Conte de fées défait

Serait-il impossible de rêver là où on nous dit de rêver ?
Amis messins, bonjour ! Je vous écris depuis la pointe Bretagne que les guides touristiques s’obstinent à présenter comme une terre de légendes ; pourtant, dans ce domaine, nous avons déjà été largement dépassés.

Pour vous donner une idée : on parle beaucoup, chez nous, des fontaines miraculeuses, mais les seules fontaines méritant d’être qualifiées ainsi sont celles où il n’y a pas de nitrates. Je vous assure que quand on en trouve une, il y a vraiment de quoi crier au miracle ! De toute façon, il y a encore plus miraculeux que ça comme fontaine à présent : d’ailleurs, tout le monde en a une chez soi ! En effet, les grands patrons de Veolia, dans la générosité coutumière aux entrepreneurs, offrent à chaque foyer une eau d’une limpidité inédite, plus limpide que l’eau pure de nos rivières (si leur eau était encore pure, évidemment), une eau de paradis, que dis-je, de rêve, comme celle dont buvaient probablement Adam et Êve dans le jardin d’Éden, une onde si claire et si cristalline que l’on croirait voir s’y baigner une jeune fille divine sous le regard d’une biche broutant sous les frondaisons d’une profonde forêt…enfin, très limpide, quoi. Le secret de ce miracle ? L’aluminium, cet ingrédient bienfaisant qui rend l’eau s’écoulant de la corne d’abondance de Veolia si claire que l’on se baignerait dedans si l’évier était assez grand. Et ce n’est pas tout : cette fontaine, disponible chez vous dès que vous ouvrez le robinet, fait un autre miracle : elle donne, sur le long terme, la maladie d’Alzheimer ! Ainsi, sur le long terme, vous oublierez tous vos soucis, et surtout, vous oublierez de porter plainte auprès des gens de Veolia, vous aurez ainsi tout le loisir de vous enfoncer dans une profonde et confortable sénilité qui sera le plus beau cadeau que vous pourrez faire aux patrons de Veolia pour les remercier de vous avoir délivré cette eau si claire. Ah, que la vie est belle grâce à ces généreux et philanthropes investisseurs désintéressés qui ne se contentent pas d’accomplir à la place de l’État les missions de service public et prennent la peine de nous donner un cadeau avec ! Merci pour cet Alzheimer-souvenir, monsieur Proglio !

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Enfin, tout cela pour dire que quand la réalité devient plus merveilleuse que toutes les fictions que l’on peut imaginer, il devient difficile de faire rêver les gens, à plus forte raison pour nous, bretons, qui tenons à ce que notre région conserve ce titre de « terre de légendes » qui attire tant d’abrut.. de touristes chez nous ! Bon, tant pis, je vais quand même essayer de vous raconter une belle histoire. Allons-y gaiment, deux points, ouvrez les guillemets :

Il était une fois, dans un pays merveilleux où tous les hommes naissaient libres et égaux en droits, une jeune fille innocente qui faisait des études pour assouvir sa soif de connaissances, car elle était curieuse de tout, rêvait de connaître le monde et de partager son savoir avec les siens. C’est animée par ce légitime désir d’apprendre qu’elle décida un jour de quitter temporairement son beau pays pour découvrir une merveilleuse cité orientale en terre des Mille et une nuits. Mais hélas ! La merveilleuse cité ployait sous le joug d’un infâme tyran sanguinaire et paranoïaque qui détestait les étrangers et imposait aux femmes de vivre à l’état d’esclave. Les gentils journalistes de la presse pourrie ont pourtant prévenu la jeune fille : ne fais pas ça, tu cours un danger ! Ils pourraient te couper la tête ! Mais la curiosité fut plus forte que la prudence et la pure et naïve jeune fille partit visiter la cité. Une fois sur place, elle oublia définitivement toute précaution tant elle était charmée par le faste de ce pays oriental : que de couleurs et de formes magnifiques ! Et ces foules pittoresques et bigarrées ! Devant tant de merveilles, comment cacher son émerveillement ? Tous les sens éveils, elle veillait à ne pas rater une miette du spectacle qui s’offrait à son regard et s’est retrouvée seule, au sein de la foule, à poser un regard appuyé sur ce qu’il y avait autour d’elle.

