POULET DE PRESSE n°32

« Il y a des gens qui sont chauves au dedans de la tête : ce sont ceux qui n’ont pas le sens de l’humour. » (Francis Blanche)

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Non, je ne me suis toujours pas suicidé : ce serait faire trop d’honneur aux intégristes, aux spéculateurs, aux politicards et à tous les autres parasites qui nous pourrissent l’existence en nous assénant des réponses aux questions qu’on ne se pose pas. Et puis, the show must go on, pas vrai ?

Psikopat, n°236 (Novembre 2011) : Le paisible promeneur bucolique n’a vraiment pas de chance : pour lui, chaque saison de l’année est parasitée par une flopée de nuisibles qui empêchent sa balade d’être aussi pépère qu’il le voudrait. Pendant la belle saison, les plus chiants sont les abrutis roulant sur leurs motos en plastique à quatre roues, les quads, mais ceux-ci ne sont rien en comparaison des pires d’entre eux, qui arrivent en automne et auxquels Psikopat consacre son dossier du mois : les chasseurs. Le paisible promeneur ne peut rien revendiquer contre eux, ils rapportent plus de pognon que lui aux margoulins locaux, tant pis pour lui s’il se mange une balle perdue ou se fait simplement buter par un viandard qui n’aimait pas sa gueule (trop bronzée à son goût, peut-être…) ; tant pis aussi pour la famille du défunt, l’absence, dans la plupart des cas, de témoin permettra facilement à l’assassin de plaider l’homicide involontaire avec légitime défense (sic.). Personne, d’ailleurs, ne peut revendiquer quoi que ce soit contre eux, ils ont pour eux douze milliards de prétextes bidon (tradition, défense de l’environnement, etc.) qui ne tiennent pas la route une seconde mais suffisent néanmoins à brouiller les pistes et à leur permettre d’imposer leur loi à un pays dont ils ne représentent qu’une infime partie. Sans compter que l’État est bien content de les avoir, ces tartarins déjà prêts à buter du métèque à la prochaine guerre ! De toute façon, qui dit que le gouvernement qui oserait interdire la chasse ne se ferait pas renverser par un coup d’État chasseur fomenté par CPNT (Chasse, Pêche, Nature et Tas d’gros cons) sur le modèle des coups d’États militaires ? Je vois ça très bien : les élus du peuple se font tous canarder à coup de chevrotines, les forces de l’ordre et les corps armés, qui n’ont souvent pour différence avec les chasseurs que d’avoir une subvention de l’État pour faire s’épanouir leur instinct de mort et chez qui, de toute façon, l’obéissance aveugle est l’essence même de leur métier, jurent aussitôt fidélité au nouveau pouvoir et appliquent la loi de chasse, rédigée sur le modèle de la loi martiale, dont le but est l’élimination de tous les faibles, les faibles se reconnaissant bien évidemment au fait qu’ils n’ont pas de fusil… Voilà, j’ai dit le peu que l’équipe du Psikopat n’a pas dit ; pour le reste, lisez leur magazine.

La seule forme de chasse qu'il faudrait tolérer... et encore !

Charlie Hebdo, n°1011 (2/112011) : Ah, Charia hebdo, ce fameux numéro de Charlie publié le jour de l’incendie des locaux ! Il en aura fait couler, de l’encre, celui-là ! À l’heure où j’écris ces lignes, le sinistre n’a toujours pas été revendiqué, ce qui n’a pas empêché tout le monde de se tourner vers les intégristes musulmans. Si tel est le cas, ces emmerdeurs pourront se vanter d’avoir fait de la publicité (d’un type dont Charlie se serait bien passé, il est vrai) à un journal dont le contenu n’était même pas agressif envers la religion musulmane et se contentait de traiter de deux faits d’actualité, en l’occurrence l’application de la charia en Libye et la victoire des islamistes en Tunisie, à sa manière habituelle ; pas d’islamophobie, donc, et pourtant, on sait quel rapport une bonne partie de l’équipe du journal entretient avec les religions, Cavanna en tête… La couverture ? Quand ils disent que Mahomet est le rédacteur en chef du journal, ça ne peut évidemment pas être vrai, le prophète étant mort depuis presque quatorze siècles : le Mahomet qu’ils font parler ne peut donc pas être le vrai Mahomet, et comme son nom est associé au mot « charia » sur cette « une » (il ne faut jamais dissocier un dessin du contexte où il est publié…), ce Mahomet-là est plutôt celui au nom duquel les exécuteurs de la charia prétendent agir, du moins tel qu’ils se le représentent : le montrer nous menacer de « 100 coups de fouet, si vous n’êtes pas mort de rire », c’est montrer ce que ferait un islamiste qui prétendrait nous faire rire tout en conservant sur le dos les interdits moraux que le plombent… Ce Mahomet n’est même pas spécialement antipathique : il a le regard franc et clair, il nous sourit, il veut nous faire rire… Charlie avait fait pire ! Je me souviens qu’il y a neuf ans, Cabu avait dessiné le prophète en mafieux malsain, avec cigare et verre de cognac, présidant le jury du concours « Miss sac à patates » ! Le dessin de Luz est bien innocent, à côté !

