Ceci n’est pas une pub

Amis messins, bonjour ! Je vous écris depuis la pointe Bretagne où l’on n’échappe pas plus qu’ailleurs à la connerie publicitaire. Je dirais même qu’on y échappe d’autant moins qu’apparemment, la Bretagne fait vendre.

Je m’explique : vous n’êtes pas sans savoir que sous la IIIe République, les affreux vieillards au pouvoir étaient obsédés par l’envie de « reconquérir » l’Alsace et la Moselle, moins pour le bonheur des pékins qui y habitaient (et qui n’en avaient probablement rien à foutre, tant il est vrai qu’entre être dirigé par d’affreux vieillards français ou d’affreux vieillards allemands, il n’y a pas une grande différence) que pour les ressources minières de la région (bon, je reconnais que s’ils n’y étaient pas finalement arrivés, aujourd’hui, je n’écrirais peut-être pas pour le Graoully). Aussi ont-ils donné l’ordre, du fond de leur châteaux, que l’on implante le sentiment patriotique dans la cervelle des jeunes à coups de burin, suivant des méthodes pédagogiques que l’école catholique, contre laquelle la République avait dû lutter, n’aurait pas reniées : les jeunes devaient ainsi être prêts pour la grande boucherie grâce à laquelle les généreux capitalistes français (cocorico, mettez l’accent sur « français », mauvais citoyen !) ont pu s’enrichir sur le dos des mineurs d’Alsace et de Lorraine avant de se barrer avec leurs millions là où c’était désormais plus rentable. Pour obtenir ce merveilleux résultat, pur fruit d’une propagande savamment orchestrée, d’une jeunesse sacrifiée sur l’autel du profit, un des moyens déployés étaient le suivant : au lieu de se contenter d’apprendre aux jeunes à parler correctement la langue officielle de la République, on leur a carrément interdit de parler dans la langue que parlaient leurs parents. Et oui, à cette époque pas si lointaine encore, il était encore monnaie courante de parler en tant que langue maternelle une langue que l’on qualifierait aujourd’hui de « régionale » ; il en allait ainsi depuis des siècles, les paysans ne parlaient que la langue de leur terroir, sans en connaître aucune autre, sans se poser de questions, et du jour au lendemain, il fallut éradiquer cette habitude… Entendons-nous bien : je ne renie pas la langue française, on n’en a jamais parlé d’autre chez moi, et pour rien au monde je ne reviendrais en arrière pour parler breton. Je veux seulement vous faire comprendre que la métropole avait tout fait, pendant des années, pour tuer la culture régionale bretonne : le fameux panneau « défense de cracher et de parler breton » est encore très présent dans les mémoires… Alors, quand on voit aujourd’hui !

Quand on voit aujourd’hui tous ces tartuffes qui, il y a quelques années, auraient regardé de haut tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un particularisme breton… Quand on voit ces tartuffes, disais-je, respecter religieusement les reliquats de culture régionale qui subsistent sur la péninsule… Pour vous donner une idée, quand l’EA Guingamp avait gagné la coupe de France, le journal « L’équipe » s’est cru obligé de rédiger sa « une » en breton ! Qu’est-ce qui a changé entretemps ? Et bien les margoulins qui tripotent le pouvoir du haut de leurs fauteuils en cuir se sont aperçus que les identités régionales étaient rentables : mettre en avant le « typique » ou le « pittoresque » d’une région attire le parasi… pardon, le touriste en quête de dépaysement et consommer chez soi des produits estampillés « régionaux » vous donne la possibilité de passer, à peu de frais, pour quelqu’un de curieux, d’ouvert et de voyageur, même si vous avez le mal de mer rien qu’à l’idée de dépasser les frontières de votre circonscription électorale. De surcroît, il a été décidé, par on ne sait quel tour de passe-passe dont les possédants ont le secret, que le fait de venir de Bretagne, qu’il concerne un produit ou une personne, apporterait un « plus »… Je suis désolé, mais tout en étant breton, je ne trouve pas Jean-Marie Le Pen (natif de La-Trinité-sur-mer) sympathique ni Michel-Edouard Leclerc (natif de Landerneau) digne de confiance, et je ne suis pas seul dans ce cas : pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir les mauvais chiffres du FN en Bretagne et écouter les voix qui s’élèvent pour détourner la pub Leclerc en ces termes : « Vous mangez une baguette de pain, saviez-vous qu’en moyenne elle était plus dégueulasse chez Leclerc ? » De plus, je trouve Dan Ar Braz (natif de Quimper) chiant à crever, les Matmatah (natifs de Brest) lourdingues et le Breizh Cola (« brassé » dans le Morbihan) juste bon à donner la colique… Bref, en un mot comme en cent, CE N’EST PAS PARCE QUE C’EST PRODUIT EN BRETAGNE QUE C’EST MEILLEUR QUE SI Ç’AVAIT ÉTÉ PRODUIT AILLEURS ! Les porcs bretons produisent autant de lisier que tous les autres porcs, c’est une calamité écologique pour la région : qui aurait l’idée d’en vendre en affirmant que ça mérite d’être acheté parce que c’est breton ?

