La comète

Comet-ISON-Damian-Peach

Alexandra, mon amour,

C’est avec une main tremblante d’émotion que je t’écris ces quelques mots, tant je reste et resterai à jamais ébloui par ta grâce et ton éclat qui éclipsait jusqu’à la lumière des projecteurs de ce cirque qui ne te mérite pas, ce cirque minable de ton propre aveu, ce chapiteau miteux dont notre rencontre fut la rédemption. Le destin avait voulu que nos routes y convergent, pour des raisons totalement différentes : moi pour accompagner mon neveu qui voulait tant assister au spectacle, toi pour y réaliser ton rêve de petite fille et devenir trapéziste.

Moi, pauvre ours sans joie ni passion qui ne sors que pour aller gagner mon pain quotidien, je m’ennuyai durant tout le spectacle jusqu’à ce que tu apparus sur la piste, éclairant mon ennui, mieux encore que le plus magnifique des clairs de lune. Je n’étais venu que pour surveiller un petit diable, je rencontrai l’ange de lumière, virevoltant dans les airs et dans toute la splendeur de ta légèreté, aérienne colombe qui apporta la paix à mon esprit jusqu’alors en perpétuel état de guerre avec l’aigreur et la routine. Par quel miracle ai-je trouvé le courage, que dis-je, l’audace, après la représentation, d’aller à ta rencontre et de frapper à la porte de ta caravane, si modeste demeure pour celle à laquelle seul siérait le trône d’Aphrodite ?

Exténuée mais rayonnante, tu venais tout juste de te délester de ton justaucorps de scène pour retrouver les habits qui te faisaient femme parmi les femmes, divinité ayant consenti à l’incarnation pour éclairer ce triste monde ; mais ton pull torsadé ne me trompait pas, la déesse était toujours là, ce modeste équipage, en te ramenant à la réalité d’ici-bas, te rendait plus belle encore. D’un sourire de madone, bonne hôtesse, tu m’invitas à partager ton maigre repas ; je bafouillai péniblement quelques paroles de félicitations puis bus tes paroles : indifférent à l’impatience de l’enfant que j’avais laissé dehors, je redevins moi-même petit garçon, écoutant la douce et chaude voix maternelle me bercer d’une belle histoire et ne manquai pas une miette du récit de ta vie, tes parents et tous les autres adultes castrateurs qui désapprouvaient ton rêve de devenir saltimbanque, tes années d’entraînement ardu, tes déceptions et tes lueurs d’espoir, jusqu’au jour où tu fus enfin engagée comme trapéziste à temps plein dans ce cirque que tu n’aimes pas, fleur sur ce tas de fumier où croupissent les clowns dépressifs, les dompteurs alcooliques et le patron véreux. Tu gardes néanmoins le sourire, supportant courageusement les regards lubriques et les paroles sexistes de tes lamentables collègues, rien ne pouvant ternir ton bonheur de réaliser tes justes rêves, même au rabais.

Je dus te quitter, devant mettre au lit le petit monstre que ma sœur m’avait confié ; mais j’allai te revoir le lendemain et encore le jour suivant, toujours plus brûlant d’amour pour toi qui m’accueillait toujours avec chaleur et gentillesse, heureuse de rencontrer quelqu’un qui te considérait comme un être humain et non comme une simple attraction. Le quatrième jour, j’appris que tu allais devoir partir avec le cirque : je te rendis donc une visite d’adieu au cours de laquelle, n’y tenant plus, je te déclarai ma flamme ; ton regard de saphir s’éclaira et tu posas ma bouche sur la mienne pour toute réponse. Dans ce cirque, tu n’avais pas seulement réalisé ton rêve d’enfance, tu avais aussi réalisé ce à quoi je n’aurais jamais osé seulement rêver. Nous passâmes la nuit en une communion charnelle d’une tendresse indicible, une nuit mille fois plus belle qu’aucun jour de ma vie.

Au petit matin, alors que la voix de soudard de ton patron venait troubler notre communion en t’intimant l’ordre d’atteler ta caravane, tu te déclaras prête à abandonner ton cirque pour terminer ta vie à mes côtés ; je réalisai alors cruellement que, dans ma triste existence de courtier en assurances, je n’avais rien à t’offrir si ce n’est un quotidien morne et sans éclat. Avais-je le droit de mettre l’oiseau de paradis dans une si horrible cage ? Comment aurais-je pu m’arroger le droit de disposer seul de ta liberté ? De quel droit t’aurais-je forcée à sacrifier tes rêves de petite fille sur l’autel d’un hypothétique bonheur conjugal que j’étais bien incapable de t’apporter ? Quelle faute aurais-tu pu commettre pour mériter la réclusion dans la cellule de mon HLM, avec pour geôlier le minable que je suis ? C’est pourquoi, spontanément, je répondis par ces mots forcément grotesques venant de moi : « Non ! Va ! Sois libre ! » Et à peine rhabillé, courant comme un détraqué, je t’esseulai, toi qui étais encore dans la splendeur de ton abandon à la passion ; je vois encore ton pauvre visage, toujours divin et pourtant abasourdi.

C’était il y a deux mois à peine ; sans doute m’as-tu pris pour un Dom Juan, pour un séducteur qui jette les femmes dans la poubelle de sa mémoire une fois sa concupiscence passée. Comme tu te trompes ! Ma mélancolie a continué à couler dans le caniveau sale de mon existence. Je n’ai pas fréquenté d’autre femme depuis notre séparation, aucune créature humaine ne pourrait te remplacer dignement dans mon cœur. Je n’ai pourtant pas à regretter mon geste si peu élégant car j’ai eu l’heureuse surprise d’apprendre que le patron d’un cirque plus prestigieux t’avait remarquée et embauchée avec, à la clé, un salaire confortable. Ton rêve est donc pleinement réalisé, la petite fille que tu étais est comblée : aurais-tu eu la même chance si tu m’avais suivi ? Je peux t’assurer que non. Telle une comète, tu as éclairé mon ciel le temps d’un éclair mais je t’ai laissée à ta liberté pour que tu puisses briller dans d’autres galaxies moins sinistres que la mienne.

Mais tout n’est pas dit. Tu le vois, au terme de recherches laborieuses qui m’ont valu quelques nuits blanches, j’ai réussi à trouver une boîte postale pour t’écrire : tu as maintenant toutes mes coordonnées. Tu n’as qu’à dire un mot. Un mot et je ferai ce que j’aurais dû faire il y a deux mois : te proposer non pas de te joindre à moi mais que, moi, je me joigne à toi ; je suis prêt à tout abandonner pour toi Si tu me le demandes, j’accepterai n’importe quel travail dans ton cirque, même le plus ingrat, même le plus mal payé, tout pourvu que tu sois là. Et si tu m’as déjà oublié dans les bras de quelque bellâtre gominé, je m’y résignerai et me replierai dans mon antre de médiocrité avec, pour seule richesse, un amour qui durera pour toujours.

Fabrice

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *