Le matérialisme érotique

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Chamfort (le poète, pas le chanteur) avait une fort belle maxime qui a elle seule aurait dû mettre au chômage tous les philosophes de plateau télé et les dispenser de leur oiseux verbiage si Kant n’était pas passé par là. Elle s’énonce comme suit: « Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale ». Clair, net et précis. Tu me diras, ça ressemble au « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit« , sauf qu’il y a en plus un principe vitaliste réjouissant qu’on ne retrouve pas chez Christine Boutin ou Béatrice Bourges.

Ce brillant aphorisme fut rédigé au XVIIIè siècle, aussi faut-il se garder de croire que le verbe jouir ne s’applique qu’à cette activité éminemment ludique qui peut se pratiquer aussi bien en intérieur qu’en extérieur, en simple ou en double, je ne parle pas du tennis mais bien du sexe. On peut jouir d’une agréable compagnie, d’un bon livre, d’un bon repas, d’un beau paysage, d’un merveilleux voyage, ou des progrès de la technologie quand on voit comment Photoshop peut redonner un teint de jeune communiante à Marie-Jo Zimmermann.

Mais voilà, en ce moment, pas le choix, le cul est partout alors on va en parler. Hollande, quand il ne se promène pas avec un panneau « Free hugs » en étendard à l’entrée du Medef, fait la une de la presse en lutinant une sociétaire de la Comédie Française. Les réactionnaires de tout poil voudraient que le mariage soit réservé aux vieux cons impuissants et à leurs rombières frigides. Poutine veut bien que les athlètes puissent déféquer à deux à la condition expresse que leurs anus restent réservés à cet usage. Le toujours très classe Copé s’insurge du fait qu’on apprenne aux enfants qu’ils possèdent un corps. En bref, on parle de cul à longueur de journée, mais comme pour les frites, ce sont les refoulés qui n’ont que ça à la bouche (je sais que le jeu de mots, quoique non intentionnel, est indigne de la chronique immondaine. Mais tu ne m’enlèveras pas de l’idée que si l’hostie c’est le corps de Jésus, c’est tout le corps de Jésus et pas seulement les parties nobles. En vertu de quoi les cathos sont non seulement des cannibales mais aussi de grosses bitches).

Et les meilleures analystes de bistrot, l’odorat affiné par le picrate et le Picon-bière, de renifler le retour à l’ordre moral et le fumet infâme des années 30, qui comme le disco et les coupes de cheveux ridicules des footballeurs, reviennent de façon cyclique. En réalité, la crise économique et les sacrifices afférents et prétendument inévitables, le sexisme, l’homophobie, ou l’antisémitisme ne sont jamais vraiment partis, on les met juste un peu de côté quand ça va pas trop mal. Mais bon, il paraît que c’est le propre des périodes qui précèdent les guerres que de réclamer plus ostentatoirement le retour aux valeurs éternelles, au triptyque travail-famille-patrie, et que de prier l’honnête individualiste d’aller brûler en enfer. Sans aller se faire foutre, car il serait capable d’y prendre du plaisir, le bougre.

Dans le camp d’en face, on prône avec justesse l’égalité des droits, l’évolution de la société, et un bienveillant scepticisme tout laïc à l’endroit des préceptes religieux et nationalistes. Tout ça c’est très joli, mais nos tenaces adversaires pourraient rétorquer que l’égalité ça coûte cher et qu’il y a des priorités économiques, que l’évolution de la société c’est aussi les familles monoparentales qui triment d’autant plus que le parent en charge des enfants est bien souvent une daronne, et que la morale laïque est parfois aussi passéiste que la morale des calotins. D’ailleurs, c’est grosso merdo la même, sauf que Dieu a fait comme Jospin et s’est retiré de la vie politique. A moins que ce ne soit la vie politique qui ait viré Dieu et Jospin, je ne sais plus.

Alors, continuons à parler de cul. Quoiqu’en pensent les grenouilles de bénitier, la sexualité n’est qu’un aspect de la définition du genre, mais là on parle de cul et d’amour, alors on verra le reste plus tard. Wilhelm Reich, avant de fondre un fusible et de chercher des aliens et des orgones, avait pondu une brillante théorie sur la fonction de l’orgasme. Freud, comme un vulgaire Copé, ne s’était intéressé qu’aux stades infantiles de la sexualité, et son élève lui a fait remarquer qu’il y avait encore une vie sexuelle après l’enfance, qui pouvait porter son lot de traumas. Il remarque que la société porte en elle une peste émotionnelle, qui peut se résumer en un ramassis de frustrations qui empêche le corps et la physiologie d’exprimer son potentiel ( « les meurtres sexuels et les avortements criminels, l’agonie sexuelle des adolescents, l’assassinat des forces vitales chez les enfants, l’abondance des perversions, les escadrons de la pornographie et du vice, l’exploitation de la nostalgie humaine de l’amour par des entreprises commerciales et des publicités avides et vulgaires, des milliers de maladies psychiques et somatiques, la solitude et la dislocation généralisée, et par-dessus tout ça, la fanfaronnade névrotique des sauveurs en herbe de l’humanité« ).

Comme le Wilhelm traînait un peu chez les cocos, il a d’abord mis ça sur le dos du capitalisme. Puis quand le PC l’a mis à la porte et qu’il est revenu à de meilleurs sentiments, il a compris que tous les systèmes qui portent un idéal -et donc un fétichisme- et un désir collectif, faisaient peu ou prou la même chose en annihilant le désir individuel. En résumé, Reich ne voit pas le désir sexuel comme un manque, mais comme un excès d’énergie qu’il faut évacuer. (vous le noterez pour vos partouzes mondaines) qui donne du sens au « jouissez sans entraves » de mai 68.

Tout aussi jubilatoire, Otto Gross est l’un des fondateurs du freudo-marxisme. Toxico, anar, nietzschéen, précurseur de DADA (bref, un homme selon mon cœur), il comprend que toute révolution est vouée à l’échec tant qu’on n’aura pas détruit la famille, le patriarcat, la monogamie comme la polygamie, et le conflit entre l’individu désirant et la société qui allume mais qui n’offre rien. Il prône le retour au matriarcat qui garantirait l’impossibilité de la domination d’un genre sur l’autre et une sexualité exempte de culpabilité. Sa pensée est assez proche de celle de Reich, si ce n’est qu’elle est encore plus radicale, donc je ne vais pas en faire des tartines. Retenons que ce n’était pas le genre de gars à faire des vœux d’éternité ou à se demander si les homosexuel(le)s feraient d’aussi bons parents que les hétéros; il tranche et prône l’affinité sélective et la volonté de pouvoir.

J’ai pour principe de ne jamais accorder ma confiance à un(e) politique qui veut rétablir le plein-emploi (ou à tout le moins, créer de l’emploi, pour rester à peu près crédible). Je n’en accorderai pas plus à un(e) candidat(e) qui n’aura pas de mesures pour rétablir le plein-orgasme.

 

 

 

 

 

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