Un divorce coûteux

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Gérard venait d’avoir 50 ans. Mais ce qui aurait dû être une fête pour lui qui n’avait jamais pensé vivre si vieux, tournait au vinaigre. Il avait toujours prévu de se foutre en l’air avant de voir murir les premières rides sur son visage. Il avait tenu bon malgré tout. Il avait eu une femme pendant 25 ans qui lui avait toujours pris plus la tête que la queue. Il s’en était pourtant accommodé.

Sa date anniversaire correspondait à la date de son divorce. Plutôt sordide comme commémoration. Sa femme lui avait pris la majeure partie du peu qu’il avait réussi à accumuler au cours de longues décennies de labeur. Cela faisait six mois qu’ils étaient séparés. Elle, avait réussi à rapidement refaire sa vie mais lui stagnait horriblement dans la solitude la plus totale. C’est toujours plus facile quand on a un vagin qu’il se disait. Ce qui lui manquait le plus, c’était le partage intellectuel. Elle avait un amour de la culture sous toutes ses formes plus qu’aucune des femmes qu’il avait connu avant.

Mais peu à peu elle s’était mise à ne plus supporter ses changements d’humeurs. Elle savait pourtant que quand il écrivait, il valait mieux le laisser en paix et ne pas insister. Où retrouver une femme pareille ? Pour le reste, ce n’était pas la panacée. Après son divorce, il avait dû partir, sa femme ayant obtenu la maison. Heureusement, leurs deux enfants étaient déjà assez âgés pour avoir construit leur propre vie. Sa fille pourtant ne voulait plus entendre parler de lui. Et la plupart de ceux qu’il pensait ses amis avaient pris parti contre lui.

Il n’avait pas pris d’avocat. Il s’était à peine défendu pour la garder cette bâtisse (et tout ce qui allait avec) qu’il avait lui-même rénové au prix de plusieurs litres de sueur perdus à l’intérieur. Il s’en foutait à vrai dire. Il avait juste voulu partir le plus loin possible de son ex-femme afin d’être sûr de ne pas la croiser un jour dans la rue en train de s’afficher fièrement avec son nouveau mec. Là il aurait pu mal réagir. Et ça aurait pu partir en cacahuète. Il était donc sur d’avoir fait le choix le plus judicieux en suivant la diagonale qui l’avait mené à l’autre extrémité du pays.

Elle l’avait pris de court en le dégageant comme la vieille baderne qu’il était en train de devenir selon elle. Il ne l’avait pas vu venir celle-là. Un jour, elle s’était pointée avec les papiers du divorce à signer. Il l’avait faite attendre, espérant rattraper le coup mais c’était mort pour elle. Il n’avait pourtant jamais songé à la remplacer. Il allait juste chercher ailleurs ce qu’elle ne pouvait ou ne voulait pas lui donner. C’était purement physique. Autant dire qu’un tel argument ne tenait pas devant un juge. Elle avait déjà trouvé quelqu’un de plus conforme à ses attentes, qu’elle lui avait dit, une fois le jugement rendu. Il avait du mal à l’accepter mais il devait s’y faire. Il n’avait pas vraiment le choix. C’était ça ou aller lui foutre sur la gueule tellement fort qu’aucun homme mis à part lui-même ne voudrait plus jamais d’elle. Il y avait pensé de longues heures. Il en avait descendu des litres de bourbon à s’en rendre encore plus cinglé. Il avait donc décidé de l’oublier et de trouver quelqu’un. Le truc, c’est qu’il n’arrivait plus à aller vers les autres. Ils trouvaient la plupart des gens bêtes, extrêmement lourds, engourdis, lassants, insipides, prévisibles, banals, stériles, triviaux, sans aucune originalité ; tout bonnement inintéressants… Il se contentait donc d’observer en attendant de dénicher la perle rare. Il croyait dur comme fer à son existence mais rien ne vint pourtant jamais. C’est quelques semaines plus tard qu’il apprit l’existence des sites de rencontres. La toile en regorgeait. Rien n’était apparemment perdu.

Au début, il se prit au jeu. Il appréciait beaucoup le fait de pouvoir choisir sa future partenaire selon les critères qui l’intéressait. Il trouvait même ça génial de pouvoir effectuer un tri afin de ne garder que celles qui auraient pu l’intéresser. Ce n’était pas dans un bar que tu pouvais faire ça. Ni nulle part ailleurs. Il sondait alors le net à la recherche d’un temps qu’il avait foutu en l’air de par ses désirs lubrique. Il avait juste eu le malheur de vouloir être satisfait sur le plan physique. Mais dans une société conditionnée à la monogamie, c’était la crucifixion et la mise au ban de l’opinion assurée.

