« Charlie » et moi. Chapitre 20 : 2015, « …C’est Reparti ! »

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Avant les attentats du 7 janvier, je ne parlais presque jamais avec mon directeur de thèse, monsieur Pascal David, de ma passion pour le dessin satirique ; preuve qu’il y aura eu un « avant » et « après » 7 janvier, la fameuse « une » post-attentats de Luz aura été la première image satirique qu’il a commentée devant moi. Il l’a trouvée « émouvante », opinion que je partage avec lui.

Après tout, qu’est-ce qui nous dit que le barbu représenté sur ce dessin est bien Mahomet ? Si ça se trouve, c’est simplement un imam barbu qui désavoue la barbarie des djihadistes, comme l’immense majorité des musulmans de France ! Et puis ce que je retiens surtout, c’est ce regard d’enfant cruellement blessé, semblable à celui qu’arborent probablement ceux qui ont eu le douteux privilège de survivre, désormais hantés à vie par ces images terribles ; car c’était bien de ça dont il s’agissait : de grosse brutes sans courage étaient entrées dans le parc de jeux des enfants et avaient tout cassé. Cabu, Charb, Wolinski, Honoré, Tignous et Oncle Bernard étaient resté à l’âge des jeux, leurs assassins, eux, sont restés à l’âge bête ! Et si c’était ça, finalement « être Charlie » pour de vrai, c’est-à-dire pas simplement quand on est ému par des attentats sordides en attendant de pouvoir passer à autre chose ? Et si « être Charlie », c’était rester un grand enfant ? Ils avaient trouvé le secret de l’éternelle jeunesse et ils les ont butés, ces cons ! Ils avaient réussi là où j’avais échoué, à savoir entrer dans le monde des adultes en gardant leur innocence intacte : je trainais déjà une blessure incurable depuis mes six ans, on m’en a offert une seconde pour mes vingt-six ans, sympa ! C’est dire si je ne porte pas trop dans mon cœur ceux qui sont allés cracher sur leurs cadavres à peine refroidis ; ça vaut aussi pour les vampires mercantiles qui ont accumulé des stocks d’exemplaires du « journal des survivants » pour les revendre à des prix fous : je n’ose pas imaginer ce qu’ils auraient fait en 1940 ! Mais je n’ai pas eu à enrichir leur trafic puisque j’ai obtenu mon exemplaire gratuitement grâce à Jérôme, le président du Graoully, mon cousin de Lorraine…

Alors bien sûr, la vie a repris, bon gré mal gré ; comme l’a dit Cavanna à la fin des Russkoffs, « il faut bien vivre puisqu’on ne meurt pas » : j’avais encore une thèse à terminer, il a bien fallu reprendre le boulot. Et puis je ne pouvais pas abandonner le dessin : il n’y a jamais eu autant de monde pour s’intéresser à mon travail qu’après le 7 janvier… Inutile de dire que c’est typiquement le genre de succès dont on se passerait bien ; pourtant, qu’on ne compte pas sur moi pour égaler Cabu qui était et reste encore mon maître à caricaturer. On a les caricaturistes qu’on mérite, il fallait défendre les meilleurs tant qu’ils étaient vivants au lieu de les traiter de racistes ! Bref, c’est comme la chanson de France Gall : on continue à créer, on continue à rire, à réfléchir, à refaire le monde… Mais rien à faire, ce n’est plus comme avant.

Puis après des semaines d’absence, Charlie est revenu dans les kiosques avec cette une « flamboyante » de Luz qui épingle tous les ennemis du journal, c’est-à-dire non seulement les djihadistes mais aussi le Front National, Sarkozy, les banques, l’Église, les médias pourris… Mine de rien, ça faisait beaucoup de monde qui avait fait mine d’être « Charlie » après le 7 janvier mais n’en pensait sûrement pas un mot ! Ça fait aussi beaucoup de fléaux contre lesquels il fallait se battre avec l’arme un peu dérisoire de la caricature… En le feuilletant, j’avais les larmes aux yeux : je retiens l’édito de Riss, les colonnes de Luz et, surtout, le récit par Philippe Lançon de son séjour à l’hôpital qui m’a fait comprendre que je ne pourrais souffrir autant que lui… Pour la première fois, ils me faisaient vraiment pleurer et pourtant, ils étaient fidèles à eux-mêmes, c’est-à-dire sincères, vachards, sans concession… Être un anti-faux-cul, ça n’implique pas forcément d’être toujours drôle, loin s’en faut !

Le soir même du jour de la sortie du numéro, je me suis rendu à une scène ouverte à laquelle participait Johanna, une jeune chanteuse soutenue par l’Association DécouverteS et dont j’admire sincèrement l’incommensurable talent vocal ; manque de bol, parmi les participants, il y avait aussi un jeune rappeur qui interpréta une chanson dont le refrain était « Charlie Hebdo attise la haine mais ce n’est pas une raison… » En d’autres termes, il désapprouvait les attentats (c’était bien la moindre des choses), mais ce qu’il disait, il l’aurait dit aussi bien pour Minute ou Valeurs actuelles si l’un de ces torchons fachos avait subi le même sort – ce que j’espère ne voir jamais arriver, de peur de devoir être solidaire de ces feuilles nauséabondes ! J’aurais dû prendre mon mal en patience, mais seulement voilà : j’avais le cœur lourd d’avoir lu le nouveau Charlie, j’étais très fatigué par une journée de rude travail, j’étais déjà malade comme un chien (ce que je n’osais pas encore m’avouer, ayant la sale manie de faire du déni quand je tombe malade) et, en plus, à quelques exceptions près comme mon petit copain Rudy Moreul, je ne suis pas un fou du rap que je ne supporte pas à haute dose… Bref, j’ai pété les plombs : quand ce jeune homme a fini sa chanson, j’ai craqué, j’ai sorti mon exemplaire de Charlie de mon sac, je l’ai brandi et j’ai hurlé « Moi, je lis Charlie et je vous emmerde ! » Les jeunes qui étaient dans la salle, qui étaient venus spécialement de la région parisienne pour cette soirée (qu’on ne me dise pas que ma bonne vieille ville de Brest n’est pas attractive !), n’ont pas trop apprécié mon intervention et me l’ont bien fait comprendre… Je m’en voulais d’avoir compromis l’ambiance dans laquelle Johanna allait chanter ! Pourtant, je n’arrive pas à regretter complètement mon geste… Brutal ? Peut-être. Peu constructif ? Indéniablement. Mais je vous jure que ça venait du cœur : en fait, j’avais libéré d’un seul coup tout ce que j’avais accumulé sur le cœur ces deux derniers mois et que le 11 janvier n’avait pas suffi à calmer… En tout cas, la chanson que j’incriminais et la réaction du public prouvent l’urgence du combat qui reste à mener : donc, tant mieux si, comme l’annonce Luz,… C’EST REPARTI !

FIN

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