La petite semaine du professeur Blequin (29)

LUNDI 23 JANVIER

– Bonjour, madame Kervella.

– Bonjour, professeur ! Ben dites-moi, vous voilà bien trempé ! Vous êtes allé voter, finalement ? Hi ! Hi !

– Oh, ça va, ça va ! D’accord, je me suis planté en disant que le bureau de vote le plus proche de chez moi était à Morlaix ! Mais je vous assure qu’une semaine avant le premier tour, c’était encore ce que je lisais sur leur site ! J’ai eu tort de ne pas attendre la mise à jour, c’est tout ! Mais je ne vous cacherai pas que s’il n’y avait pas eu Benoît Hamon, je ne serais probablement pas allé voter !

– Vous l’aimez bien, hein ?

– Vous savez quelle est la différence entre lui et Manuel Valls ? C’est très simple : Valls se présente pour ne pas perdre tandis que Hamon se présente pour gagner ! Valls ne croit pas à la victoire de la gauche pour la bonne raison qu’il n’est PAS de gauche : il est persuadé qu’il faut chasser sur les terres de la droite ! Il n’a pas encore compris qu’il est vital de s’adresser à nouveau à cette frange de la population qui est tentée par l’extrême-droite parce qu’elle se sent abandonnée par l’administration Hollande. Hamon, lui, n’a pas cette difficulté : il saura parler au peuple.

– Si je vous résume, pour vous, Valls est un candidat négatif comme l’était Jospin en 2002 tandis que Hamon est un candidat positif comme l’était Hollande en 2012 ?

– Je dirais plutôt comme Rocard en 1980, mais vous avez compris l’essentiel.

MARDI 24 JANVIER

– On dirait que votre webzine connait une nouvelle jeunesse, avec ses nouveaux rédacteurs…

– Ce n’est pas moi qui m’en plaindra : depuis que je suis monté à bord du Graoully, en 2010, j’ai tellement donné pour ce site, je me suis tellement démené que je ne pourrai plus y mettre la même énergie que jadis sans prendre le risque de me répéter. Aujourd’hui, cette rubrique dominicale me suffit amplement, d’autant que j’ose enfin y parler en mon nom propre et y mettre mes angoisses, mes doutes, mes interrogations sans me sentir obligé de me cacher, comme au début, derrière un personnage d’homme d’esprit au-dessus de la mêlée que je serais bien incapable d’incarner dans la vraie vie.

– C’est vrai que, par exemple, vous ne faites plus de revues de presse comme autrefois. Pourtant, il y a toujours des choses à dire !

– Je ne vous le fais pas dire : par exemple, deux jours après le premier tour des primaires de la gauche, Le Télégramme de Brest titrait « Cafouillages en coulisses » ! Le fait qu’un vrai mec de gauche fût arrivé en tête passait au second plan au profit de ces dysfonctionnements sans commune mesure avec le spectacle lamentable que la droite nous avait offert avec la gué-guerre Copé-Fillon ! Quant à l’éditorial du vieux Coudurier, il était, comme à son habitude, imbuvable : pour lui, Hamon ne pouvait représenter que la gauche « archaïque », comprenez celle qui ne s’accommode pas que le capitalisme sauvage impose sa loi aux peuples ! Chaque fois que j’ai le malheur de le lire, je me sens insulté !

MERCREDI 25 JANVIER

– Décidément, vous et les Coudurier, vous ne vous entendrez jamais… Vous avez vu la une du Figaro Magazine ?

– Un peu que je l’ai vue ! Au moment même où Trump inaugurait son mandat en interdisant le financement des ONG défendant l’avortement et réclamait de l’argent au Mexique pour achever de murer la frontière, le Fig-mag titrait « et s’il faisait le job ? » Effectivement, il le fait dans la conception que le Fig se fait du « job » ! Tirer à vue sur les femmes et sur les immigrés, voilà le « job » tel que le conçoit le journal de monsieur Dassault !

JEUDI 26 JANVIER

– Sans compter que pour un marchand d’armes comme Dassault, Trump est un client sérieux potentiel…

Marianne, c’est pas mieux : je croyais qu’il n’y avait que L’Express pour croire que Mélenchon était dangereux et voilà que l’hebdo fondé par Jean-François Kahn titre « Mélenchon peut-il vraiment y arriver ? » Visiblement, ils ont moins peur de Le Pen que de Mélenchon ! Rien d’étonnant venant d’un journal qui, pendant les années noires du sarkozisme, reprochait à Hortefeux de ne pas aller assez loin dans sa politique d’expulsion !

– Non, sans déconner ?

– Je vous jure ! C’est là que j’ai compris à quoi menait le souverainisme tel que le pratique ce journal ! Depuis, je me suis juré de ne plus gaspiller mon RSA à l’enrichir…

– Oh, de toute façon, ces journaux-là, ce ne sont pas les acheteurs qui le financent, ce sont les pubs…

VENDREDI 27 JANVIER

– Dans un autre ordre d’idée, je suis aussi tombé sur cette pub pour Le monde diplomatique où l’on voit des électeurs de Trump fêter l’élection de leur champion : si je me mettais à dessiner les Américains comme ça, on m’accuserait d’anti-américanisme primaire ! Il n’y avait que des blancs et l’un d’eux ressemblait à Homer Simpson ! Si c’était vraiment « l’Amérique qui souffre » qui avait élu le milliardaire, on aurait au moins vu un noir, un latino… Mais non : la foule qui acclamait le tribun populiste était noire de blancs ! Ce ne sont pas les panses vides qui ont voté pour lui mais les panses pleines qui ont peur de manquer !

– Et quand on voit ces manifestations monumentales contre le nouveau président, on se demande s’il n’a pas acheté les élections !

– Pas impossible, mais je crois surtout que c’est parce que ça leur faisait trop mal aux seins de voter Clinton qu’ils ont laissé Trump s’installer : je vous parie que dans la manif des femmes, il y a au moins eu une fille pour demander  à sa mère « Maman, où tu étais, quand on pouvait encore empêcher Trump de gagner ? »…

– …et la maman a dû lui répondre « ta gueule » !

– Je ne vous le fais pas dire ! Alors soyons moins cons que les Ricains : votons !

SAMEDI 28 – DIMANCHE 29 JANVIER

– Du coq à l’âne, vous ne trouvez pas qu’elle part un peu en couille, votre rubrique, cette semaine ?

– Que voulez-vous dire ?

– Ben d’habitude, vous commencez en commandant ce que vous voulez boire et ensuite, vous énumérez, dans l’ordre chronologique, ce qui vous a marqué durant la semaine écoulée ! Là, vous avez commencé en parlant de ce que vous avez fait aujourd’hui et vous avez poursuivi en faisant une revue de presse qui ne portait pas son nom !

– …

– Bon, ne dites rien, laissez-moi deviner : malgré les mots de réconfort de vos amis, les élections à venir vous angoissent, vous savez que vous risquez d’être hyper chiant à vivre pendant les trois mois à venir parce que la moindre contrariété prendra des proportions hallucinantes et vous n’arrivez même plus à vous fixer la discipline nécessaire pour alimenter cette rubrique suivant les règles que vous aviez établies. C’est ça ?

– Puisque vous faites les questions et les réponses !

– Bon. Qu’est-ce que je vous sers ?

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