– Mais monsieur Blequin, l’Islam interdit la représentation du prophète !

– Qu’est-ce que vous en savez, madame Kervella ? Vous avez lu le Coran ?

– Heu…non.

– Ben alors pourquoi vous dites ça ? Ce sont les islamistes qui le disent, se basant sur leur lecture à eux d’un ouvrage écrit dans un arabe qui ne peut plus être celui que l’on parle aujourd’hui ! De toute façon, même si c’est vrai (je ne suis pas docteur de la foi, je n’en sais rien), au nom de quoi un interdit religieux devrait-il s’appliquer à la société française ? Quand Jean-Paul II a interdit le port du préservatif, les élus de la République n’en ont pas fait autant, que je sache ! En fait, si les intégristes ont attaqué Charlie hebdo, c’est parce qu’ils savent que c’était eux que le journal attaquait et non pas les musulmans en général ni l’Islam en particulier ! Ces connards ne savent débattre qu’à coup de cocktails Molotov et ne représentent rien d’autre qu’eux-mêmes : leur action est la négation de la démocratie qu’ils pourraient mettre en danger si on venait à les prendre au sérieux. Il semble que les musulmans qui ont condamné l’acte voire ont soutenu Charlie ne s’y sont pas trompés…

Libération, n°9479 (3/112011) : Libé a donc accueilli l’équipe de Charlie dans ses murs ; Willem, qui collabore aux deux journaux, n’aura donc plus qu’un voyage à faire. Libération, de plus, a enrichi son édition parue le lendemain des événements d’un supplément de quatre pages où les dessinateurs du journal réagissent à chaud sur l’événement et montrent qu’ils ne sont pas dupes du soutien que leur apporte Claude Guéant : Willem et Luz n’ont pas oublié les écoutes téléphoniques dont Le monde a été victime et qui rend douteuse la sincérité du ministre de l’intérieur défendant la liberté d’expression. Cabu, de son côté, a dessiné le ministre déclarant au directeur de l’hebdo « je prierai pour Charlie, monsieur Charb » ce à quoi ce dernier répond « merci monsieur le ministre des cultes » tant il est vrai que Claude Gueulant a été moins sévère avec les intégristes chrétiens qui ont attaqué le Théâtre de la Ville et menacent déjà le Théâtre du Rond-point… La « une », due à Catherine Meurisse, va dans le même sens, mais avec Sarkozy, qui se plaint de devoir « sauver Charlie » en déclarant « quinquennat de merde… » ; de fait, là encore, qui peut croire la sincérité de notre lider minimo ? En 2006, certes, il avait soutenu Charlie dans l’affaire des caricatures danoises, déclarant notamment « je préfère un excès de caricature à un excès de censure » (expression tautologique dans la mesure où une caricature est, par définition, un excès), ce qui ne l’a pas empêché ensuite d’attaquer en justice l’éditeur de la poupée vaudou à son effigie, c’est donc dire les limites de sa tolérance envers l’humour… Pourquoi je vous parle de cet aspect des choses ? D’abord parce qu’il est plutôt positif que Charlie se prémunisse lui-même contre les risques de récupération contre lesquels Siné les met indirectement en garde dans sa « mini-zone » de mercredi dernier ; vous pouvez toujours causer, à l’UMP, c’est bien de votre part de nous soutenir, c’est votre boulot d’élus du peuple, mais on ne vous épargnera pas pour autant : voilà ce que les dessinateurs du journal répondent à Guézy et Sarkoant… Ensuite, en ne se contentant pas d’enfoncer la porte ouverte de la dénonciation de l’intégrisme (même si cette dénonciation est évidemment légitime et d’actualité), ils sont cohérents avec cette boutade de Luz : « Tout laisse à penser à une attaque d’intégristes, mais ça peut très bien être l’œuvre de deux types bourrés ! » Et oui, après tout, on ne le sait pas encore ! Ceux qui vont trop vite en besogne feraient bien d’attendre une revendication explicite ou la publication des résultats de l’enquête…