Il s’était donc mis à surfer sur le web en suivant les conseils de son fils qui avait l’air d’être de son côté et en savait bien plus que lui à ce sujet. Il lui avait refilé quelques adresses. Mais bien vite, il se prit une bonne claque dans la gueule. C’était plus dur que ça en avait l’air. Il ne suffisait pas juste de cliquer d’une page l’autre. La plupart des sites que le rejeton lui avait refilés le conduisait inexorablement tout droit à ces sortes de maisons de passes virtuelles qui faisaient la joie et l’éducation sexuelle des adolescents d’aujourd’hui. Son fils le prenait définitivement pour un vieux pervers. Il désirait pourtant plus qu’une relation vidée de sens. Les sites que lui-même avait trouvé sur Google n’étaient pas vraiment mieux non plus. Oh bien sûr pour la branlette, c’était mieux que les magazines sur lequel il s’était découvert dans sa jeunesse.

Sur les sites plus « sérieux », ces agences matrimoniales style Meetic, la marche à suivre était plutôt rébarbative. La plupart consistaient en un enchainement répétitif de manœuvres. D’abord, on perdait un temps fou à s’inscrire, à confirmer son inscription par mail, à télécharger des photos cadré sous peine de sanctions, à cliquer sans arrêt dans l’espoir de tomber sur une personne qui aurait un quelconque intérêt et qui daignerait répondre. C’était un peu comme bosser à l’usine rencontrer une femme sur le net. La division sociale du travail. L’outil indispensable, néanmoins, restait la bonne vieille carte bancaire. Sans ça, vous pouviez continuer à aller vous branler.

C’était la croix et la bannière et Gérard en prit doucement conscience. Les nombreuses chats room sur lesquelles il passait des heures ne lui apportait que dégout et déceptions. Il n’avait plus l’age de polliniser en passant d’une fleur l’autre ; ce qu’il voulait c’était trouver quelqu’un de fiable avec qui construire quelque chose afin de ne pas passer les dernières années qui lui restait à vivre seul comme un con. Il était effrayé de mourir sans que personne ne s’en aperçoive et que son corps ne finisse dans une fosse commune voire pire. Peut-être était-il déjà trop tard pour lui…

Le fait était qu’il ne connaissait personne dans cette région dans laquelle il était venu se perdre. La petite maison qu’il avait déniché après son divorce couteux ne faisait pas son bonheur. Il avait été obligé de se perdre à la campagne. Il réalisait alors à quel point les centres villes étaient de plus en plus inaccessibles aux personnes les plus pauvres. Il n’avait donc pu se payer qu’une vieille bicoque dans le trou du cul de la France. Elle menaçait même de s’écrouler sur lui. Il avait pensé faire une affaire en acquérant cette ruine qu’il avait envisagé un moment de rénover mais après la venue d’un expert, il ne se faisait plus aucune illusion à ce sujet. Il allait devoir louer, faute de moyen et du courage inhérent à la tâche. Toute l’ossature était bouffée par les termites, les capricornes, les vrillettes, et autres bestioles qui se goinfraient comme des américains. Les planchers des combles et du rez-de-chaussée n’étaient pas droit du tout et menaçait de s’écrouler à chaque pas qu’il faisait. C’était les charpentiers qu’il avait fait venir pour établir un devis qui l’avait prévenu. Ils lui avaient tout de suite dit qu’il n’engagerait pas leur responsabilité en effectuant les travaux. C’était beaucoup trop dangereux. Il aurait fallu que la maison soit vide. Elle était également très mal isolée et ne disposait que d’une cheminée ridicule pour tout chauffer. Il avait dû aller acheter un radiateur électrique pour la seule pièce où il vivait vraiment. Et il y en avait pour tous les goûts. Même Hercule se serait chier dessus et se serait barré en courant en voyant tous les travaux qu’il était nécessaire d’effectuer dans ce taudis. Il y en avait pour le prix de la maison. Ce n’était pas la peine. Il ne pouvait pas se le permettre. Il n’en avait plus la force de toute façon. Il allait donc perdre ce statut de propriétaire qui  lui tenant tant à cœur.

C’était la baise intégrale cette histoire. Il avait contracté une vente à terme sur conseil du notaire, plus avantageuse fiscalement parlant. Ce n’est que par une magnifique bourde des professionnels qui lui avaient vendu cette ruine qu’il pouvait encore se sortir de la merde. Il n’avait pas signé l’acte d’achat final. Il pouvait donc encore foutre le camp dès que possible. L’agence immobilière et l’ancienne propriétaire trempait néanmoins ensemble dans une sale combine et ne voulait pas lui restituer les vingt mille euros qu’il avait déjà déboursé. Il ne se faisait, de toute façon, pas d’illusions. Il ne les reverrait jamais. C’était cadeau.

L’ancienne propriétaire n’aurait surement plus jamais besoin, grâce à lui, d’aller tailler des pipes pour cinquante euros dans une grange.

 

4 comments on “Un divorce coûteux

  1. Une histoire qui me rappelle ….
    Comme toujours j’aime …
    Il faudrait bien nous laisser ici le titre et l’édition de ton dernier roman … 😉

  2. Je ne suis pas encore prêt pour un roman mais vous en serez les premiers informés dès que cela sera le cas… 😉

  3. C’est vraiment la loose ! Pauvre gars, sachant que j’ai bien failli passer par la même case que lui… !

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