Islande, terre de contrastes

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais quand j’allume la télé, quand j’écoute la radio, quand je lis un journal, j’ai souvent l’impression que nos media français se sont mis d’accord pour délivrer à la population un même message.

Ce message, le voici : « Citoyennes, citoyens, rampez ! La raison du plus riche est toujours la meilleure ! Si le pouvoir a décidé de vous faire payer les pots cassés de la crise provoquée par les hommes d’affaire qui financent nos journaux pourris, c’est que cela est bon ! À genoux, les damnés de la Terre ! Obéissez à not’ bon maître le FMI ! » Ça donne envie de vivre, n’est-ce pas ?

J’étais moi-même sur le point de me résigner à ne pas pouvoir envisager de changement politique sérieux en Europe avant des années quand tout à coup, en lisant la « zone » de Siné du 19 janvier dernier, qu’est-ce que j’apprends ? Le grand’ père indigne du dessin d’humour tient l’information d’un lecteur qui lui avait envoyé le message qui suit :

« Aussi incroyable que cela puisse paraître, une véritable révolution démocratique et anticapitaliste a lieu en Islande en ce moment même, et personne n’en parle, aucun média ne relaie l’information, vous n’en trouverez presque pas trace sur « google » : bref, le black-out total !

« Pourtant, la nature des évènements en cours en Islande est sidérante : un Peuple qui chasse la droite au pouvoir en assiégeant pacifiquement le palais présidentielle, une « gauche » libérale de remplacement elle aussi évincée des « responsabilités » parce qu’elle entendait mener la même politique que la droite, un référendum imposé par le Peuple pour déterminer s’il fallait rembourser ou pas les banques capitalistes qui ont plongé par leur irresponsabilité le pays dans la crise, une victoire à 93% imposant le non-remboursement des banques, une nationalisation des banques, et, point d’orgue de ce processus par bien des aspects « révolutionnaire » :l’élection d’une assemblée constituante le 27 novembre 2010, chargée d’écrire les nouvelles lois fondamentales qui traduiront désormais la colère populaire contre le capitalisme, et les aspirations du Peuple à une autre société.

« Alors que gronde dans l’Europe entière la colère des peuples pris à la gorge par le rouleau compresseur capitaliste, l’actualité nous dévoile une autre possibilité, une histoire en marche susceptible de briser bien des certitudes, et surtout de donner aux luttes qui enflamment l’Europe une perspective : la reconquête démocratique et populaire du pouvoir, au service de la population. »

J’ai retrouvé le même texte sur le site Médiapart, mais l’article était daté du 24 janvier, soit cinq jours après la « zone » de Siné dans laquelle j’ai appris ces évènements. Le site du journal Métro a publié un autre article, destiné à tempérer l’enthousiasme du rédacteur de Médiapart, partant du principe que la réalité est plus nuancée, mais pour ma part, comment voulez-vous que je fasse confiance à Métro, journal gratuit, donc fonctionnant uniquement grâce à la publicité, donc instrument à part entière du rouleau compresseur capitaliste ? Déjà que je ne fais qu’à moitié confiance à la presse traditionnelle… Je suis peut-être injuste, mais il est un fait que le rédacteur de Métro ne nie pas, c’est le couvre-feu pour le moins suspect qui a été instauré concernant la situation de l’Islande : voilà le type même de pratique de désinformation par défaut qui, vous en conviendrez, légitime que l’on se pose un certain nombre de questions… Même sur Internet, les sources sur le sujet sont rares et extrêmement difficiles à trouver ! Peur de donner des idées aux autres peuples européens ? Il est vrai que nos hommes politiques, de plus en plus interchangeables, et nos hommes d’affaires de plus en plus rapaces auraient de quoi s’inquiéter…

Voici les faits : l’Islande a été touchée de plein fouet par la crise économique de 2008 ; les trois principales banques du pays avaient été ruinées, le niveau de vie de la population avait considérablement chuté, et en 2009, des élections législatives ont lieu, une coalition de gauche formée par les sociaux-démocrates, les féministes, les anciens communistes et les écologistes prend le pouvoir. C’était déjà une grande première pour l’île, couronnée en plus par la première nomination d’une femme au poste de Premier ministre, en la personne de Johanne Sigurdardottir. Très vite, le nouveau gouvernement doit faire face à la dette : obéissant à l’Union européenne, à laquelle les sociaux-démocrates souhaitaient adhérer pour se donner l’impression de jouer dans la cour des grands, le gouvernement fait voter en janvier 2010 une loi autorisant ce remboursement, ce qui se serait traduit par la n’obligation pour chaque Islandais de payer cent euros par mois pendant huit ans. 9600 euros pour une faute dont vous n’êtes pas responsable, c’est quand même cher payé, surtout quand vous êtes un citoyen moyen qui a une famille à nourrir et que vous êtes déjà dans une quasi-misère… Bref, le peuple est descendu dans la rue, des manifestations pacifiques ont eu lieu autour du palais présidentiel, et le président de la République, pas fou, n’a pas ratifié la loi qui a finalement été soumise à un referendum et rejeté à 93% des voix.     

Et alors, eut lieu l’impensable : pour sortir de ce merdier, il fut décidé de modifier carrément la constitution du pays, ce qui ne s’était pas fait depuis la proclamation de la République en 1944, date à laquelle on s’était contenté de reprendre la constitution du Danemark en la « déroyalisant ». Pour écrire cette constitution, une assemblée constituante fut élue : 522 simples citoyennes et citoyens se sont portés candidats pour en faire partie, 25 furent élus le 27 novembre 2010. Elle commencera ce travail législatif à la mi-février. Bref, on peut apporter toutes les nuances possibles et imaginables, mais les faits sont là : l’Islande a su dire « non » à la fatalité de la soumission aux lois du capitalisme sauvage et s’est réapproprié son destin ; les Islandais ont rappelé ce que signifiait la souveraineté populaire d’une façon qui n’aurait rien à envier aux acteurs de la nuit du 4 août…

D’accord, l’Islande ne compte qu’un peu plus de 300 000 habitants, ce qui a accru les chances de réussite de ce changement ; ceci expliquerait d’ailleurs pourquoi les journaux pourris de chez nous sautent littéralement de joie chaque fois qu’on apprend que les Français sont de plus en plus nombreux… Mais il n’empêche : si un tel modèle n’était pas exportable dans les autres pays occidentaux, pourquoi les margoulins qui tiennent la presse en laisse éviteraient-ils aussi soigneusement de nous en informer ? Ils savent que le peuple peut changer la société, mais ils font tout pour que le peuple lui-même ne le sache pas ! Comme le disait Noam Chomsky, « Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements » ; et pourtant, ils le peuvent… Il faudra s’en souvenir ! Allez, kenavo !

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