Avec le tumulte autour de l’élection présidentielle américaine, on a un peu oublié de parler du rapport Gallois. Sans doute un hasard du calendrier (pouf pouf). Le cortège de crédit d’impôts accordés aux entreprises sans contrepartie, l’augmentation de la TVA qui renie déjà les promesses de campagne, et la sempiternelle baisse des cotisations sociales qui est la réponse à tout depuis 30 ans (avec les résultats que l’on sait): rien que de très classique dans le pacte de compétitivité. Les travailleurs sont des feignasses qui réclament un salaire pharaonique pour empêcher le patron créateur de richesse d’épaissir son matelas de billets, et du coup le patron dort moins bien et il oublie que l’économie fonctionne sur le crédit et l’investissement, et il place son argent et tout ça, bref c’était bien la peine de virer Sarkozy et ses sbires pour revenir au point de départ. Et encore, Gallois est réputé être un « patron de gauche ».
Cerise sémantique sur le soufflé à l’arnaque: on parle de « pacte » de compétitivité. Or pour faire un pacte, il faut être au moins deux, et j’ai du mal à saisir qui est le deuxième contractant. A mon humble avis, vu la mode qui est à la défiance à l’endroit du coût du travail, les salariés seront juste invités à brûler des cierges en attendant le retour de la croissance, qui selon mes estimations reviendra à peu près en même temps qu’un président américain athée et antimilitariste. Et quand bien même je me tromperais, une croissance élevée n’est pas garante d’une distribution équitable des richesses, demandez à la Chine ou aux États-Unis si c’est pas vrai. Bref, le rapport Gallois fait mentir, une fois de plus, le slogan du changement c’est maintenant, et on peut commencer à stocker de l’ouzo et de la moussaka en prévision du découpage de l’État par la Troïka qui s’annonce.
En revanche, le rapport Gallois a eu au moins une incidence qu’on pourrait qualifier de positive. Jean-Vincent Placé, président du groupe EELV au Sénat, commence à se demander, fichtre alors, mais que diantre mon parti participe t-il à cette mascarade? Il était temps, Jean-Vincent. Le félon Manuel Valls et Pascal Durand, porte-parole d’EELV, assurent que notre ami a la fièvre et qu’il est le seul à se poser des questions aussi métaphysiques. Hollande dit, peut-être, je m’en fous, si vous croyez que j’ai que ça à penser, allez ouste, restez pas près de mon gaz de schiste et de l’aéroport de Jean-Marc.
Effectivement, si on est militant écolo, on a le droit de se demander que sont-ils allé faire dans cette galère? Le maître-mot de l’action d’Hollande, il l’a dit, ce serait la croissance. Or, même sous le label « développement durable », les politiques de croissance n’ont absolument rien d’écolo. De plus, l’accord électoral pour lequel EELV a lâché Eva Joly en pleine campagne (pour remplir les caisses du parti qui sonnaient creux) est un modèle de forfaiture que n’aurait pas renié la vieille fouine Mitterrand. Depuis, Valls et Montebourg ont réaffirmé leur confiance dans la filière nucléaire (filière « d’avenir ») et Gallois a remis au goût du jour l’exploitation du gaz de schiste qui pourrait retransformer la Lorraine en enfer noir. Dès le début du mandat du président normal, Nicole Bricq s’est fait dégager du ministère de l’Environnement pour avoir refusé de cirer les pompes huileuses de Shell au large de la Guyane. Delphine Batho, la nouvelle titulaire du poste, a autorisé un éleveur vosgien à tirer sur un loup pour protéger son troupeau. Le Conseil Constitutionnel, sous la bienveillante pression de Valls (décidément) a déployé des trésors de mauvaise foi pour que des débiles à paillettes continuent à émouvoir des gros cons en massacrant des taureaux. Cécile Duflot, ministre du Logement, se fait tancer comme une fillette parce qu’elle précise être à titre personnel favorable à la légalisation du teuteu.
Parlons également de l’aéroport de Jean-Marc. Déjà pendant la campagne électorale, des militants s’étaient mobilisés contre la création d’un aéroport international à Notre-Dame des Landes, près de Nantes. Jean-Marc Ayrault, ex-maire de la préfecture de Loire-Atlantique, tient dur comme fer à ce projet qui traîne depuis quarante ans, et il faut bien avouer que les médias ne se foulent pas trop pour faire de la publicité au mouvement de protestation. Jean-Vincent Placé précise que pour lui, c’est « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Après six mois de schizophrénie intense de la part de son parti, un peu au gouvernement, un peu dans l’opposition, on est fasciné par la lenteur de l’entropie dans le cerveau du sénateur, mais mieux vaut tard que jamais.
Donc, oui, on peut légitimement se demander pourquoi Europe-Écologie-Les Verts persiste à vouloir être un parti de gouvernement et à faire des compétitions de gobage de reptiles au lieu de faire des alliances avec des partis de gauche moins obsédés par l’évolution annuel du PIB, la rentabilité du troupeau des prolétaires et la recherche absurde de la dernière goutte de l’énergie la plus polluante possible.
Pour finir, Valérie Pécresse trouve que la saillie de M. Placé prouve à quel point la majorité se lézarde quand elle n’est plus cimentée par l’anti-sarkozysme. On lui rétorquera qu’elle devrait déjà s’occuper de ses oignons et des alliances idéologiques de son parti avec le Front National (qui est aussi anti-sarkozyste). C’est bien le seul mariage « contre-nature » qui ne préoccupe pas l’UMP en ce moment.