Monde en plastique

 

Cela fait maintenant trois jours que j’essaie d’être de droite, en vue des prochaines élections à l’UMP auxquelles j’ai présenté ma candidature. Et bien depuis que je suis de droite, j’ai l’impression que tout va mal. Les jeunes me jettent des regards torves de leur air bovin, un personnage au teint bien peu mosellan de souche a acheté la dernière baguette aux céréales que je convoitais à la boulangerie, et le femmes n’ont plus l’air de vouloir respecter la préséance masculine. Pis, j’ai passé une demi-heure à attendre le bus sous un soleil de plomb, et à cause des trente-cinq heures j’ai subi la promiscuité de salariés et d’assistés qui transpiraient comme des gueux dans le même bus; tout ça à cause d’une bande de toxicomanes à bicyclettes qui ont bloqué le centre-ville pour distraire la populace et pour montrer à d’idiots touristes en mal de destination exotique comme c’est beau une ville éventrée par les travaux (et par la gauche, faut-il le préciser?).

Je me maudissais intérieurement d’avoir donné son congé à mon laquais qui rechignait à conduire ma calèche pourtant tractée par de somptueux pur-sangs (français, qu’allez-vous imaginer) sous le fallacieux prétexte qu’il avait une famille à nourrir et qu’il aurait souhaité pour ce faire bénéficier d’un salaire. Ce pauvre hère n’avait jamais lu Arno Klarsfeld, et ignorait qu’il fallait songer à se créer une situation avant que de gonfler d’un marmot superfétatoire la bedaine déjà grosse de la malbouffe de Lidl de son hideuse épouse. J’en rirais si l’inculture des pauvres n’était si désarmante, et si le bus était climatisé.

Or voilà: je tentais de m’arracher aux conversations grotesques de mes compagnons démunis, qui ont une facheuse tendance à compenser la vacuité de leur propos par un volume sonore exagérément soutenu. Je plissais les yeux et le front et essayais tant bien que mal de parcourir l’actualité financière dans le journal, et je retenais mes larmes à l’évocation de ces malheureux banquiers anglais seulement coupables d’avoir défendu la veuve du fonds de pension et l’orphelin du paradis fiscal. A la faveur d’un soubresaut de l’autocar dans l’une des ornières qui jalonnent le bitume messin avec la même fréquence que le programme de la gauche, mon regard dévia du Footsie (qui comble d’infortune a fermé en baisse de 0,53% à 5 662,63 points, quand je vous dis que tout va mal) et se porta sur la page des sciences.

Sachez-le, gauchisants lecteurs qui ne vous intéressez sans nul doute qu’aux chemises bariolées de Manuel Valls et aux déboires conjugaux de François Hollande et de sa rombière, mais le monde de la physique est dans un émoi proche de celui de Christine Boutin un jour de JMJ. En effet, les chercheurs pensent avoir isolé une particule élémentaire qui ressemble au boson de Higgs, c’est à dire l’élément qui donne sa masse à la matière, qui n’était jusqu’alors qu’une intuition, et qui manquait cruellement pour valider la théorie du modèle standard. Et cette fois-ci, point de hululement de joie hâtif comme ce fut le cas il y a peu pour des particules qui auraient dépassé la vitesse de la lumière: les chercheurs du CERN évaluent cette découverte tangible à 99,999% et des poussières quantiques.

Mes connaissances en physique se rapprochant de celles du smicard en littérature classique, j’ai encore du mal à évaluer comment on va pouvoir exploiter cette glorieuse découverte dans nos non moins glorieuses centrales nucléaires qui sont le sang de la France. Oui, le sang de la France est radioactif, c’est pourquoi elle a un si grosse thyroïde et cette fâcheuse prédisposition aux sautes d’humeur qui la font voter pour un socialiste irresponsable au lieu de choisir la voix de la sagesse et de la tradition portée par mon futur parti. Et oui également, si cette découverte de la recherche fondamentale ne trouve pas d’application industrielle et monétisable, je ferai moi-même livrer une tarte au polonium à Peter Higgs et aux employés du CERN pour leur apprendre à trouver utile.

Mais cessons deux minutes de penser à l’argent (deux minutes, pas plus). Nous voila enfin sorti du bus infernal, les remugles infâmes des roturiers plein la narine nous empêchent de respirer la bonne atmosphère pétrolière qui est le propre de la civilisation, notre civilisation chère au coeur de Claude Guéant. On est sur le point de cogner à notre huis, on flatte le museau des douze dobermans qui veillent à la quiétude de notre propriété. On sait que d’un instant à l’autre, la gouvernante philippine va ouvrir, qu’elle aura préparé le vermouth et le cigare qui marquent la dix-septième heure de la journée et le repos de la force vive de la Nation. On enfile ses pantoufles primordiales, et l’esprit du capitaine de navire industriel fait de même, marivaudant d’une idée à une autre sur le thème du boson qui tarda comme un prophète.

Et l’on constate que la connaissance de la Nature progresse à pas de Guéant, pardon à pas de géant. La physique quantique, comme son nom l’indique, est en train de démonter minitieusement les plus minuscules pièces de la matière, de la plus ancienne bactérie à la gigantesque galaxie en spirale, révélant les tout derniers secrets de la vie sous toutes ses formes. On sait même désormais articuler un code génétique sans l’aide de l’ADN.

Et à mesure que progresse la connaissance de la vie, on s’acharne à détruire cette dernière avec une célérité et un culot qu’on ne retrouve guère que chez les illettrés qui s’autoproclament artistes parce qu’ils sont passé une fois à la télévision entre deux pages de publicité. On déforeste, on élève en batterie, on fore dans les océans et sous les calottes glacières, on bétonne, on nucléarise, on goudronne à qui mieux-mieux. Comble de l’ironie moderne, on remplace tout ce qu’on a tué par du plastique, les arbres en plastique, les îles en plastique perdues dans le Pacifique qui pourront accueillir les réfugiés climatiques, les seins, les lèvres et les pommettes en plastique, on plastifie avec des hydrocarbures, autrement dit des matières hautement fossiles, qui glandaient sous terre depuis des millions d’années.

Exténué par cette journée sans calèche, j’ai failli redevenir de gauche pendant un paragraphe. Il est donc bien vrai que l’oisiveté est mère de tous les vices. Sainte Croissance, pardonnez-moi, car j’ai pêché.

One thought on “Monde en plastique

  1. Ca fait un moment que je voyage par ici un peu tous les jours . J’avais bien remarqué le ton ironique que j’aime beaucoup mais jusque là je n’avais jamais laissé le moindre petit mot .
    Cette fois je n’ai pas pu me retenir et j’ai qu’un mot à dire : Bravo! Parce que j’ai pêché aussi….

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