La marée était en noir

Amis messins, bonjour ! Je vous écris depuis la pointe Bretagne où, croyez-le ou non, le modèle américain attire énormément.

Après tout, c’est tout à fait logique d’un point de vue strictement géographique : prenez n’importe quelle carte de France et vous verrez que la Bretagne semble essayer de sortir de la France pour rejoindre la terre située de l’autre côté de l’Océan Atlantique, comme le métal est attiré par un aimant ou comme une mouche par la… Heu non, pas tout de suite, ça casserait mon effet. Poursuivons : pour vous montrer à quel point la Bretagne est proche des États-Unis, sachez qu’il y a même une minuscule enclave américaine dans la ville de Brest : sur le cours Dajot, chemin de promenade surplombant le port de commerce ouvert sur la Rade, est installé un gigantesque parallélépipède rectangle surmonté d’un deuxième polyèdre de même nature mais couronné et de format moindre, baptisé « monument américain » car il a été bâti en souvenir des américains venus se faire trouer la peau pour combattre l’empire allemand en 14-18 puis l’Allemagne nazie en 39-45 ; c’est gentil pour eux mais ce n’est pas ça qui va les faire revenir à la vie, sans compter que le monument obstrue la vue sur la mer pour ceux qui sont encore vivants… Mais nous nous éloignons du sujet.

Prenons donc un exemple d’attachement concret de la Bretagne au modèle américain : le « Breizh Cola », présenté par la publicité comme « le cola du phare ouest ». C’est exactement la même chose que le Coca-Cola, mais c’est fabriqué en Bretagne, ce qui donne bonne conscience à l’esprit de clocher du consommateur : en buvant ce produit, donc, vous serez gros comme une vache, car c’est bourré de matières grasses, mais au moins vous serez gros comme une vache bretonne ; vous roterez comme un porc car cette boisson est tout aussi gazeuse que le Coca-Cola, mais au moins vous roterez comme un porc breton ; vous aurez le diabète parce que c’est plein de sucre, mais au moins vous aurez un diabète breton, etc. Ce patriotarisme à deux gwennecs (deux balles en argot breton) est d’ailleurs soutenu par les fabricants qui ont visiblement honte d’avouer l’adhésion au modèle américain dont ils font preuve et préfèrent affirmer qu’ils ont lancé le « Breizh Cola » afin de résister à l’hégémonie culturelle américaine en faisant se réapproprier à la Bretagne un produit sur lequel s’appuie ladite hégémonie. Il aurait été moins ambigu de se concentrer sur la production de produits véritablement bretons, mais le Dieu Marketing, pour lequel « rentable » est le seul adjectif qualificatif désignant une qualité, et son bras droit Saint-Consommateur Grassouillet, pour qui le mot « réflexion » est une grossièreté, en ont visiblement décidé autrement… En ce qui me concerne, je me souviens avoir proposé une autre façon de lutter contre l’hégémonie américaine à ces producteurs de « Breizh Cola », à savoir imprimer les billets d’une fausse monnaie, le dollar breton, et les faire circuler dans le système financier américain ; on aurait ainsi pu profiter de la pagaille générée pour prendre le pouvoir à Washington, proclamer la dissolution des États-Unis d’Amérique et annoncer la naissance des États-Unis d’Armorique. Curieusement, ils n’ont pas voulu de mon projet : si mes souvenirs sont bons, je crois que c’est quand je leur ai dit que j’étais disposé à être le président à vie de ce nouveau pays que leurs mines ont commencé à s’allonger…

