Hadopi, ce héros

« 

Il n’est rien qui ne s’arrange par la pratique du non-agir »

Lao Tseu, Tao To King.

 

Parmi mille autres merveilles qu’on jurerait avoir été placées là exprès pour l’esbaudissement de mes yeux curieux, Metz compte en son centre-ville deux cinémas. Ces deux établissements aux dimensions modestes et aux tarifs abordables sont regroupés sous l’étiquette Caméo: l’un (le Palace) diffuse la même soupe sans arôme que la plupart des cinémas, l’autre (l’Ariel) offre une programmation heureusement plus exigeante. Bien que je fréquente assez peu les salles obscures du fait de ma faible tolérance au bruit de la mastication des ruminants qui se goinfrent de maïs soufflé et de ma phobie d’être enfermé dans le noir sans pouvoir fumer, il faut reconnaître à nos Caméos d’être bien plus recommandables que les horribles multiplexes d’où l’on sort avec des acouphènes et une légère tendance à l’épilepsie ou au meurtre psychopathe, selon que vous êtes plus enclins à avaler votre langue ou celle du premier contradicteur venu. Par curiosité, je me suis donc procuré le programme des prochaines projections au cas où j’aurais des remords d’avoir insulté les bouffeurs de pop-corn et les prohibitionnistes anti-fumée. Ma lecture du fascicule à peine entamée,  je suis tombé sur l’éditorial de M. Michel Humbert, ci-devant programmateur de nos distributeurs de bobines, d’où la citation en exergue de cet article.

En effet, M. Humbert est très colère, et nous espèrons pour le bien de son coeur qu’il va suivre notre conseil et s’inspirer du renoncement taoïste à l’origine de quasiment toutes les sagesses orientales, et se reposer un peu. Dans son édito, il s’insurge et s’élève contre les pirates et les faquins qui voudraient faire accroire que « la mise à disposition gratuite des films et autres oeuvres sur le net est de nature à permettre d’avoir accès a tous à la culture (j’ai bien dit accès et non se cultiver)« . C’est un peu hâtif et méprisant. J’ai un peu de mal à comprendre en quoi s’acquitter de 6,90 euros pour voir un monument de niaiserie comme « Les Petits Mouchoirs » ou un bloc de bêtise brute comme « Rien à déclarer » contribue à l’élévation de l’âme du cinéphile avide de découvertes, et pourtant M. Humbert n’ a pas jugé qu’il insultait l’intelligence du public en les mettant à l’affiche. Quant à affirmer qu’un film « sur le net (voire à la télévision) n’est qu’un pâle reflet de l’original« , c’est méconnaître l’évolution du home-cinéma qui offre l’avantage de faire profiter tout son voisinage de son goût pour le cinéma sans avoir à supporter leur présence en ses murs. Peut-être me rétorquera t-on que les productions de MM. Canet et Boon sont des divertissements (ils sont quand même niais et stupides) et n’ont pas de prétentions artistiques; c’est justement pour ça que parmi la pléthore de sorties mondiales de qualité variable, on peut se permettre de badiner d’un film à l’autre en attendant la rencontre avec une oeuvre qui changera notre relation au cinéma et au monde. Comme cela m’est arrivé avec Takeshi Kitano dans la salle n°3 de l’Ariel, où j’étais tellement absorbé par « Achille et la tortue » que je ne me suis rongé que six phalanges pour me détourner l’attention de mon addiction à la nicotine.

Deuxième argument du pamphlet de M. Humbert, les pirates sont la ruine de la production cinématographique hexagonale, et si ça continue Kad Mérad et Jean Dujardin ne pourront plus tourner que quarante films par an. Les lois Lang et Malraux, « qui par des lois ont élévé le cinéma français au-dessus de tout le cinéma européen » (sic), ont permis aux créateurs de trouver les crédits pour continuer de tourner. Et notre programmateur de se réjouir de l’effet d’HADOPI qu’il trouve encore « bien soft« . Encore une fois, l’argument est parfaitement fallacieux. Il n’y a aucun rapport logique entre les crédits alloués et la création (et encore moins avec la qualité de la création). On peut d’ailleurs créer, et on créera sans doute toujours dans son coin sans rien vendre, quelle que soit la discipline artistique. Et d’ailleurs ce salaud d’Internet fréquenté par des traîne-savates qui nuisent aux réalisateurs géniaux qui nous offrent leurs guimauves au titres abscons (« Je vais bien ne t’en fais pas », « Pars vite et reviens tard », j’en passe et des plus émétiques) est un espace privilégié de diffusion d’oeuvres sans aucun rapport commerçant, juste pour le plaisir de partager son travail. Cet enfoiré de réseau qui risque d’endetter Luc Besson encore plus profondément que la Grèce autorise même des formes de collaboration inédites, et des possibilités de plasticité totalement hors de portée intellectuelle des usines à blockbusters. Il va falloir vous y faire, M. Humbert. Je sais que vous défendez votre outil de travail, je sais aussi que le cinéma indépendant n’est pas le secteur de l’activité qui trouve ses financements le plus facilement (surtout s’il touche aux sujets qui fâchent), mais le téléchargement permet aussi aux créateurs d’alimenter sinon leur compte en banque, au moins leur inventivité et d’élargir leur imaginaire. La réaction des producteurs qui s’offusquent du téléchargement me fait penser aux peintres classiques qui refusaient de voir leur monopole sur l’art pictural s’effondrer quand les fauves, les futuristes, les cubistes et les surréalistes ont fait irruption dans les salons où se frottaient les bourgeois et les bourgeoises poudrés qui se piquaient de culture en se gavant de petits-fours. Philistins, réactionnaires, ou simplement dépassés par les évènements, vous saurez un jour que la propriété intellectuelle c’est aussi du vol.

Dans un prochain épisode, nous encouragerons nos lecteurs à prendre date pour la sortie de « Videoclub », le film de nos copains/copines d’Utopies. Et à se détourner de l’infâme place Saint-Jacques pour aller voir de bons films au Cameo Ariel rue du Palais.

 

 

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