La grève des Enfers (acte 1)

Courte comédie sociale, impie et blasphématoire dont l’auteur attend la mise à l’index (par les autorités ecclésiastiques et par le monde du théâtre) ainsi qu’une franche excommunication.

LA GRÈVE DES ENFERS

ACTE I SCÈNE I

 

Salle de réunion des Enfers

LUCIFER:

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs du Conseil d’Administration,

A l’unanimité des six-cents soixante-six voix notre motion

Est adoptée, et dès à présent, prend effet

La grève des Enfers, générale et illimitée.

Par mon trident, par mes pieds de bouc, par l’Achéron,

Que personne n’embarque sur l’esquif de Charon

Qu’on assigne le brave Cerbère au chenil, en laisse

Et qu’on accorde ses RTT à Méphistophélès.

Qu’on rappelle Bélial, Belphégor, et Mammon,

Et tout le corps diplomatique des démons.

Que Xaphan cesse de souffler sur les braises,

Que le feu s’éteigne et qu’on prenne nos aises

Jusqu’à ce qu’au plus haut des cieux l’on consente

A cesser cette politique infamante et avilissante.

Que le Vieux mette de l’eau bénite dans son vin de messe.

Et si rien ne change, qu’il embrasse mes fesses !

LE CONSEIL D’ADMINISTRATION :

Dieu, t’es foutu, les démons sont dans la rue !

Dieu, t’es foutu, les démons sont dans la rue !

Yahvé, si tu savais, ta réforme, ta réforme,

Yahvé, si tu savais, ta réforme où on s’la met !

LUCIFER

Que les âmes en peine y restent jusqu’à plus ample informé !

Tant que le service public de la damnation ne sera pas réformé,

Plus personne ici-bas ne sera enflammé !

Qu’on ouvre en grand les portes du purgatoire,

Qu’on y conserve les maudits à titre dérogatoire.

Nous irons bientôt clamer nos revendications,

Nous plaiderons près la plus haute juridiction,

Comme aux temps anciens d’avant la chute.

Allons porter la controverse. Viens, Belzébuth,

Viens, Adramelech et venez, frères sataniques

Allons cracher dans la soupe œcuménique.

 

 

ACTE I SCÈNE II

 

Entrée du Paradis

SAINT PIERRE

(Chantonnant dans sa guérite)

On s’attache, et on s’abandonne,

Avec une flèche qui nous illusionne…

LE CORTÈGE DES DÉMONS

Non aux cadences infernales !

Non aux cadences infernales !

SAINT PIERRE

(Affolé)

Qui va là ? Halte-là ! Vade retro Satanas !

Retourne t-en en ton bouge, par Saint Boniface,

Epargne-moi la vue de ton ignoble faciès.

Et quand apprendras-tu à dissimuler tes fesses,

Et ton génitoire dans une culotte ?

LUCIFER

N’ayez crainte, Monsieur le lèche-bottes,

Je ne suis pas là pour vous tenter ou vous séduire,

Et entre nous Saint-Antoine, qui parvint à m’éconduire,

Était autrement plus agréable à assiéger

De mes charmes que vous, pauvre péager.

SAINT PIERRE

(Agacé)

Je suis de beaucoup son aîné, et on m’a bâti une Église sur le dos

(Encore aujourd’hui je souffre de ce mauvais jeu de mots)

Et Antoine a beaucoup abusé de la cosmétique

Art qu’il tient de Égypte antique,

Mais avant j’étais plutôt joli garçon.

Bref, passons.

Que me vaut le déshonneur de ta visite ?

Et veux-tu bien cacher ta…ton…enfin cache-le vite !

LUCIFER

Ne nous perdons pas en circonvolutions

Je porte rien moins que les germes de la révolution

Et si en effet je me tiens sans culotte

C’est que j’en ai franchement ras la calotte

Aussi daigne porter ce message à ton maître

Devant qui je ne puis plus paraître.

Dis-lui bien que c’en est fini de la trêve

Et que tous les enfers sont en grève.

SAINT PIERRE

En grève ? Aucun statut ne prévoit cette procédure.

Tu n’es donc jamais à court d’une vilenie, ordure !

Soit dit en passant, sur mon front ce n’est pas marqué « La Poste »

Je suis douanier et pas anagnoste !

LUCIFER

Tu es un esclave, un serf, un fonctionnaire, un moine

Alors fais ce qu’on te dit. Et la bise à Antoine !

 

ACTE I SCÈNE III

 

Porte de l’Enfer

JUDAS

Toi qui entre ici, laisse tes effets personnels au vestiaire.

C’est trente deniers. C’est un peu cher, mais on t’offre une bière.

SAINT JEAN

C’est une visite à caractère sacré, au nom de Dieu,

Je suis mandaté pour parler au maître des lieux.

Mais que fais-tu, Judas, attaché à ce huis,

Pendant stupidement comme un vilain fruit ?

JUDAS

Jean, vieille branche, vieille brindille, vieux rameau

Ca faisait une éternité, espèce de chameau !

Approche donc que je t’embrasse, mon ami !

SAINT JEAN

Bas les pattes ! Epargne-moi tes infamies !

Convoque ton maître, hideux épouvantail,

Et dis-moi enfin ce que tu fais sur ce portail !

JUDAS

C’est une idée du patron, qui trouvait désopilant

D’installer un judas sur sa porte. Depuis environ deux mille ans,

J’y trône. Hélas, je ne puis te laisser pénétrer :

Les démons se sont tous calfeutrés.

Personne ne passe, l’enfer a voté le débrayage.

SAINT JEAN

Pousse-toi de là, et cesse tes enfantillages.

Au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit !

JUDAS

Oh, le fils, tu sais, je l’ai déjà eu à vil prix

C’est seulement avec les autres que le patron traitera.

Allez, casse-toi, le ciel t’aidera !

(Saint Jean s’éloigne, fulminant)

JUDAS

Va donc, foutriquet ! Ta mère lave les pieds du pape !

Rebut, sacripant, fripouille, demi-satrape !

(à part soi)

En voilà un que j’aurais bien aimé vendre à Ponce

Et qui eut été beau la tête cernée de ronces,

Avec son air de chien battu, sur un bas-relief

Mais allons derechef en référer au chef.

 

(à suivre…)

 

 

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