De toute façon, nous, bretons, n’avons aucune raison de singer les américains car, depuis quelques temps, ce sont eux qui nous singent en reprenant à leur compte un concept dont nous croyions avoir jusqu’alors l’exclusivité – on aurait peut-être dû le déposer à la SACEM ou à l’INPI mais le mal est fait – je veux parler de la marée noire. La deuxième moitié du siècle dernier, en effet, a été marquée, pour la Bretagne, par sept naufrages de pétroliers venant répandre à chaque fois des milliers de tonnes de brut sur les côtes : le « Torrey Canyon » en 1967, l’ « Olympic Bravery » et le « Boehlen » en 1976, l’ « Amoco Cadiz » en 1978, le « Gino » en 1979, le « Tanio » en 1980 et enfin, bien sûr, l’ « Erika » en 1999. À chaque fois, c’est le même scénario (pourtant, allez savoir pourquoi, on ne s’habitue pas) : une grosse entreprise pétrolière fait transporter son pétrole par la mer à bord d’un rafiot pourri battant pavillon de complaisance, à la suite de « négociations pour le remorquage digne du temps des pirates » (suivant une expression bienvenue de Reiser), de façon à ce que le coût de la navigation n’influe pas sur la marge bénéficiaire ; résultat : il suffit d’un coup de vent (et Dieu sait s’ils sont nombreux en Bretagne !) pour que la poubelle flottante craque, chavire ou s’échoue, laissant tout le pétrole brut s’écouler dans la mer et souiller les plages, pour le plus grand bonheur des riverains qui vont pouvoir faire un peu d’exercice en nettoyant leurs côtes salies par des margoulins et en tentant de sauver les oiseaux mazoutés, car comme le dit le guignol de Nicolas Hulot, « Une mouette couverte d’essence ne va pas plus vite ». À chaque fois, les politiciens de service viennent – avec plus ou moins de promptitude – sur place pour compatir avec les pauvres ploucs qui pataugent dans le fuel en jurant que c’est la dernière fois et que les pollueurs paieront. Bien entendu, comme les grands patrons de l’industrie pétrolière fréquentent nos dirigeants dans les soirées mondaines en les appelant « Cher ami » et ne sont pas élus par le peuple mais désignés sur la seule base de la marge bénéficiaire qu’ils dégagent, c’est avec sérénité qu’ils écoutent ces beaux discours sans lendemain ; ainsi, c’est grâce à la ténacité de celui qui était sénateur-maire UDF de Ploudalmézeau au moment du naufrage de l’Amoco Cadiz, Alphonse Arzel (UDF, personne n’est tout blanc ou tout noir), que le géant Amoco a fini par cracher quelques dollars…quatorze ans après les faits. Mais bon, on ne va pas râler, si on n’avait dû compter que sur les cadors de Paris, on aurait attendu carrément vingt-huit ans pour n’avoir que des cents.

Donc, en ce moment, en Amérique, il arrive la même chose : bien sûr, il ne s’agit pas d’un rafiot pourri qui a coulé mais d’une plateforme pétrolière tout aussi pourrie qui a craqué, mais la cause est la même, à savoir la mesquinerie des grands patrons qui privilégient leur marge bénéficiaire à la sécurité de l’environnement, et le résultat est le même en dix fois plus grand : on reconnait bien là les américains qui font tout en dix fois plus gros que chez nous, même si les anglais, (« B.P. », ça veut bien dire « British Petroleum », non ?) sur ce coup-là, les ont un peu aidés. Tout cela pour dire que quand j’entends le président Obama annoncer que les dirigeants de B.P. sont coupables et qu’ils paieront, je réponds que je demande à voir… Non pas que je nie totalement la sincérité d’Obama qui me laisse une impression plutôt positive en enclenchant la mise en place de ce dont Sarkozy entame le démantèlement en France, à savoir un système de santé juste et cohérent ; de surcroît, il a signé un pacte de non-prolifération nucléaire avec la Russie au moment même ou notre demi-président réaffirmait sa volonté de garder sa bombinette… Mais Gilbert Shelton, le célèbre dessinateur des « Freak brothers » et des « Not Quite Deads » l’a souligné avec raison dans une interview qu’il a donnée à la très honorable revue « Fluide Glacial » : Obama a hérité de plus de problèmes qu’il ne pourra probablement en résoudre. Arrivera-t-il donc à faire cracher les pollueurs de « B.P. » au bassinet (si tant est qu’il en ait vraiment la volonté) alors que son pays est déjà couvert de dettes, plombé par deux guerres déjà perdues et qu’il engage une réforme du système financier qui aura sûrement du mal à passer ? On l’espère sans trop y croire… En attendant, les louisianais vont connaître à leur tour la joie de patauger dans le fuel avec la rage au cœur et leurs pécheurs vont faire carême pendant quelques mois voir quelques années ; pour une fois que ce sont les américains qui vont singer les bretons et non l’inverse… Amis de Lorraine, vous qui ne connaissez pas votre chance de ne pas avoir de côtes à polluer, kenavo.

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