Le journal du professeur Blequin (60)

Mardi 25 février

11h30 : Je ne sais pas si je vous en ai déjà parlé, mais mon immeuble est situé en contrebas, au fond d’une impasse à l’entrée étroite : les voitures ont tendance à passer devant sans la remarquer. Il faut croire que cette situation déplait aux gens chargés de la collecte des déchets : voilà des mois que mon HLM est privé de poubelle jaune ! Alors pour mes déchets recyclables, je n’ai pas 36 solutions, je dois les mettre dans les poubelles jaunes d’autres habitations. Je sais que c’est risqué et que les gens voient ça d’un œil aussi mauvais que si un clochard venait planter sa tente dans leur jardin, mais vous voyez un autre moyen ? J’ai notamment recours à la poubelle jaune d’une vieille baraque pourrie que longe l’impasse. J’ai vu une camionnette stationner devant cette bicoque, il n’y a pas longtemps, pour la vider d’une partie non négligeable de ses meubles, j’étais donc persuadé que la maison était désormais vide et que la vieille folle qui l’occupait avait été déplacée dans un centre spécialisé : je suis donc tombé de haut en découvrant qu’il n’en était rien et qu’elle était toujours là ! Elle m’a repéré, elle m’a jeté une boîte de conserve et est apparue à sa fenêtre qui était grande ouverte (on ne ratait rien des programmes de sa radio qui était allumée à fond la caisse) en hurlant que si elle m’y reprenait, elle appellerait les flics ! C’est pourtant moi qui serait le plus en droit de me plaindre : elle aurait pu m’ouvrir le crâne, avec sa boîte ! Mais si je m’adresse à la police, à tous les coups, ils vont considérer que c’est la parole de la vieille dame seule contre celle du jeune homme à cheveux longs, autant dire que je partirai perdant : de toute façon, à mon sens, le cas de cette vieille sociopathe relève de la psychiatrie ! Que voulez-vous que je pense d’une vieille peau à moitié clochardisée, à peine capable d’aligner deux mots, qui interpelle les gens en les tutoyant d’emblée et qui habite (légalement ? J’en doute…) dans un taudis probablement insalubre ? En tout cas, voilà une poubelle à éviter…

Mercredi 26 février

10h : François Morel a écrit un jour que Clint Eastwood donnait une image valorisante du 3ème âge : il faut croire que mon humoriste vivant préféré n’a pas vu le spectacle lamentable que cet acteur de légende a donné lors des présidentielles américaines de 2012 ! Admettons qu’on peut mettre ce dérapage sur le compte d’une crise passagère de sénilité car, sorti de ça, il faut bien avouer que monsieur Eastwood est finalement assez insaisissable sur le plan politique (au sens large du terme) : il est pour la peine de mort et pour le port d’armes, mais il a aussi défendu le mariage pour tous et son idole est Charlie Parker. Son dernier exploit : il vient de sortir Le cas Richard Jewell, consacré à l’agent de sécurité qui avait lancé l’alerte à la bombe lors des Jeux olympiques d’Atlanta en 1996 ; à travers l’histoire de ce pauvre type passé de l’état de héros à celui de suspect en trois jours, Eastwood dénonce donc assez clairement la violence d’Etat, ce qui est assez inattendu de la part de celui que l’on envisage (peut-être hâtivement) comme l’incarnation ultime du red blooded u.s. male. Peut-être Clint Eastwood résume-t-il à lui seul les contradictions de cette Amérique dont il est un représentant emblématique, ce qui est finalement à son honneur : il vaut mieux assumer ses contradictions que les nier, c’est précisément quand les Etats-Unis refusent de voir leurs contradictions en face que ça donne des Donald Trump… Alors finalement, est-ce que Clint Eastwood donne une image valorisante du 3ème âge ? Je ne sais pas : ce qui est sûr, c’est que comme tous les artistes populaires et complexes, sa légende lui survivra. A-t-il tiré cinq ou six balles ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *