La rentrée de Monsieur Ducon

chasseur

C’est bientôt l’automne. La nature, tout doucement, se dévêt de sa belle robe verte, celle qui lui va si bien au teint à la lumière du grand machin jaune dans le ciel. En effet, à l’orée de la troisième saison de l’année, en tout cas depuis que l’année commence le premier janvier parce qu’un cuistre a décidé que c’était mieux de faire ça juste après Noël pour ne pas décuver pendant quinze jours, la nature sort du placard sa belle tenue multicolore. Fini l’apéro vespéral, au revoir les tenues lègères qui laissent libre cours à l’imagination de l’érotomane observateur, adieu la glandouille loin du bureau, bonjour la rentrée scolaire et professionnelle, salut l’écharpe et le blouson et le parapluie, et buenas dias les apéros confinés où finalement on est quand même content d’y être. La nature se mue en belle rouquine genre Tori Amos, et la société nous informe que assez déconné les ami(e)s, c’est l’heure de retourner chercher la croissance avec les dents sous peine de se retrouver en vacances toute l’année comme les malheureux Grecs.

Pendant ce temps, quelque part dans un patelin de campagne quelconque, un individu à l’air chafouin ourdit ses armes. Moustache carrée et bedaine proéminente, il prépare son treillis de paramilitaire de chemins de remembrement, il lustre sa carabine, et range soigneusement ses cartouches. Pour préserver son anonymat, appelons le Monsieur Ducon. Ducon s’en souvient bien, lui de la cuite de la dernière Saint Sylvestre. Il s’en bat les flancs que l’année commence le premier janvier ou le seize octobre, tant qu’on le laisse assouvir ses passions pour le gros rouge et le meurtre champêtre et sylvestre. Le réveillon, c’est la dernière fois qu’il a vu le Dédé. En effet, le lendemain le Dédé s’est fait défoncer la trogne à coups de groin par une laie qui protégeait sa couvée. Saloperie de bestiole qui ne respecte pas la hiérarchie divine.

Ducon verse une larmichette fugitive, et reprend son inventaire. Demain, c’est l’ouverture de la chasse. Il aurait bien emmené le gamin, mais tu diras ce que tu voudras, les mômes tu as beau leur apprendre à lire dans le Chasseur Français, ça vaut pas un bon chien. Et puis sa mère ne le laissera pas sécher l’école, pétasse d’intello de mes deux, alors merde. Tous les ans à pareille époque de l’année, Ducon pense à son défunt paternel qui lui a tout appris de la chasse: comment  piéger, traquer, poursuivre, harceler, égorger, fusiller tout ce qui porte des poils, des plumes ou une carte de membre d’une association de protection de la nature. Maintes fois, il lui a intimé de se méfier des bobos de la ville qui ne comprennent rien à la ruralité, à la tradition et aux bestioles mais qui sont bien contents d’avoir un steak dans leur gamelle, et il lui a enseigné à se défier de sa femme parce que c’est toutes les mêmes. Depuis, Ducon n’a cessé de se sentir investi d’une mission. Il est persuadé qu’il joue un rôle dans l’aménagement du biotope, et que sans lui tout le monde crèverait la dalle. Il a presque fini de se persuader que sans la chasse, le blé ne pousserait plus dans les champs. Tu as raison, lectrice/lecteur: Ducon est un peu con.

Toujours pendant ce temps, le règne animal et végétal s’en tamponne royalement de la rentrée. Ce qui intéresse tout ce petit monde, c’est de trouver de quoi vivre jusqu’au retour des beaux jours. A cause de ce salopard de Darwin, il faut incessament développer de nouvelles stratégies de survie et d’évolution, et à cause de ce connard d’hominidé, il faut se magner qui le croupion, qui le tronc, qui le dard. Pour empêcher le lecteur et la lectrice de décrocher, changeons de perspective narrative.

En automne, la belette belote, le cerf rée, les oiseaux gazouillent, la tourterelle caracoule, le renard glapit et la panthère chiale sa mère parce qu’elle s’est perdue en Lorraine. En fond sonore, comme dans les films de Walt Disney, de la musique d’orchestre de chambre résonne joyeusement, et les heureux parents exhibent leurs petits tout nouveaux et tout kawai. Tiens, regarde-les et dis moi que c’est pas mignon:

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Mais aujourd’hui dans la forêt, c’est un jour particulier. En effet, des petits louveteaux ont pointé le bout de leur museau dans le Massif Vosgien. On les aurait entendu hurler dans la nuit du 29 au 30 août. Des années que ça n’était pas arrivé dans le coin. Si tu es un lecteur assidu du Graoully Déchaîné, tu sauras que pour moi c’est une aussi bonne nouvelle que la fin du salariat, une caisse de vin rouge gratuite par jour, ou une proposition de ménage à trois émanant de Scarlett Johanson et Natalie Portman.

Hélas, crotte de bique et boyau de chat et son père la pute (pour respecter la parité dans la grossièreté), rien de beau ne dure jamais dans cette vie de con. Car c’est l’automne, et déjà Ducon s’est réveillé et s’est enfilé son petit dèj’ au Ricard avec ses copains pour flinguer à qui mieux mieux. Déjà le berger, fourbe, laid et malhonnête menace de dézinguer du canidé pour protéger ses esclaves ovins, avec la complicité de la préfecture des Vosges et du ministère de l’Environnement, au lieu de devenir végétarien et de se trouver un métier honnête. Et du beau tableau ci-dessus, il ne reste que des corps mutilés, des flaques de sang et les rires gras des gros connards qui pensent que c’est un loisir comme un autre.

On en fait des tonnes avec une éventuelle intervention en Syrie. On a laissé crever je ne sais combien de milliers de personnes avant de décider que peut-être, une petite guerre, ça défoule et ce n’est jamais mauvais pour la croissance. Et pour les bêtes, rien à talquer. On continue d’équarrir, de chasser, de pêcher, de torturer, de maltraiter, que ce soit en plein air ou en usine ou dans des arènes sous le regard débile d’un public stupide qui ne pense qu’à bâfrer, parce que c’est la tradition mon pote. Il n’y aura plus un habitant dans tout le Moyen Orient avant que ça ne change.

Tu vas me dire: « c’est pas comparable, en Syrie, c’est de vraies gens, là c’est juste des bêtes, c’est pas gentil de leur faire du mal mais tu peux pas dire ça quand même ». Bien sûr que si je peux, la preuve je viens de le faire. Quant à M. Ducon et au berger, je leur souhaite une saison de chasse bien tragique, en espérant qu’ils n’auront pas l’occasion de voir la nature mettre son blanc manteau.

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