Les grenouilles demandent toujours un roi.

« Les Grenouilles se lassant

De l’état démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique. » (La Fontaine)

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! À l’heure où notre président « normal » tient la première conférence de presse de son quinquennat et où il ne se passe pas un jour sans que la presse ne fustige son manque de charisme et d’autorité (ce n’est pourtant pas ce que le peuple lui reproche le plus !), j’ai décidé de vous faire part de quelques réflexions, qui n’engagent que moi, sur la Ve République en général et sur la fonction présidentielle en particulier.

On s’obstine encore aujourd’hui à présenter De Gaulle comme un héros ; pour 1940, je ne dis pas. Mais pour 1958, je vous le dis tout de suite, je le considère comme un malfaiteur : il a profité d’une situation qui était objectivement critique (je ne dis pas le contraire !) pour transformer un régime démocratique en monarchie élective. La constitution qu’il a léguée à la France était faite par De Gaulle pour De Gaulle, mais nous l’avons quand même gardée, malgré les promesses de Mitterrand de mettre fin à ce qu’il avait lui-même appelé le « coup d’état permanent ». Si je n’avais qu’un seul reproche à faire à feu Tonton, ce serait celui-là.

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On objectera que la constitution de la IVe République était porteuse d’instabilité gouvernementale, ce qui n’est pas tout à fait exact : la constitution de ce régime éphémère a vu le jour dans un contexte extrêmement troublé, avec un pays qui était encore à reconstruire, traumatisé par la guerre ; quel que soit le régime mis en place, une telle situation n’aide pas les gouvernements à durer. De plus, si la IVe a eu tant de gouvernements qui duraient le temps d’un éclair, c’est à cause d’une pratique qui avait été sanctifiée par l’usage, celle de la double investiture : le gouvernement était à peine  investi, le président du conseil demandait une seconde fois au parlement s’il lui faisait toujours confiance et, en ces temps troublés, la réponse était souvent non. Le dernier gouvernement de la IVe à avoir duré presque un an était celui de Pierre Mendès France qui a justement refusé de recourir à cette double investiture que la constitution n’avait pas prévue ; en d’autres termes, les facteurs les plus importants d’instabilité n’avaient rien à voir avec les vices de la constitution.

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La constitution de la IVe s’inspirait largement de celle de la IIIe République qui avait pourtant duré soixante-dix ans : qu’est-ce qui a changé entretemps ? Entretemps, il y a eu l’avènement des médias de masse, dont certains vils personnages tels que Mussolini et Hitler ont su jouer pour asseoir leur autorité : la télévision n’a vraiment commencé à être répandue que durant la Ve, mais il y avait déjà la TSF, les actualités au cinéma et, bien entendu, les journaux. Jadis, le peuple n’avait qu’une idée vague de ce qui se disait ou se faisait au sommet de l’État (je ne dis pas que c’était mieux comme ça !) et quand il y avait des cafouillages à l’Assemblée, on n’en faisait pas un drame puisqu’on n’en savait presque rien. À partir du moment où l’opinion publique a pu être informée des moindres faits et gestes des élus politiques de façon presque immédiate, le moindre désaccord, le moindre changement, était tout de suite connu : l’impression d’instabilité était devenue plus grande. Je dis bien qu’il s’agissait d’une impression d’instabilité : dans les faits, la machine étatique continuait à fonctionner grâce aux hauts fonctionnaires qui restaient en place, et surtout, la démocratie parlementaire fonctionnait vraiment, le débat d’idées se réveillait enfin, avec la violence relative qu’elle comporte, après quatre années de sommeil imposé par Pétain et sa clique – la violence était vraiment relative puisqu’une prise de bec entre députés n’avait aucune commune mesure avec les fusillades de résistants présentés comme des terroristes ou les gazages d’enfants juifs arrêtés par la courageuse police française…

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Seulement voilà : le bon peuple de France n’aime pas le débat d’idées. Non. Au fond de lui, le Français moyen n’aime pas la démocratie. Ce qu’il aime, c’est quand tout est en coupe réglée, rien qui dépasse, la machine en « ordre de marche ». Il ne veut pas d’élus qui n’ont pas peur de faire valoir leurs désaccords, il veut un homme fort qui décide et tout le monde ferme sa gueule. Le peuple ne veut pas devoir voter souvent, il ne veut pas prendre son destin en main, il veut pouvoir se contenter de voter tous les cinq ans et laisser l’élu de tous et y compris des autres décider de tout à se place parce que lui, il ne peut pas, il travaille toute la journée et si vous n’êtes pas content, allez à Moscou voir si c’est mieux. Le peuple a tué Louis XVI, mais il n’a pas tué le roi au sens où il a tué le père : les Français ne sont pas mûrs pour la démocratie, ils ont encore besoin d’un grand schtroumpf qui veille sur eux. L’homme fort, ils l’ont eu ! De Gaulle ! Tueur d’algériens, tabasseurs d’étudiants, amoureux de la bombe atomique, défenseur de la peine de mort et de l’ordre moral, protecteur des requins de l’UDR, verrouilleur des médias… Ah, qu’est-ce qu’on était heureux, du temps de sa majesté Charlot ! Heureux comme des imbéciles qui veulent à tout prix savoir où ils vont, même si c’est vers le gouffre !

Si je parle au présent ,c’est qu’on n’en est pas revenu, de tout ça : il y a cinq, les Français élisaient un monarque républicain  qui s’en est donné à cœur joie. Aujourd’hui, ils ont un président qui n’est pas un tyran, et pas une seule journée ne passe sans qu’on critique son inactivité, qui n’est en fait que le passage à un rythme normal pour gouverner, son apathie, qui n’est en fait que le refus d’agir dans l’urgence au risque de prendre n’importe quelle décision, et, surtout, son manque d’autorité et de charisme – ça, c’est sans doute vrai, mais ça n’a rien à voir avec ses compétences. Pourquoi a-t-on besoin d’un leader charismatique ? Pour être bien gouverné ? Non : pour avoir L’IMPRESSION d’être bien gouverné. Nous vivons une époque qui privilégie le faire-savoir au savoir-faire, ce qui exacerbe le besoin que tant de Français ont encore d’avoir un « père de la patrie » qui prendrait tout en charge et permettrait au peuple de ne plus avoir aucune initiative. Nous avons raté à plusieurs reprises l’occasion de devenir démocratiquement adultes et les médias de masse nous empêchent de grandir : je comprends mieux le score du FN aux dernières élections. Si je n’avais pas autant de désaccords avec la majorité (traité budgétaire européen, rapport Gallois, expulsions de Roms notamment), je plaindrais presque Hollande, comme je plaignais Jospin, comme j’aurais plaint le président argentin Illia ou l’empereur romain Claude et tous les autres dirigeants politiques qui n’étaient pas moins compétents que beaucoup d’autres mais ne savaient pas « communiquer », n’avaient plus le temps de soigner leur image à force d’essayer de bien faire leur travail et ont été victimes du « il a de bonnes idées, mais je ne voterai pas pour lui, il a une sale gueule ». Il faudrait beaucoup d’’imagination pour trouver une chute drôlatique à un article pareil, vous ne trouvez pas ? Allez, salut les poteaux !

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