Malsain-Valentin

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Je ne sais pas si vous l’aviez remarqué, mais hier, je n’avais pas publié d’article sur ce webzine alors que j’avais pris l’habitude d’en publier au moins un par jour… Non, vous ne l’aviez pas remarqué ? C’est sympa, on se sent important !

Enfin, passons… Donc, hier, je n’ai rien publié, et je vais vous dire pourquoi. Voilà : il y avait quoi hier ? « La Saint-Valentin, m’sieur ! » Très bien, élève Hatter ! Et c’est justement là que le bât blessait : si j’avais pris la peine d’écrire un article hier, je n’aurais pas pu contourner le battage médiatique autour de la soi-disant fête des amoureux qui fait surtout du bien, en réalité, aux amoureux du pognon ; je me connais, je n’aurais pas pu m’empêcher de faire une allusion, même rapide, à la Saint-Valentin, par exemple pour évoquer notre demi-Napoléon et sa Joséphine anorexique ou les Ben Ali exilés en Arabie Saoudite. J’ai donc préféré garder exceptionnellement le silence (de la part d’une grande gueule comme moi, c’était vraiment exceptionnel !) pour ne pas en rajouter, d’autant plus que, avec ce que j’ai vécu dernièrement, j’aurais fait preuve d’une absence totale de compassion pour la misère humaine.

Vous vous en rappelez peut-être : dans le dernier numéro de ma rubrique « GR3 Bretagne », qui vous donne des nouvelles de ma région, je vous annonçais l’enterrement d’un tout jeune garçon de 18 ans, mort à la suite d’un malaise survenu dans les escaliers de son lycée. Le jeune garçon, ami d’un de mes proches (je ne vous dirai pas qui afin de préserver ce qui doit rester du domaine de la vie privée) s’appelait Valentin… Vous me comprenez, maintenant ? J’ai dans mon entourage des gens qui pleurent encore la mort d’un jeune garçon qui s’appelait Valentin : imaginez leur détresse face à tout le battage médiatique et à tout le matraquage publicitaire dont la Saint-Valentin est l’objet ! Je ne pouvais pas prendre le risque d’aggraver les choses ! Voir mourir son enfant dans la fleur de l’âge, c’est déjà épouvantable, mais quand votre deuil est bafoué par les publicitaires et les journaleux de la presse pourrie, c’est encore pire… Cela n’a l’air de rien, mais si on réfléchit bien, est-ce que vous croyez que le publicitaire de base se pose la question, quand il décide d’exploiter la Saint-Valentin pour nous vendre sa merde, de savoir s’il ne prend pas le risque de blesser certaines personnes ? Pas plus, je crois, qu’il ne prend la peine de savoir s’il ne risque pas de blesser ceux qui ont perdu tout leur argent à cause de la boulimie des banquiers quand il fait la promotion d’une banque ou d’offenser les bretons qui ont vu leurs côtes souillées par le naufrage de l’Erika quand il bricole un spot pour une entreprise pétrolière chez laquelle nous n’irions pas, paraît-il, par hasard… Bref, la publicité, en tant que medium de masse, ne sera jamais qu’une pauvre machine à profit sans foi ni loi qui exalte les envies plus ou moins médiocres de la majorité au mépris des drames humains qui peuvent faire s’effondrer quelques individus ; la publicité n’a que mépris pour l’individu, ses particularités, son vécu et ses blessures ; la publicité est un medium pour lequel l’individu est superflu, c’est donc un medium totalitaire, et le décalage entre le drame qui a secoué les parents du jeune Valentin et l’exploitation médiatico-publicitaire forcenée de la Saint-Valentin en est une énième preuve.

Le drame de ces parents réside aussi, paradoxalement, dans le fait que leur fils ne soit pas mort assassiné ; si tel avait été le cas, son décès aurait fait la une des journaux et aucun publicitaire n’aurait osé exploiter la Saint-Valentin. Imaginez qu’aient fleuri dernièrement dans tout le pays des affiches invitant à fêter la Sainte-Laetitia : scandale national ! Seulement voilà, le petit Valentin est mort accidentellement, il serait donc « normal » qu’il soit mort si jeune… Enfin, ceci pour dire cela : si on arrêtait de célébrer les Saints, on ferait d’une pierre deux coups : d’une part, on en finirait pour de bon avec cette tradition poussiéreuse, et d’autre part, on respecterait vraiment une multitude de petits drames humains que nous ignorons. Le malheur qui a frappé les parents du jeune Valentin m’a ouvert les yeux à ce sujet : bien sûr, faire du mal à quelqu’un d’un point de vue moral sans le savoir, par exemple parce qu’on ne connait pas personnellement ce quelqu’un, ce n’est pas si grave, mais si on peut se donner les moyens de l’éviter, c’est encore mieux, non ?

Mais ce boycott de la Saint-Valentin n’a pas été motivé, je le confesse, que par la découverte de l’indécence que peuvent avoir certaines célébrations vis-à-vis de la détresse de certaines personnes vivant un malheur immérité – car personne ne mérite de voir mourir son fils : il y a aussi le fait que je suis intimement persuadé que l’amour ne saurait faire l’objet d’une seule journée par an. Je ne peux pas croire que l’on ait besoin d’une date précise pour montrer à l’être cher qu’on l’aime et encore moins que l’on ait besoin des publicitaires pour savoir ce qu’il faut acheter pour donner une preuve d’amour audit être cher. De même que le chapelier fou et le lièvre de mars fêtent leur non-anniversaire, j’invite les amoureux à célébrer tous les jours, autant qu’ils le veulent, la « non-fête des amoureux » (je n’ose pas écrire « non-Saint-Valentin » pour les raisons développées plus haut) et à ne pas être chiche en preuves d’amour : profitez-en, l’amour est encore une des raires choses qui font du bien dont le prix ne peut pas augmenter ! Allez, kenavo !

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