Time (31/102011) : Si on avait dit à Hergé, pendant ses débuts, que son petit reporter bruxellois ferait un jour la « une » d’un magazine aussi prestigieux…. Cette image d’un Tintin dessiné contemplant son reflet en 3D dans un miroir avait bien évidemment vocation à signaler les cinq pages que l’hebdomadaire consacrait au film de Spielberg, lequel rêvait d’adapter les aventures de Tintin depuis 1983 – à noter que le temps qu’il réussisse à prendre rendez-vous avec le créateur de la série, celui-ci a eu l’idée malheureuse de mourir avant… Je n’ai pas grand’ chose à dire sur l’article lui-même, étant donné que je n’ai pas vu le film, mais j’ai quand même été marqué par un encadré consacré aux « aventures de Tintin les plus controversées » (la traduction est de moi). Figure évidemment dans cette liste Tintin au Congo, qu’Hergé avait composé en se basant sur l’image caricaturale et paternaliste que les Européens s’obstinaient à avoir de l’Afrique au début des années 1930, ainsi que L’étoile mystérieuse, dessiné pendant l’occupation et où le « mauvais » de l’histoire est une caricature du financier juif rapace comme la propagande de l’époque le représentait ; la rédaction de Time mentionne le nom qu’Hergé lui avait donné à l’époque, Blumenstein (aie…) mais oublie de signaler la tentative de « déjudaiciser » ce patronyme au moment de la réédition de l’album, comme le rappelle Benoît Peeters dans Tintin et le monde d’Hergé : « Voulant transformer ce nom, Hergé décida de le remplacer par un autre, d’allure anodine : bollewinkel, ce qui, en bruxellois, signifiait : une petite boutique de confiserie. Pour le rendre plus exotique, il l’orthographia Bohlwinkel. Manque de chance, il devait découvrir plus tard que ce nom était également un véritable patronyme israélite. » Bon, la trace d’antisémitisme est toujours là, mais cette anecdote est une marque de la bonne volonté d’Hergé de racheter ses erreurs passées : il semble que Spielberg, descendant de juifs allemands et fondateur de la Shoah Foundation Institute for Visual History and Education lui apporte un pardon posthume en lui rendant hommage. Pour revenir à cet encadré, il est plus surprenant d’y trouver L’île noire au simple motif que l’on y voit Tintin boire une bière dans un pub ! Ce n’était pourtant pas la première fois que le petit reporter touchait à l’alcool, le lecteur l’ayant déjà vu ivre (malgré lui, il est vrai) dans L’oreille cassée. Cette remarque vaut aussi pour l’inclusion dans ces histoires controversées du Crabe aux pinces d’or où, dit le magazine, « l’alcoolisme du capitaine Haddock atteint son point culminant : whisky et autres spiritueux sont présents dans plus d’un quart des vignettes. » De fait, ce qui allait devenir dans les albums suivants l’aimable penchant d’un comparse de poids pour Tintin n’est encore que la dangereuse manie d’une épave humaine. Il est clair que la soulographie du capitaine, avant la cure de désintoxication énergique et forcée que sera sa traversée du désert marocain, n’est défendue en aucun cas par Hergé qui en montre les effets dévastateurs ; pourquoi une controverse alors ? Les Américains, feu Morris pouvait en témoigner lui aussi, sont très à cheval sur la moralité de ce que l’on transmet aux enfants : ainsi, de même que les studios d’animation américains refusaient que Lucky Luke fût esclave du tabac, l’alcoolisme du capitaine dans Le crabe aux pinces d’or a dérangé l’éditeur américain d’Hergé qui lui a demandé de supprimer les cases où l’on voyait Haddock s’enivrer en buvant à la bouteille ; comme Haddock est un « bon » dans l’histoire, la censure de l’oncle Sam pouvait y voir une incitation à l’alcoolisme… Une « controverse » un peu ridicule qui prouve que l’univers hergéen n’est pas aussi manichéen que beaucoup le prétendent : sinon, comment Tintin se permettrait-il de prendre pour compagnon de voyage un homme à ce point au font du trou ? Même remarque pour l’album On a marché sur la Lune à propos duquel Time réactive la controverse suscitée par le sacrifice de l’ingénieur Wollff : « Alors que les réserves d’oxygène s’épuisent à bord de la fusée, un des méchants se rachète en se suicidant. La presse catholique s’en indigna. » Bon. Pour commencer, Wollff n’est pas un « villain » (c’est le terme anglais utilisé) mais une victime, comme Phèdre dans la pièce de Racine : c’est acculé par un odieux chantage qu’il en est réduit à trahir l’équipage de la fusée. Ensuite, Hergé avait déjà répondu aux bien pensants qui l’accusaient d’avoir mis en scène un suicide : « Mais pas du tout, c’est un sacrifice ! Le soldat qui se fait sauter avec un pont, l’Église lui refusera-t-elle son ticket pour le paradis ? » Et toc. Je pensais la question enterrée, mais non. Signe révélateur : Time ne cite pas parmi ces albums controversé Tintin au pays des soviets… Remarquez, si ça se trouve, cet album n’a jamais été édité en Amérique !

