Lettre desespérée à la Préfète des Vosges

Madame la Préfète des Vosges,

en premier lieu, permettez-moi de vous souhaiter un bon retour en Lorraine, et de vous présenter mes félicitations pour votre nomination aux rênes du département qui vit naître Jack Lang, Emile Durkheim, et tant d’autres sans lesquels la France ne serait pas la même aujourd’hui.

Si j’ai l’honneur de solliciter cinq minutes de votre temps précieux consacré au bien public, c’est parce que Nathalie Kosciuzko-Moriset n’a répondu à ma missive que par un silence de cathédrale de Saint Dié, teinté d’un léger mépris pour la cause que je défendais. J’avais pourtant épuisé toutes les ressources d’obséquiosité dont je suis capable, et j’ai dû attendre que celles-ci se renouvellent et que le hasard vous plaçât sur le chemin de mon obstination à porter haut l’étendard de la cause lupine.

Mais foin des salamalecs d’usage. Il ne vous aura pas échappé que le département des Vosges est ainsi nommé grâce au massif qui occupe l’est de votre fief, et qu’on prend trop souvent à tort pour une montagne alors qu’il ne s’agit que d’un effondrement de la faille rhénane dû à la pression de l’orogénèse alpine elle-même issue de la poussée de la plaque africaine sur la plaque européenne. Mais le loup, car tel est l’objet de ma préoccupation, rechigne à fréquenter les bancs des facultés de géologie et s’obstine à confondre les forêts de résineux vosgiennes avec l’habitat purement montagnard où Dieu a eu la bonté de le faire naître. Il faut préciser à sa décharge (celle du canidé, Dieu n’a quand a lui aucune excuse) que la chaîne alimentaire dont le loup est l’aboutissement a cru malin de faire de même. Et canis lupus (c’est son petit nom) promène son inculture notoire des choses des sciences de la Terre du col de Saverne à celui de Hundsruck au péril de sa vie par la faute d’une autre espèce qui ressort de votre administration.

Alexandre Vialatte disait que le loup est appelé ainsi à cause de ses grandes dents. C’est un point de vue acceptable quand on a moins de six ans, ou quand on est berger et qu’on n’est point encore ouvert à la raison républicaine et à l’égalité des chances dont vous fûtes sous-préfète déléguée. Un philosophe anglais moins digne de confiance que le chroniqueur des quatre saisons, et qui n’aimait ni l’homme ni le loup, a pondu un adage latin pour se la raconter dans les soirées mondaines, qui s’énonce comme suit: «  homo homini lupus » et qui voudrait que l’homme soit un loup pour l’homme. C’est tellement absurde que même Descartes, qui n’avait pas oublié d’être con, en riait de dépit. Le loup ne parle ni latin ni anglais et n’a jamais demandé à servir de caution à un système philosophique qui autorise l’homme à anéantir toute forme de beauté sauvage au nom du sens de la propriété et de la res publica dont il tire une supériorité frauduleuse sur le reste du règne animal. Depuis les Géorgiques de Virgile à nos jours, en passant par le Capitulare Aquisgranense de Charlemagne, l’homme persiste à être un homme pour le loup (et le reste du monde) avec une morgue qui nous amènerait presque à souhaiter l’extinction de ce bipède présomptueux et barbare.

Aussi, finissons-en avec ce sujet qui je le crains risque encore de m’inspirer nombre de lettres du même tonneau, alors que mes lecteurs trépignent et s’inquiètent de savoir ce que je pense de la crise de l’euro.  Je vous propose donc de réaffirmer votre engagement en faveur de l’égalité des chances en autorisant les loups à porter des carabines automatisées et à organiser des battues où seront abattus sans sommation les indélicats infoutus d’enfermer correctement leurs moutons, alors que même TF1 y arrive en diffusant un combat de bovins pour une baudruche ovale. Je vous remercie par avance de votre sollicitude, et je compte fermement que vous serez plus efficace que NKM la cultivatrice d’algues vertes par épandage d’azote.

Veuillez agréer, Madame la Préfète, l’expression de ma très haute considération.

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