Il n’en fallut pas plus pour éveiller la méfiance des sbires du tyran qui prirent la malheureuse pour une espionne ! Ainsi, deux colosses, musclés jusqu’aux sourcils (au-dessus, c’est l’anémie) vinrent à sa rencontre et la saisirent par les épaules, sans mot dire, sans prêter la moindre attention à la pauvre étudiante qui paniquait et appelait au secours, sans rien comprendre à ce qui lui arrivait et qui ne put que se laisser jeter dans un sombre et poussiéreux cachot. Pendant des mois, elle demeura dans cette sinistre geôle, à ravaler dignement ses larmes pour ne pas donner à ses bourreaux le spectacle de son affliction ; elle endurait avec courage son calvaire qu’elle considérait comme son châtiment pour ne pas avoir écouté les conseils de prudence que lui avaient donnés ses compatriotes. Mais elle savait que ceux-ci ne la laisseraient pas à son triste sort et, tôt ou tard, viendraient la sauver ; ainsi l’espoir l’aidait-elle à survivre face aux brutalités et aux insultes des gardiens, face à la peur d’un procès expéditif et sans avocat, face à une maigre et pitoyable pitance…

Heureusement, l’espoir n’était pas vain : en effet, des diplomates ressortissants du pays merveilleux où tous les hommes naissaient libres et égaux en droits (j’aurais dû employer une périphrase un peu moins longue…) bravèrent courageusement le danger que représentait une visite dans cette terre d’Orient et réussirent à obtenir un entretien avec le tyran ; le despote mahométan croyait dur comme fer aux accusations arbitraires formulées par ses hommes et n’était absolument pas disposé à libérer la pauvre innocente. « Une femme occidentale, dépravée par les mœurs des infidèles ! Et à qui on laisse faire des études en plus ! » disait-il en tâtant, de sa main dextre, le sein d’une des trente-six femmes réduites à la servitude que comptait son harem et en portant à ses lèvres, de sa main sénestre, l’embout de son narguilé. Mais il fallut bien plus que les tristes préjugés moyenâgeux de ce tyran pour décourager les vaillants diplomates qui firent honneur à leur pays en déployant un argumentaire à la fois poignant et implacable faisant appel à ce qui restait de cœur chez l’autocrate oriental et ne lui laissant aucune possibilité de répliquer. Bref, infléchi par le génie des ambassadeurs, le tyran se résolut à consentir à la libération de celle qu’il prenait pour une espionne. Une fois de plus, l’intelligence avait triomphé de la force brutale et les lumières de la civilisation de l’obscurantisme.

Rentrée chez elle, libre et soulagée, reçue en grande pompe par les dirigeants de son merveilleux pays natal, la jeune fille fit un magnifique et émouvant discours au peuple pour lui faire part de sa joie : enfin elle allait revoir les siens, elle retrouvait l’air pur, le soleil, la couleur des fleurs ! Liberté, liberté chérie ! Ah, quel grand pays que ce pays merveilleux où tous les hommes naissent libres et égaux en droits, dirigé avec intelligence et douceur par des génies politiques que le monde entier envie ! Des larmes de bonheur perlaient au coin de l’œil de chaque citoyen, le cœur gonflé de fierté patriotique et de compassion pour sa compatriote, martyr de la liberté… Quand soudain ! Quand soudain, minuit sonna ! – Dong, premier coup ! – Vous me direz que c’et normal puisqu’il y a une minute à peine, il était encore vingt-trois heures cinquante-neuf. – Dong, deuxième coup ! – Oui, et pourtant, ce fait anodin semble paniquer notre jeune héroïne. – Dong, troisième coup ! – Le soulagement et la joie d’une liberté retrouvée laissent la place à une panique palpable. – Dong, quatrième coup ! – Mais que se passe-t-il donc ? – Dong, cinquième coup ! – Pourquoi un fait aussi banal perturbe-t-elle la jeune fille ? – Dong, sixième coup ! – Sa détention l’aurait-elle traumatisée à ce point ? – Dong, septième coup ! – Toujours est-il que, telle Cendrillon, elle se dépêche de disparaître dans la nuit. – Dong, huitième coup ! – Mais le peuple, tombé amoureux d’elle, court plus vite qu’un prince charmant. – Dong, neuvième coup ! – C’est ainsi qu’elle est rattrapée sans aucune peine ni besoin d’une pantoufle perdue. – Dong, dixième coup ! – Et voilà donc le peuple prêt à lui faire une nouvelle acclamation qu’elle refuse du geste, épouvantée par on ne sait quelle perspective. – Dong, onzième coup ! – C’est en pure perte qu’elle fait signe au peuple, aveuglé par la passion, de s’éloigner. – Dong, douzième coup ! – Quand tout à coup, au douzième coup de minuit, tels ceux d’Adam et Êve ayant croqué le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, les yeux du peuple se dessillèrent.

