Galerie de portraits (2) : Margaret Thatcher.

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Devezh mat, Metz, mont a ra ? L’actualité réserve parfois bien des surprises : on m’aurait dit qu’en commençant cette galerie de portraits avec Jean-Michel Apathie, j’embraierais ensuite sur Margaret Thatcher, je ne l’aurais pas cru. Enfin, c’est le moment ou jamais de faire le portrait de cette personne qui a marqué l’histoire à sa façon, alors ne nous privons pas de cet apparent bond en arrière…

Contrairement à Mélenchon, je ne souhaite pas l’enfer à l’ancienne prime minister britannique ; je ne lui souhaite pas non plus le paradis ou le purgatoire, pour la bonne raison que je ne crois en l’existence d’aucun de ces trois lieux et que je ne crois même pas à l’existence d’une vie après la mort… Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette incroyance n’est source d’aucun inconfort pour moi, bien au contraire : dans le cas présent, c’est même plutôt rassurant, de se dire qu’il ne se trouve aucun lieu où puisse rôder l’âme de la « dame de fer » ; peu de gens me contrediront sur ce point car, alors qu’il est de coutume, chaque fois qu’un personnage public casse sa pipe, d’oublier toute objectivité et de tresser des lauriers au défunt, l’ambiance est plutôt, concernant « Miss Maggie » à n’omettre aucun de ses crimes et à la qualifier, pour les plus polis d’entre nous, de personnage « controversé » : nos médias s’embarrassaient moins de scrupules pour la mort de Reagan, à croire qu’ils en ont eu marre des critiques que cette habitude bête leur attirait, à moins que les ignominies de madame Thatcher sont d’une trop grande ampleur pour permettre toute nécrologie hagiographique ; les grévistes de la faim qu’elle a laissé crever et les ouvriers qu’elle a sacrifiés sur l’autel des appétits grossiers du patronat peuvent s’estimer presque vengés…

Il faut cependant noter un (apparent) paradoxe concernant la « dame de fer » : d’habitude, quand on pense « parangon du libéralisme économique » on pense assez spontanément, aujourd’hui, à un jeune loup aux dents longues toujours pressé en costume trois-pièces, avec attaché-case, oreillette, blackberry et tout le nec plus ultra en matière d’high-tech, genre Laurent Wauquiez ; or le triomphe du libéralisme économique en Europe, on le doit à une dame aux antipodes de cette typologie. Thatcher avait tout de la vieille gouvernante anglaise pète-sec, conne, bête, méchante, médiocre et autoritaire qu’on adore détestait : on aurait demandé à Alice Sapritch, à Catherine Frot ou à Valérie Lemercier de jouer ce rôle au cinéma, aucune d’elles n’aurait été aussi criante de vérité. Obsolète en tout, Thatcher aurait fait merveille pour s’assurer de l’éducation d’un futur « lord » pendant l’ère victorienne, offrant au jeune garçon une vie morose ennuyeuse qui allait en faire à coup sûr un gentleman de façade profondément névrosé…

Son apparence et ses manières obsolètes entraient-elles donc en contradiction avec ses idées « modernes » ? Pas du tout. D’un point de vue moral, elle était homophobe, belliciste voire colonialiste, pro-Apartheid et traitait Mandela de terroriste ; d’un point de vue socio-économique, ce qu’elle proposait n’était ni plus ni moins qu’un retour aux premières années de la révolution industrielle voire au moyen-âge : les patrons ont le champ libre pour s’enrichir à leur guise et ont droit de vie et mort sur des travailleurs qui suent sang et eau pour un salaire de misère, et on se fiche que les gens soient pauvres du moment que le pays est riche. En fait, le tour de passe-passe de Thatcher aura été de travestir cette politique rétrograde en summum de la modernité : quoi de plus préhistorique que d’affirmer que seule compte la loi du plus fort, que chacun doit se débrouiller sans aucune aide, que la vie n’est que compétition ? Et pourtant, cette idéologie de néandertalien, Thatcher l’a vendue comme un modèle de modernisme politique, notamment grâce à l’instauration d’une « novlangue » (rappelons que Thatcher était encore au pouvoir en 1984, l’année où est censée se dérouler le roman d’anticipation d’Orwell…) où « libéralisme » remplace « capitalisme » et où « réforme » remplace  « démantèlement » : va dire que tu es contre la liberté et contre le changement !

Le tour de passe-passe thatchérien était d’autant plus réussi qu’il a durablement défini le cadre idéologique de la droite européenne : en matière de mœurs, les grands pontes de la droite assument totalement le caractère rétrograde de leurs idées, arguant de la nécessité de repères stables dans un monde déboussolé, « oubliant » au passage que les méfaits du capitalisme dérégulés sont pour beaucoup dans la perte des repères dont ils nous rabattent les oreilles ; en matière de mœurs, en revanche, il parent des plumes de la modernité leur programme socio-économique digne du temps des galères, à tel point que la gauche n’ose plus remettre sérieusement en cause ces schémas idéologiques, de peur d’être traitée de réactionnaire…

En fait, la première femme à devenir premier ministre du Royaume-Uni aura surtout été la dernière dirigeante politique occidentale aussi ouvertement désuète, mais en déguisant son obsolescence en modernisme, elle a durablement décomplexé la droite qui revendique désormais pour elle seule le statut de représentante de la modernité, ce qu’elle peut faire d’autant plus facilement maintenant qu’elle ne se traîne plus le bâton merdeux du look de vieille anglaise de Miss Maggie ; la droite était même déjà libérée de ce fardeau depuis plus longtemps vu que Thatcher était déjà morte politiquement depuis une vingtaine d’années… Et oui, c’est bien le problème : la droite européenne a depuis longtemps appris à se passer d’un modèle plus encombrant qu’autre chose dont la disparition relève donc presque du non-événement : la « dame de fer » est morte, mais elle a oublié de noyer ses petits avant de partir !

Conclusion : si Meryl Streep n’était pas si belle et si talentueuse, je ne lui pardonnerais pas d’avoir tourné dans un biopic hagiographique sur Thatcher… Kenavo, les aminches !

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