Voilà pourquoi je vous disais qu’en Bretagne comme ailleurs, on subit la connerie publicitaire de plein fouet : il fallait avoir honte d’être breton autrefois, aujourd’hui, il faut en être fier ; la seule chose qui ne change pas, c’est que ceux qui décident de tout cela s’en mettent plein les fouilles. Aujourd’hui, le gri-gri qu’ils agitent pour transformer une revendication identitaire en argument publicitaire est un petit phare en plein milieu d’un disque portant la mention « produit en Bretagne »… Mais pourquoi un phare ? Depuis quand le phare est-il une spécificité bretonne ? Ce ne sont même pas les bretons qui ont inventé le phare ! Et le phare d’Alexandrie, l’une des sept merveilles du monde, alors ? Il était en Bretagne, peut-être ? Les alexandrins mangeaient du kig ha farz et buvaient de la Coreff ? Les paysans égyptiens attendaient la crue du Nil pour faire pousser des pommes de terre ? La reine Cléopâtre était habillée comme Bécassine ? Ramsès II a fait mettre à Louxor des menhirs dont l’un trône aujourd’hui sur la place de la Concorde à Paris (je me félicite d’avoir résisté à la tentation du jeu de mot avec « obélisque ») ? Imhotep a construit un dolmen pour enterrer le roi Djöser ? Les potaches d’aujourd’hui chantent : « ils ont des chapeaux ronds, vivent les égyptiens, ils ont des chapeaux ronds, vivent les pharaons » ? Enfin bref, vous voyez à quels mélanges des genres la connerie publicitaire, prise au mot, peut conduire avec sa manie de l’amalgame facile et flatte-couillon…

Notez que tout ce dont je viens de vous parler, ça m’énerve mais ça ne m’empêche pas non plus de dormir. Seulement, il fallait bien que je parle de quelque chose pour que mon article ne se réduise pas à un éloge de l’anthologie de fausse publicités de « Hara-kiri » publiée chez Hoëbeke en octobre 2009 (oui, je sais, ce n’est pas ce qu’il y a de plus brûlant comme actualité culturelle) : j’ai donc pris sur moi de traiter d’un sujet que le vénérable Cavanna, auteur des textes qui illustrent les images du livre (oui, je sais, c’est paradoxal, mais arrêtez de m’interrompre, c’est mal élevé), n’a pas développé, soit parce que ce thème est trop moderne pour que les farceurs de « Hara-kiri » l’aient connu quand ils composaient le journal « bête et méchant », soit parce que le vénérable Cavanna (natif de Nogent-sur-Marne) ne connaît pas la Bretagne – la première hypothèse est la plus vraisemblable, Cavanna ayant la réputation de quasiment tout savoir, donnant raison au dessinateur Tignous selon lequel « si Dieu existait, Cavanna serait plus fort que lui ».

Mais revenons au livre : maintenant que vous savez à quel point la Bretagne subit la connerie publicitaire de plein fouet, vous me pardonnerez d’avoir adoré ce bouquin scélérat à ne pas mettre entre les mains des curés laïques et des pisse-froids (je ne suis pas sûr que le « s » ait sa place) moralisateurs. La couverture est d’une sobriété quasi-monacale : juste le titre « Hara-kiri, journal bête et méchant » accompagné de l’immortel logo dessiné par Cavanna, représentant le petit japonais hilare qui s’ouvre la bedaine, et le titre du bouquin lui-même « La pub nous prend pour des cons, la pub nous rend cons », le chef-d’œuvre de tact et de diplomatie que constitue cette dernière phrase étant bien évidemment une affirmation péremptoire que reprenait en cœur l’équipe de « Hara-kiri » et que Cavanna commente ainsi : « C’est une profession de foi. C’est la mienne. Ce fut celle de « Hara-Kiri » entre 1960 et 1985. C’est celle de « Charlie Hebdo ». Ce devrait être celle de tout journal, de tout média, qui se veut libre ». Conclusion : si vous croyez avoir affaire à une pure provocation lancée pour le plaisir de provoquer, vous en êtes pour vos frais. Tous ces détournements publicitaires sont la concrétisation d’un des engagements à l’avant-garde desquels s’était placé « Hara-Kiri » avant même que ça ne fasse partie de l’air du temps : à la défense des animaux et le rejet de toute croyance religieuse s’ajoutait une croisade anti-publicité qui a largement devancé le mouvement Casseurs de pub. Toute cette saine gaudriole au service de la lutte contre le mercantilisme outrancier, c’est joindre l’utile à l’agréable ou je ne m’y connais pas !

