Observations sociologiques au sein d’un groupe de figurants de cinéma (1)

10-28-Woody Allen

J’avais été un peu étonné que Mikaël Tygréat ait si peu de choses à dire sur sa participation au film Bowling ; aujourd’hui, je comprends mieux : j’ai récemment fait de la figuration sur le plateau du prochain film de Marion Vernoux, dont les premières scènes ont été tournées à Brest, et force m’est de reconnaître qu’à moins de broder à mort, il n’y a pas grand’ chose à raconter sur une telle expérience, du moins si on s’en tient au tournage lui-même : pour les anecdotes savoureuses, vous repasserez, ce n’est pas avec quelques minutes où l’on joue un passant en pleine virée nocturne qu’on a de quoi écrire un livre ! Je pourrais aussi vous dire que j’ai eu froid, mais je ne vais pas vous torcher tout un papier rien que pour vous parler du temps qu’il fait ! L’équipe du film ne m’aide pas beaucoup puisqu’il faut bien reconnaître que nous, figurants, avons été accueillis tout ce qu’il y a de plus aimablement, et les gens heureux n’ont pas d’histoire… Sans compter que, depuis que la sortie d’un making of est devenue un passage obligé pour toute nouveauté cinématographique, plus personne n’ignore comment se déroule le tournage d’un film – au passage, la « magie du cinéma » en prend inévitablement un coup, mais bon. Je ne vais pas non plus vous raconter l’histoire, vous n’aurez qu’à attendre la sortie du film, prévu pour l’année prochaine.

Non. Ce dont je voudrais vous entretenir, chers lecteurs du Graoully déchaîné, c’est des observations à la limite de la sociologie que j’ai pu faire au contact des autres figurants ; vous le savez peut-être, je prépare une thèse de philosophie, ce qui veut dire que je passe beaucoup de temps à travailler à l’Université et que je ne sors de ce cadre plutôt feutré et dédié à l’étude que pour exécuter les textes et dessins grâce auquel j’alimente votre webzine préféré : autant dire que ma vie n’est pas des plus palpitantes qui soient et que j’ai rarement l’occasion de rencontrer d’autres personnes que les universitaires que mes études m’amènent à fréquenter. Or, cette expérience cinématographique m’a justement donné l’occasion d’approcher des individus qui ont à peu près mon âge mais que je n’aurais sans doute pas rencontrés autrement… Passons rapidement sur les difficultés socio-économiques avec lesquelles ils se dépatouillent tant bien que mal (études, fin d’études, stages, CDD, recherche d’emploi, etc.) et concentrons-nous plutôt sur certains phénomènes que je trouve presque plus préoccupants que la précarité pour la bonne raison que, contrairement à cette dernière, ces gens assez jeunes ne voient pas l’utilité de lutter contre eux… Tout d’abord, une fois réglées les formalités avec Manon, la responsable du casting des figurants (contrats, explications, etc.) et la question de l’habillement réglée avec la costumière, la conversation entre les vingt individus présents dans la petite chambre d’hôtels qui les accueillait a eu un mal de chien à s’engager : il s’est sans doute passé deux bonnes heures au cours desquelles, attendant l’heure d’entrer sur le plateau, les figurants ont pianoté sans interruptions sur leurs smartphones… Je n’ai vu qu’une seule personne sortir un livre de son sac ; on avait beau être nombreux pour la petite salle, je me sentais très seul, d’autant que j’étais sans doute le seul à ne pas posséder de smartphone – on m’a même fait la remarque que mon mobile se résumait à une « cabine téléphonique », ce qui est tout à fait vrai mais semblait véritablement exceptionnel aux yeux de la jeune femme qui a formulé ce jugement… Pour l’anecdote, j’ai sorti la vanne « un téléphone intelligent, ça ne sert à rien tant que l’utilisateur reste un con ! » ; je m’attendais à ce qu’on me réponde que cette plaisanterie était éculée, remarque que m’avait faire mon oncle, instituteur à la retraite : bien au contraire, mes interlocuteurs n’avait jamais entendu cette blague que je croyais plus qu’éprouvée ! J’avoue que je n’ai apprécié qu’à moitié de les faire sourire…

J’ai encore beaucoup à vous raconter, et je préfère garder le reste pour les jours à venir afin de ne pas vous noyer sous des flots de parlottes. À suivre…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *