Votez mon cul!

« Affirmez que vous êtes anarchiste et presque immanquablement on vous assimilera à un nihiliste, à un partisan du chaos voire à un terroriste ».

Normand Baillargeon

 

Je déteste les campagnes électorales. C’est la saison de l’année où l’on entend le plus parler de politique sans jamais voir la couleur de l’action politique, sinon sous la forme de petits cadeaux à la clientèle à qui on rappelera bien d’être reconnaissante, ou sous la forme de cavaliers législatifs passés en loucedé quand tout le monde regarde ailleurs. C’est le moment où chacun dans sa chapelle récite son catéchisme avec une bigoterie et une démagogie digne de la charité gluante des Enfoirés, c’est la période où l’on risque de voir Nadine Morano et Claude Guéant tous les jours dans tous les médias, à tel point que dans les moments où on baisse sa garde on en vient presque à trouver François Hollande intéressant et Marine Le Pen plus « lisse » que son père.

Et puis c’est le temps qui va venir des emmerdeurs qui vont nous enjoindre de faire notre « devoir de citoyen ». Je vous emmerde à part égale: voter est un droit et pas un devoir, sinon il faut rendre la participation au scrutin obligatoire comme en Belgique, en plus ça réjouira les neuneus qui croient que voter blanc est un acte de rebellion. « Oui mais ya des gens qui sont morts pour le droit de vote ». Grand bien leur fasse: il y a aussi des gens qui sont morts pour Hitler, et il y a des gens qui sont morts parce qu’ils conduisaient bourrés à contre-sens les yeux bandés sur l’autoroute, ça ne légitime pas leur combat. Notez bien: je ne suis pas contre le vote, seulement faute de candidat selon mon coeur, je préfère faire la grasse matinée que de voter utile, médiocre ou par défaut.

Le mot est lâché: vote utile. Cela fait des semaines que Blequin et moi vous disons le bien qu’on pense du vote utile. A tout prendre, je préfère Hollande le « candidat normal » à Sarko le président-pas-candidat, parce que je pense que le socialiste (mais sait-il encore ce que cela veut dire?) n’instrumentalisera pas les Roms, l’Europe ou Mireille Mathieu et ne criminalisera pas la misère comme le Duce des Hauts de Seine; parce que son mentor Lionel Jospin a réalisé quelques belles mesures comme la CMU et les 35 heures en dépit de tous ses écarts vers la droite en matière économique. Parce que Claude le Relou qui aime tant les préfectures s’en verra peut-être attribuer une en Terre Adélie. Mais au fond, la finance tyrannisera toujours le monde, on sera toujours obligé de travailler comme des ânes pour subvenir à nos besoins (réels ou crées par la prédominance de l’avoir sur l’être) , et les idées de France et de République seront toujours supérieures à la seule valeur qui vaille: la liberté.

De plus, si on se retrouve, après autour de deux cents ans de parlementarisme, à voter utile pour éviter la peste brune ou la faillite à la grecque, c’est aussi à cause de ceux qui nous demandent d’emmener leur cul sur le plus haut siège de l’Etat. A force de demi-mesure, à force d’électoralisme ambitieux et à de réformisme à court terme, renoncement par renoncement, ils ont détricoté tout ce qui avait été acquis par la lutte sociale et syndicale, la revendication spontanée, le débat créatif et la subversion. En de pareilles circonstances, c’est toujours les adversaires de la liberté qui gagnent du terrain, parce qu’eux ne font pas les mijorées pour arriver à leurs fins. Ils n’ont pas la politesse de demander au peuple s’il veut bien d’eux, ils lui fourrent dans le ciboulot, de gré ou de force, ce qu’il doit penser et ce qu’il doit faire et toujours au détriment de plus faible que soi. En résumé, si l’on veut bien considérer les racines grecques du mot démocratie, on concluera sur le sujet du vote  en disant que dans l’idée démocratique ce n’est pas « demos »/le peuple qui me gêne, c’est « cratos »/ le pouvoir. Aussi préfèré-je les affinités électives et la libre association aux élections et aux partis.

Terminons en nous étonnant d’un phénomène nouveau dans les élections présidentielles. Comme à chaque échance, le FN se plaint que les maires rechignent à parrainer la candidate du parti facho, et Marine de demander l’anonymat pour les collabos qui accepteraient de signer. Et désormais, de l’extrême gauche (Nathalie Arthaud) à l’extrême-droite (Sarkozy), tous trouvent que maintenant que les fafs représentent un cinquième de l’électorat, il serait anormal qu’ils ne puissent pas avoir de candidat. Ok, tout le monde gagne à la candidature Le Pen: elle pique des ouvriers au PS et elle pique des nazillons à l’UMP. Pourtant, il était facile de le faire interdire le FN à ses débuts, puisque ses représentants avaient été condamnés pour incitation à la haine raciale et qu’il possédait une milice armée. Et puisque les maires sont des élus, ils sont (en théorie en tout cas) censés représenter leurs administrés et il est donc parfaitement conforme à l’esprit de la République qu’ils refusent un parrainage quand la tête du croquant ou de la croquante ne leur revient pas. Et encore une fois, c’est la misère et le rétrecissement des perspectives d’avenir, orchestrés par les partis ordinaires, qui poussent un cinquième des Français à manifester leur masochisme et à porter leurs voix sur la repoussante Walkyrie.

Donc, quand la politique proposera autre chose que du travail à perpétuité, de la famille nucléaire et la gloire de la Patrie, j’envisagerai de remplir une urne au lieu de vider des jarres. Rappelons pour finir que l’objet de cet article n’est pas de convaincre qui que ce soit de ne pas voter, ou de faire du « tous pourris » nihiliste. Il m’est aussi odieux de suivre la politique que de guider des (é)lecteurs.

Dans un prochain épisode, nous rappelerons tous ceux qui ont fait de l’origami avec leur carte d’électeur que ce n’est pas une raison pour aller étriller l’innocent goujon dans son ruisseau.

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