Une belle équation

Ce weekend, les occasions de discussions houleuses ne manquaient pas, entre la manifestation des opposants au mariage pour tous, le duel Copé-Fillon et son dénouement comique, et, sur un mode bien plus tragique,  les méfaits d’Israël et du Hamas à l’encontre de leurs populations. En tout cas, on ne pourra plus accuser Charlie Hebdo d’aller trop loin: toutes ces braves gens ont prouvé qu’elles n’avaient besoin d’aucun canard satirique pour être des caricatures ridicules et grimaçantes, et encore moins d’un dessinateur facétieux pour mettre le monde à feu et à sang au nom de leurs lubies rétrogrades et/ou fascisantes. C’est plus fort qu’eux, ils détestent la vie et aimeraient bien que tout le monde partage leur névrose ou crève: on se gardera bien de leur faire ce plaisir et on abordera un sujet autrement plus intéressant.

Ces dernières semaines, Arte diffusait un documentaire en quatre parties intitulé « La Magie du Cosmos », d’après le livre éponyme de Brian Greene. L’auteur est un physicien et mathématicien américain, professeur à l’Université de Columbia à New York, spécialiste de la théorie des cordes, et il propose un condensé des connaissances actuelles sur l’espace, le temps et l’univers depuis  le Big Bang  jusqu’à l’avènement de la physique quantique. Camarades mono-neuroniques de Civitas qui croyez que le monde a 3000 ans et que les serpents parlent à l’oreille des femmes impudiques parce que les connaissances se cachent dans les pommes, soyez attentifs, au mieux vous vous coucherez moins cons et au pire ça vous fera une conversation à la messe dimanche prochain.

La physique peut-être définie grossièrement comme la science de la nature. Elle décrit les mécanismes et les systèmes qui gouvernent l’univers. Elle remonte à la plus haute antiquité, puisque ce sont les Grecs qui ont forgé le mot (d’après φυσις, la nature). Avant même l’invention de la science en question, des philosophes comme Anaxagore, Leucippe et Démocrite,  pensaient le monde comme un agencement d’atomes et de matière, et ils estimaient que s’il y avait des dieux, ils se tamponnaient totalement de ce que les hommes pouvaient faire sur Terre. A cette époque, Socrate n’avait pas commencé à souiller la philosophie avec ses doigts pleins de moraline et le petit Jésus n’avait aucune raison de venir se faire crucifier puisque le christianisme n’existait pas encore et qu’il n’y avait donc aucun péché à effacer.

Malgré toute la bonne volonté qu’a déployé l’Église pour faire taire Giordano Bruno, Galilée et tant d’autres, et dont elle fait toujours preuve pour faire passer Darwin pour un escroc, la science physique suit son glorieux chemin. En dépit des efforts méritants des grenouilles de bénitier, on a une connaissance de plus en plus précise des forces qui animent le monde, et toujours l’explication se fait sans l’aide d’un esprit céleste qui tire les ficelles de son nuage avec autant de talent que Francis Cabrel quand il cochonne les chansons de Bob Dylan. Cela ne va pas sans questionnements: même l’illustre Einstein, confronté aux balbutiements des quanta qui allaient à l’encontre de sa conception statique de l’Univers, a eu un moment de faiblesse ontologique et a déclaré que « Dieu ne jouait pas aux dés ». Depuis, on lui a rabattu la moustache à titre posthume, et on a prouvé que si Dieu il y avait, il jouait suffisamment avec les probabilités pour renflouer la Française des Jeux et la Sécurité Sociale pour trois millénaires. Mais c’est le propre de la science de ne pas être dogmatique et de revenir su ce qu’elle croyait acquis.

De fait, depuis les origines, la physique et la philosophie ont partie liée, et se nourrissent l’une et l’autre. Les philosophes atomistes cités plus haut furent à l’origine du matérialisme hédoniste et pensaient que le but ultime de l’existence était « la joie authentique ». Un autre moustachu, ami du Gai Savoir et dont la pensée a irrigué tous les domaines de la connaissance, Nietzsche, pour ne pas le citer, a eu des intuitions inspirées de la physique ( notamment de Boscovich ou de Von Mayer) sur la méthodologie scientifique, sur l’énergie, ou sur la confusion de l’espace et du temps en une seule entité. Des chercheurs, et non des moindres, comme Stephen Hawking ou Richard Dawkins, se sont aventurés en terrain philosophique pour affirmer que même si l’on ne peut prouver ni l’existence ni l’inexistence de Dieu, cette hypothèse est tout simplement inutile dans l’optique de parfaire notre connaissance du monde. Dès lors, elle est tout aussi inutile pour régler nos existences sur des critères qui n’obéissent à aucune autre nécessité qu’un ordre politique profondément réactionnaire (ça, c’est moi qui l’ajoute).

Enfin, tous les chercheurs l’affirment: l’un des critères majeurs pour qu’une nouvelle théorie soit acceptée en physique est qu’elle doit être élégante, autrement dit qu’elle doit répondre à une exigence de simplicité. Ce n’est bien sûr pas la seule variable pour valider une théorie, mais je trouve ça infiniment plus intéressant que les multitudes de paraboles de la Bible sous l’égide desquelles on peut aussi bien prouver une chose que son contraire.

En résumé, on peut trouver bien triste qu’une bande d’illuminés qui déteste la sensualité cherche à toute force à arrêter la marche d’un monde où ils ont déjà cinq siècles de retard. On peut de même déplorer que les progrès scientifiques aient contribué à l’avènement du nucléaire, de l’OGM et de la bagnole. Mais personnellement, j’échangerais sans problème Jésus, Fillon, Copé, Netanyahou et tous leurs semblables pour une belle équation.

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