Ouest France (7/112011) : Ce n’est pas le scoop de l’année : les banlieues dites « difficiles » manquent de tout (ce qui explique pourquoi certains de ses habitants pètent les plombs) y compris de médecins. Ouest France consacre donc sa quatrième de couverture à la quinquagénaire Marie Le Corre, médecin à Villejuif depuis seize ans, qui a su se faire aimer et respecter y compris des « p’tites frappes » de banlieue à tel point qu’elles ont, dit-elle, « cessé de me prendre des trucs. Désormais, on m’en met. Des biscuits, du couscous… ». Le docteur Le Corre pourrait servir de modèle pour l’héroïne d’une série télé, avec la verdeur de son langage (« Ah, mes gamins ! »), les caractéristiques qui la rendent hors normes (« C’est une pile électrique, volubile, chaleureuse. ») et, surtout, le contact qu’elle entretient avec ce qu’il y a de plus rude dans la vie des cités : « Si j’ai un toxico en salle d’attente, pas la peine de le faire attendre. Il ne peut pas. Je le fais passer tout de suite. Mais j’ai très peu de toxicos. (…) En général, je les dépanne en substituts pour cinq ou six jours et je leur donne les adresses de spécialistes. » Notez que ça, à la rigueur, ce n’est pas le plus grave : des camés, il y en a toujours eu, il n’y a que dans les fantasmes des bien pensants que l’on peut éradiquer totalement la drogue. Plus édifiant, en revanche, est ce dont Marie nous parle avec des termes particulièrement saisissants, des mots que j’aurais aimé trouver moi-même : « Je m’inquiète de la montée du machisme. Les mecs sont des coqs de basse-cour, couvés par leur mère, et les filles sont des femelles qui leur appartiennent. » Merci, docteur, pour votre diagnostic social qui a mis des mots sur ce que l’on constate souvent sans trop savoir comment le nommer. « Coqs de basse-cour », c’est le mot que je cherchais ! Non parce que, vous savez, c’est un vrai problème : faute d’éducation sexuelle de qualité, beaucoup de jeunes garçons calquent leur sexualité sur ce qu’ils voient dans les films pornos de série B, ce qui leur rend impossible une sexualité douce et safe ; résultat, la première expérience sexuelle est traumatisante pour beaucoup de jeunes filles. De même, beaucoup de mères entretiennent chez leurs fils la conception d’une relation entre les deux sexes devant se traduire par la domination, voire la supériorité, du masculin sur le féminin ; même moi, qui vous parle et n’ai pourtant pas vécu dans une cité pourrie, combien de fois n’ai-je pas entendu ma grand’ mère me dire « arrête de pleureur comme une fille » ! Le mouvement Ni putes ni soumises avait vocation à contrecarrer cet état de choses : une raisons supplémentaire pour regretter la façon dont a évolué sa fondatrice, une certaine Fadela Amara… C’est combien, la consultation, docteur ? Allez, kenavo !

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