La jeune fille, vous l’avez sans doute compris, était Clotilde Reiss, et si elle n’avait pas le statut d’espionne, ce n’est pas en étudiante désintéressée qu’elle avait visitée la merveilleuse cité orientale : elle travaillait effectivement pour la D.G.S.E. La merveilleuse cité orientale était Téhéran et n’avait rien de plus merveilleux qu’une autre grande ville moderne comprenant de beaux monuments dans son agglomération, si ce n’est le fait que les autorités iraniennes envisagent de construire une bombe atomique que nos dirigeants occidentaux considèrent (à juste titre, je ne dis pas le contraire) comme un danger. Le beau pays dont Clotilde Reiss est ressortissante était la France où les garde-à-vues arbitraires font désormais tout autant partie du quotidien qu’en Iran. D’ailleurs, l’arrestation, abstraction faite des circonstances exactes de son déroulement (inconnues) n’avait rien d’arbitraire puisque la prisonnière travaillait effectivement pour le compte des services secrets français. Nos diplomates n’ont pas infléchi le tyran avant un argumentaire émouvant et imparable et encore moins avec les beaux principes humanistes suivant lesquels nos gouvernants prétendent encore diriger ce pays, mais simplement en leur promettant l’extradition de l’assassin du premier ministre du Shah, suivant les règles les plus élémentaires de la « Realpolitik » à laquelle Sarkozy avait promis de mettre fin – rupture, mon cul ! Le discours de la prisonnière, enfin, n’était absolument pas sincère et spontané : Clotilde Reiss a seulement récité sa leçon pour endormir la méfiance des téléspectateurs habitués à pleurer là où on leur dit de pleurer. Toutes ces vérités dures à admettre sautèrent donc aux yeux au douzième coup de minuit : le charme avait pris fin et, telle la belle princesse redevenant la pauvre Cendrillon, l’innocente Clotilde était redevenue l’agente Reiss.

Je voulais essayer de vous raconter dune belle histoire, c’est raté de chez raté… tant pis, demandez à Kouchner ou à Laurence Ferrari. Quand je pense que j’avais soupçonné cette magouille avant même qu’un particulier nous avoue qu’elle travaillait bel et bien pour la D.G.S.E. ! Et je n’en avais parlé à personne, me traitant moi-même de mauvais esprit… Et oui, on vous a raconté une belle histoire pour vous endormir ! Mais vous êtes trop grands, maintenant, pour qu’on vous raconte des histoires ! Le père Noël n’existe pas ; en tout cas, il ne s’appelle pas Nicolas !

Bon, je sais, cet article fait un peu doublon avec celui de Librepenseurpicard, mais quand j’en ai eu l’idée, j’étais si content de l’avoir trouvée que j’ai décidé de le faire quand même, sachant bien qu’un autre graoullien traiterait de ce sujet. Je n’ai pas eu le temps de faire un dessin susceptible d’illustrer mon propos, mais c’est facultatif : j’ai mis dans ce texte tout ce que je ressens. Amis lorrains, kenavo.

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