Quatorze juillet, fête à cons

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Le quatorze juillet, j’ai la rage. Je bave, j’écume et je balance tout ce que j’ai sous la main sur la télévision que je n’ai même pas allumée. Mais je sais ce qu’elle cache sous son écran noir, la garce: des gens bien alignés, bien en rang, qui défilent au son d’une musique qui ferait gerber n’importe quel quidam à qui il reste un tant soit peu de sensibilité esthétique (mais quand on jette un oeil aux ventes d’Indochine, on s’étonne moins que tant de (con)citoyens se pressent contre les barrières pour voir ce désespérant spectacle). Je ne comprends pas qu’on marche en rang, ni à deux ni à cent. Ca me faisait déjà chier à l’école, et encore aujourd’hui mon quotidien s’organise autour de l’idée d’avoir à m’aligner ou à faire la queue le moins souvent possible.

Il n’y a pas que les défilés militaires qui me gavent. Les défilés de mode aussi, je trouve ça du dernier vulgaire. Les happy few qui préfèreraient crever que de rater la semaine de la mode où les prescripteurs de tendance vomissent leur goût de chiottes sur de pauvres femmes qui marchent comme des hérons bourrés, ça me donne aussi de l’urticaire, mais au moins ils n’ont jamais tué personne. Mais les militaires, les seuls qui ont un goût vestimentaire plus émétique que les « créateurs » et Nadine Morano, c’est les pires.

Parlons-en, déjà de la fête nationale, qui commémore à la fois la prise de ce qui restait de la Bastille par une bande de bourgeois désoeuvrés et la fête de Fédération de l’année suivante. Quel est le rapport logique entre la fête du civisme et le carnaval d’une poignée de troufions qui trottinent sous l’oeil impavide du Président qui se demande s’il va pleuvoir comme à chaque fois qu’il met le nez dehors? Et est-ce bien respectueux de faire défiler ceux qui sont tout frais tout resplendissant de santé et pas les  mutilés de tout ce qui est mutilable dans l’anatomie humaine?Certes, le défilé serait un peu longuet car ces braves gens défilent forcément moins vite sur leurs brancards, mais ça aurait au moins le mérite de montrer ce que c’est pour de vrai, la guerre.

A ma connaissance, les seules fois où l’armée fait quelque chose pour l’union du pays, c’est quand il faut traverser le Rhin, la Manche ou la Méditerranée pour aller casser la gueule à un ennemi désigné par des élites qui sont les seules à comprendre pourquoi (mais comme disait Libertad et comme on ne le répètera jamais assez, « pourquoi dit-on toujours imbéciles qui déclarez les guerres et jamais crétins qui consentez à les faire? »). Pourquoi, si ce n’est pour montrer un fois l’an à tous nos voisins qu’on a la plus grosse, et que si l’on essayait de nous envahir, on fera comme d’habitude, on se prendra une trempe en attendant que les Américains viennent nous libérer?

Et puis d’abord, une fête nationale pour quoi faire? Est-ce que j’en ai quelque chose à talquer, moi, d’être français, mosellan ou ressortissant des îles Kiribati? Est-ce bien le moment de donner du grain à moudre à tous les fachos qui se gargarisent d’identité, de frontières, et de tout ce verbiage dégueulasse? De même, en ces temps de rigueur et d’austérité, est-ce bien raisonnable de donner à voir aux gogols des Champs-Elysées où passent une bonne partie de leurs impôts, qui serait mieux employée dans les caisses des associations qui oeuvrent vraiment pour le bien public, ou dans celles de la sécurité sociale, ou pour l’emploi (pour les masochistes qui aiment ça)?

Et ces fameux gogols qui se lèvent à l’aube pour voir ça, ils n’ont vraiment rien de mieux à faire de leur journée, alors qu’il fait beau et chaud, que les tenues n’ont jamais été aussi légères, et que tout incite à l’apéro? D’après toi, les hordes d’immigrés qui viennent tester la solidité des tonfas de nos flics aux frontières, s’ils quittent leurs dictatures ensoleillées à l’année, c’est pour la beauté de nos légionnaires ou parce qu’ils savent qu’ils pourraient couler des jours heureux et élever leur marmaille en gagnant leur vie honnêtement? A mon avis, l’odeur du sable chaud, ils connaissent déjà, merci pour eux.

Et puis tiens, tant qu’on y est: il y a peu, à l’occasion d’une législative partielle dans la brousse du Sud-Ouest de la France, Marine Le Pen a estimé que vu le score de son poulain, on pouvait légitimement avancerque le « Front Républicain » était mort. En ce qui me concerne, je suis assez estomaqué par le fait que quand un facho notoire (comme Le Pen) ou pas encore bien assumé (comme Copé) sort une énormité, on se cache derrière les valeurs de la République. Le front est républicain, jamais démocratique. Or, on peut parfaitement envisager la république sans la démocratie, et la démocratie sans la république. Regardez dans vos livres d’histoire si c’est pas vrai, ou même tous les jours dans les informations.

Tout ça pour dire que finalement, l’armée sur les Champs le quatorze juillet, c’est du bon symbole bien épais, qui participe de la religion du civisme qui permet de ne pas trop se fracasser le ciboulot sur la seule question qui vaille, celle de la liberté. Un peu comme le bout de bain tout sec tout dégueu que le curé te tend en assurant que c’est le corps de son patron.La preuve: tu ne votes pas, tu es ipso facto un salaud de fasciste. Tu as du mal à voir la différence entre la politique économique d’Hollande et celle de Sarkozy: tu es un anarchiste déconnecté de la réalité. Tu penses que tous les uniformes puent la mort, et qu’obéir à une institution juste parce qu’elle existe, c’est aussi con que d’inviter Kadhafi ou Bachar El-Assad au quatorze juillet: tu frises le terrorisme. Tu es certain que la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est très belle mais qu’elle est contredite chaque jours par les faits: tu es à deux doigts de l’exil à St Pierre et Miquelon. Enfin, tu es persuadé qu’on ne devrait jamais manier des notions comme Nation, Armée, France, Patrie, Honneur, qu’avec des pincettes et un masque sur le museau pour se prémunir des leurs effluves fétides: tu devrais être destitué de la glorieuse nationalité française sans laquelle il n’y a pas de bonheur terrestre possible. D’ailleurs, les étrangers devraient avoir honte d’être nés dans leurs contrées exotiques.

D’ailleurs, la démocratie n’est pas une fin en soi, mais un système qui permet de garantir plus ou moins de liberté. La République, je m’en tamponne comme de mon premier feu d’artifice.

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