Trente ans plus tard

 

« Chaque livre d’Histoire en se fermant fait le même bruit: « abrutis » »

Louis Scutenaire.

 

L’Histoire, ça court vite. Le moindre sujet qui prend plus de 5 minutes d’antenne sur les chaînes spécialisées est aussitôt affublé du qualificatif « ‘historique ». L’omniprésence des appareils à capter des images fait que l’Histoire se construit en direct, et quand les actualités refroidissent, on les consigne dans des archives classées par ordre d’importance. Plus le vent souffle dans la direction du pouvoir, et plus l’évènement est historique, alors qu’il n’y a aucune raison logique pour que la défiscalisation des heures supplémentaires ait une plus grande portée à l’échelle universelle que le travail de n’importe quel obscur paysan des tréfonds du Berry moyenâgeux, sinon qu’il serait vain d’abandonner sa jeunesse, son intégrité et son empathie à la carrière politique si l’on n’a pas au moins un articule dans le Larousse ou une plaque de rue sur un boulevard sinistre.

Heureusement, l’Histoire n’appartient pas qu’aux historiens. Un film (La Dame de Fer, de Phyllida Lloyd), provoque de vertes engueulades au Royaume-Uni entre les nostalgiques de miss Maggie et ses victimes. Margaret Thatcher exerce à la fois fascination et répulsion sur les citoyens anglais: elle n’est plus aux affaires depuis une trentaine d’années, mais est toujours à la fois un modèle à droite et un épouvantail à gauche, et un symbole du basculement de l’Angleterre vers le capitalisme à tout crin. Pendant les fameuses grèves de 1984-85, elle a tout simplement atomisé le syndicalisme minier et méticuleusement organisé la quasi-disparition du droit du travail et du service public. Et c’est de ce jour que le Labour Party, le pendant du PS au Royaume-Uni, a oublié ce que Labour signifie en anglais, et pourtant le travail n’en finit pas d’être laborieux.

Margaret Thatcher risque donc de rester dans l’Histoire, au moins jusqu’à ce que la gauche anglaise retrouve  la traduction de « left », un peu après « labour » dans le dico. A la même époque en France, la rigueur arrive (déjà), et notre futur président Nicolas Sarkozy braque la mairie de Neuilly à Pasqua pour tromper son ennui à la députation des Hauts de Seine, où manifestement il n’avait rien à faire. Parfois l’Histoire se torche sévère au cognac plein fût pour oublier les outrages que l’homme lui inflige. Alors, elle a le hoquet, et hop Margaret Thatcher devient présidente de la République. Pardon, Nicolas Sarkozy devient président de la République. Le parallèle entre l’action politique et économique de Thatcher et celle de Sarkozy est flagrante, et en attendant que le PS retrouve le sens de socialiste dans le dictionnaire, les décombres de service public laissés par nos Attila de la main invisible du marché prendront des années à restaurer, même s’il faut avouer que les horribles bâtiments où vivotent nos administrations sont moins agréables à contempler, même à l’état neuf, que le Colisée ou le Palais des Doges.

Quel destin historique et cinématographique prévoir à moyen-terme pour Sarkozy? Peut-on lui augurer d’un destin à la Chirac, le gentil papy un peu escroc retiré des affaires mais pas des poulettes? Peu probable, puisque le bougre est encore jeune, et a déjà affirmé à multiples reprises qu’une fois retiré de la vie publique, il irait se faire des couilles en or dans le privé. L’expression est cavalière, mais elle émane de l’Elysée-même, jamais des couilles en or ne sortiraient spontanément de ma plume. Comme j’espère que la vie publique se séparera de Sarkozy avant qu’il ne se décide lui-même à arrêter, qu’il aille vite se faire auriférer les joyeuses, d’autant plus qu’il n’est pas moins escroc que Chirac, qui lui au moins boit de la bière. Passons à la deuxième hypothèse. Supposons que, enfer et damnation vie de merde et pays de cons, Sarkozy soit réélu, et envoie Thatcher sucrer les fraises dans l’antichambre des petits joueurs de l’internationale libérale. Qui pourra encore s’offrir une caméra ou simplement l’électricité pour l’alimenter, et retracer vingt ans après la geste et les gesticulations de l’omniprésident, avec le recul que permet le temps passé, et l’eau qui aura coulé sous les cons qui ne boivent pas de vin? Faudra t-il s’attendre à un panégyrique de l’enfant mal-aimé qui à force de caractère s’est batti un destin national (j’aime écrire comme dans Paris-Match), où à une satire à la Nanno Moretti d’un beauf à gourmette et à Rolex qui mesure sa virilité à l’aune de son ascencion sociale?

En tout cas, même avec une mauvaise foi dure comme le coeur de Claude Guéant, bon courage aux futurs exégètes de l’oeuvre présidentielle pour y trouver la moindre cohérence idéologique et le moindre projet. Miss Maggie était certes un vampire particulièrement vorace, mais elle avait une ligne stratégique claire et était méchante avec une conviction enviable. Nicolas Sarkozy à peine entamé son travail de démolition, à commencer par le fameux bouclier fiscal, s’est pris une crise à laquelle il ne s’attendait pas tellement il est nul en économie. Il a dû tergiverser, piquer des idées à l’extrême-droite et à la gauche moyenne, flatter la croupe du curé plutôt que de l’instituteur, et pis que tout faire deux bises par semaine à Angela Merkel pour rapiécer les bouts de son électorat qui part en lambeaux (si tous les faux-culs qui prétendent ne pas avoir voté pour lui en 2007 ne remettent pas le couvert en mai). Tout ça pour en arriver, à peine à trois mois de la fin de son mandat, à défendre dans le même élan de schizophrénie délirante la TVA sociale et la taxe Tobin, comme il s’est fait le champion du nucléaire et du Grenelle de l’environnement, le chantre de l’Europe pour qui Bruxelles est la cause de tous les maux, et le gardien de la valeur-travail à Gandrange qui compte les chômeurs pour s’endormir dans son élyséen plumard.

Dans un prochain épisode, nous affirmerons ne souscrire à la nouvelle théorie à la mode, le « produire français », qu’à la condition que cette initiative ne s’applique pas aux alcools russes et écossais.

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