Une fois le livre ouvert, après avoir lu les textes de Cavanna (qui contiennent, il faut le reconnaître, quelques emprunts probables au bouquin « Coups de sang » paru chez Belfond en 1991, mais les idées développées restent malheureusement pertinentes), on peut découvrir à loisir ces fameux détournements publicitaires : dans les tous premiers, on sent que l’équipe « bête et méchante » se cherchait encore un style ; les fausses pubs étaient poilantes mais encore laborieuses. Mais très vite, les images deviennent de plus en plus efficaces, de plus en plus cinglantes, suscitant un véritable jeu de massacre au cours duquel tous les poncifs de la publicité sont magnifiquement écorchés ; j’ouvre le livre au hasard et je tombe sur l’annonce suivante : « La mode déplorable de l’objet jetable est révolue : Kleenex lance le mouchoir qui se mange » ; un gazier sort d’un carton de Kleenex une crêpe (décidemment, on ne sort pas de la Bretagne…), se mouche dedans et puis la mange telle quelle ! On rit sans pouvoir réprimer une moue de dégout (on peut détester, mais on ne peut pas ne pas rigoler) puis on se dit que ce n’est pas beaucoup plus dégueulasse que l’usage, aujourd’hui bien implanté dans nos habitudes, du mouchoir jetable. Ce que j’appelle « la règle des trois « D » en humour » est donc parfaitement illustrée. Quels sont ces trois D ? « Déconne, Défrise, Déniaise ». Déconne : laisse-toi aller, amuse-toi, fais des trucs qui te font rire ; « Défrise » : fais sauter les gens de leur chaise, pour être sûr de leur faire de l’effet ; « Déniaise » : fais-les réfléchir, ça ne leur fera pas de mal. Un autre exemple ? « Une pincée de sels poil-o-gra dans votre bain, vous VOYEZ votre graisse vous quitter ! » ; une nana, dans son bain, sourit béatement devant les petits tas de graisse qui surnagent mollement à la surface de l’eau… à gerber, mais génial, et surtout, jolie vengeance pour tous ceux que les pubs qui voudraient que nous soyons tous obsédés par notre ligne (je reprends ici le terme consacré par la pub : la « ligne » et non pas le poids, pourquoi ?) font ch***.

Certaines pages sont même visionnaires : il suffit de regarder cette photo d’un employé de bureau qui boit du café sous perfusion, légendée « Vous qui, jour et nuit, n’avez qu’une pensée : travailler plus pour gagner plus et gravir les échelons de la réussite : doublez votre puissance de travail avec Nescafé en goutte à goutte » ; vous avez bien lu « travailler plus pour gagner plus » ? Quand on pense que Sarkozy ne devait avoir qu’une vingtaine (une trentaine dans le meilleur des cas) d’années quand ils avaient fait ça… Mais plus sérieusement, un sport à la mode aujourd’hui, quand on parle de « Hara-kiri » est de dire « Aujourd’hui on ne pourrait plus… » Parce qu’à l’époque, tu croyais qu’on pouvait ? Le « journal bête et méchant » est justement mort écrasé par les procès, notamment ceux intentés par les patrons des marques incriminées ! Tant que nous aurons à subir le joug de l’omniprésence publicitaire, les détournements harakiriens resteront hors-la-loi et d’actualité, même ceux qui touchent des cordes authentiquement sensibles : je me souviens notamment, pour en revenir aux pubs pour les produits (soi-disant) amincissants de ceci : « Mieux que la combinaison amaigrissante, le pyjama Auschwitz » ! Les camps d’extermination, voilà le tabou des tabous, interdiction absolue de rire de ça. C’est précisément ce genre d’image qui nous fait dire aujourd’hui « maintenant, on pourrait plus » : et pourquoi on pourrait plus ? À aucun moment on ne se moque des victimes, il n’y a pas un nanogramme d’antisémitisme : on se « contente » de dire à ceux qui veulent maigrir à tout prix que leur attitude est indécente vis-à-vis de ceux que la connerie humaine a transformés en squelettes ; cette image est dans le même esprit, en somme, que la fausse pub pour « Taillefine » représentant des enfants du Tiers-monde affamés.

Conclusion : si vous aimez rire un bon coup tout en vous décrassant la tête et si l’arrêt de « Siné hebdo » et de « Kamikaze » vous mine, achetez donc « La pub nous prend pour des cons, la pub nous rend cons », aux éditions Hoëbeke (mais qu’attendent-ils pour rééditer « Les fiches bricolages du professeur Choron » ?). Et comme on le disait du vivant de « Hara-Kiri », SI C’EST TROP CHER, VOLEZ-LE ! Vous voyez bien que cet article n’était pas une pub…

Juste un détail, en passant : je ne vous ai pas mis d’images du livre – à part la couvrante – parce que je me suis fixé comme règle d’éviter autant que possible de publier, pour illustrer mes articles, d’images sur lesquelles je n’ai pas les droits. Je me suis donc contenté de les décrire, et les fausses pubs que vous voyez sont dues à votre serviteur qui n’était pas né quand « Hara-kiri » a mis la clé sous la porte.

Amis de Lorraine, kenavo, et à bas les gros cons qui nous cherchent des crosses, globalement les mêmes que ceux qui ne supportaient pas « Hara-kiri »…

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