces chiffres sont inférieurs à la réalité.

Il fait dire également que cela fait bien longtemps qu’en France on ne considère le travail qu’à travers le prisme du taux de chômage, de la baisse de charge, ou sous la forme de la « valeur-travail » quand on veut retourner ces cochons de prolos contre les assistés qui ont juré la ruine de la France éternelle. La médecine et l’inspection du Travail sont en déshérence, on rabote les indemnités journalières, on allonge la durée des carrières (on veut quand même bien considérer la pénibilité car nous ne sommes pas des monstres), on lime les salaires jusqu’à la moelle, on « manage » à la schlague, et on a de plus en plus recours à l’intérim et au travail précaire, ce qui induit une baisse globale de la qualification. Et c’est ainsi que l’on se retrouve avec un bataillon d’estropiés qui en plus voudraient des indemnités, ou que les salariés de France Télécom regardent à travers leurs fenêtres leurs collègues  s’essayer au plongeon olympique sans piscine. Mais tout va bien à la centrale de Cattenom, tiens remets-moi une entrecôte de serpent avec un peu de mayonnaise.

Autre problème dans la sécurité au travail: la rapacité des industriels concernant les matériaux et les conditions de travail. Vous avez aimé l’amiante, vous adorez donc tous les composants chimiques que les ouvriers tripotent quotidiennement sans en connaître la nocivité. Lisez l’édifiante interview d’Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm, sur l’insouciance des industriels quant aux risques qu’ils font encourir à leurs salariés pour la gloire de la compétitivité et pour l’avancée des cancers de toutes sortes, qui devrait nous  faire faire de substantielles économies sur les retraites. Ou référez-vous aux statistiques du Bureau International du Travail, vous passerez un agréable moment et demain vous irez bosser avec une cotte de maille.Vous pourrez constater qu’à chaque fois qu’on cherche à faire des économies d’échelle, c’est sur le facteur travail qu’on agit, le capital étant aussi sacré qu’une vache indienne. Et c’est ainsi que deux malheureux se sont irrités avec de l’eau oxygénée, ce qui n’est peut-être pas grand-chose, mais ça doit piquer quand même.

Bref, il ne s’est rien passé à Fessenheim.

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