Le féminisme, c’est ne pas compter sur le Prince Charmant. Jules Renard

 

J’avais décidé de ne pas me mêler à cette discussion interne à l’équipe du Graoully mais c’est plus fort que moi. Mes avis de féministe « mal baisée » et « bitophobe » (selon les termes de certains) m’empêchent de me taire sur cette affaire.

Quelle affaire ? Le retrait des affiches du film « Les infidèles » qui, rappelons le, représentent deux hommes en train de tromper leur femme tout en prétextant être « sous un tunnel » ou « en réunion ». Alors on entend d’ici crier au puritanisme, aux avis réactionnaires, aux aboiements insupportables des chiennes de garde. Certes, c’est certainement l’occasion rêvée pour certains de rappeler dame Anastasie. Mais ne mélangeons pas tout.
J’ai toujours pensé que s’il y avait quelque chose à reprocher aux féministes c’était leur agressivité et leurs méthodes trop souvent virulentes qui empêchent le dialogue. D’ailleurs j’en sens déjà certains vexés dans leur for intérieur, mais je tiens à le préciser : c’est de pédagogie que manquent les féministes, pas de relations sexuelles. Et à ce propos, nous nous portons très bien, merci. Alors à mon tour, je vais essayer de faire preuve de pédagogie devant cette  hypocrisie. Un machisme ordinaire qui n’est sûrement qu’un manque de connaissance du genre féminin.

Tout d’abord, si je m’insurge contre cette affiche ce n’est pas exclusivement pour l’image réductrice de la femme qu’elle offre, mais pour son extrême mauvais gout. Il faut l’avouer, dans le genre original et finement trouvé, on repassera. Mais surtout, on retrouve le même problème que dans l’industrie pornographique actuelle où la femme est découpée, morcellée, hachée menue pour ne garder d’elle que des images prises de (trop) près, annihilant ainsi l’idée même d’être à part entière. Ce n’est pas le plaisir de la femme qui est ici mis en avant vu qu’on ne la voit quasiment pas, mais qu’on l’entend beaucoup. A croire que le plaisir féminin ne s’exprime que par des mugissements, c’est bien triste de croire cela. Alors on met en avant le coït masculin réduit à son état le plus primaire, un aller-retour, sans respect de la personne, puisqu’il n’est question ici que d’une entrée. Bien loin donc de la majorité des rapports sexuels. Passons, chacun ses fantasmes et je les respecte tant qu’ils n’interfèrent pas avec les miens.
Mais le problème est à présent soulevé… Pour illustrer mon propos, je ne parlerais pas de l’image archaïque et soumise de la femme dans ces films sans quoi je risque encore de me faire épingler comme étant une frustrée-frigide et sûrement lesbienne refoulée. Je vais plutôt vous faire part d’une interrogation toute personnelle. Je serais curieuse de savoir combien de jeunes hommes s’interrogent sur leurs soucis de performance, leurs méthodes, leurs pratiques après avoir visionné trop de films scénarisés où certains acteurs se piquent pour garder leur soldat au garde à vous. Toutefois, je me dépêche de préciser ma pensée avant que l’on ne me traine sur la route d’un couvent. Ce n’est pas de représenter le sexe qui est dérangeant, cela s’est toujours fait, même sur les murs de Pompéi. C’est de le représenter de cette manière « là » qui pose problème et qui, en l’occurrence, me pose problème.

Comme tous ont pu le remarquer, le sexe fait à présent partie intégrale de notre univers visuel. Que ce soit pour un yaourt, une voiture, une lessive ou même un shampoing (personne n’a oublié cette pub où une femme jouissait en se lavant les cheveux…), le sexe est omniprésent. Petit à petit, la société a créé de toute pièce (par la publicité, la mode, les films, les clips musicaux…) les caractéristiques d’une femme physiquement parfaite, selon des critères masculins, et sexuellement attirante. Un peu à l’image de cette greluche de Barbie, mascotte des petites filles rêvant d’être princesse, qui a certainement due faire complexer plus d’une femme-en-devenir. Mais toutes ces représentations sexuées sont elles les plus emblématiques de nos envies, désirs et fantasmes ? A l’heure où le divorce est monnaie courante, où l’industrie du sexe bat son plein entre prostitution, sexshop et production de films X, pensez vous sincèrement que ce sont les signes d’une sexualité épanouie ?

Je pense justement que cette polémique à propos de ces affiches n’est qu’une preuve supplémentaire que notre société n’est pas encore tout à fait claire à ce propos. Nous sommes encore bien loin  de la ville d’Oneida, fondée par John Humphrey Noyes en 1848, paradis du libertinage et surtout… du respect. Noyes avait d’ailleurs compris très tôt que la femme avait droit au plaisir sans nécessairement tomber enceinte, mais passons. Dans les sociétés utopistes de More, Fourrier ou Morris, les femmes prennent une place décisive et certains iront même jusqu’à dire que le bien être d’une société se trouve dans l’émancipation de la femme.

Rassurez-vous machistes de tout bord, nous en sommes loin. C’est sûrement, comme l’a fait pertinemment remarquer Jonathan,  que le problème se trouve encore aujourd’hui dans l’éducation. (En parlant d’éducation, allez d’ailleurs expliquer à votre enfant ce que fait la dame sur l’affiche, la tête entre les jambes de monsieur, tout en le préservant encore un peu des discussions d’adultes.)  La faute à une société encore très masculine et patriarcale, où les hommes décrochent encore et toujours les postes à responsabilité. Méritocratie me dirait vous ? Je ne pense pas. Selon le Service des droits de la femme et de l’égalité, (encore un organe gouvernemental qui ne devrait pas exister si il n’y avait pas de problèmes), dépendant de la Direction générale de la cohésion sociale : à l’issue du bac 2009, même à 2,6 points supérieurs à celui des garçons, les parcours divergent et les filles ne sont que 30% dans les prépas scientifiques. Or ces filières sont sélectives, on peut donc se demander sur quels critères se base la sélection.
Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Pourtant, il illustre déjà trop les différences pour lesquelles les féministes se battent chaque jour de leur vie, pour faire reconnaitre leurs droits, leurs qualités et leur liberté au même titre que les hommes souhaitent conserver les leurs.

J’espère que vous aurez compris ma pensée. Il ne s’agit pas de répudier nos désirs et fantasmes au profit d’une société prude. Il s’agit de les exalter dans le respect de la personne, qu’elle soit un homme ou une femme. Or ces affiches sont pour moi tout sauf respectueuses. Pas pour ce qui est « fait » sur cette publicité, arrêtez donc de brandir l’argument « à croire que les femmes n’aiment pas la fellation ! » car vous déplacez complètement le problème. La question n’est pas quelle pratique sexuelle est la plus appropriée pour respecter une femme – car tous les goûts sont dans la nature ! – mais plutôt quelle image de la femme véhicule cette affiche. Qu’en est-il de l’image de la maitresse ? A en croire ces images, elle n’est personne vu qu’on ne la voit même pas et que c’est uniquement sa fonction sexuelle qui est mise en avant. De la même manière, qu’en est-il de la femme qui s’entend répondre « Je passe sous un tunnel » ? Peut être bien une cruche trompée maintes et maintes fois, transie d’amour et forcément idiote de croire les mensonges répétés de son mari adultère. Une belle image du couple et des relations (extra)conjugales.

Finalement, cette affiche « grisâtre » (pour reprendre Blequin) me parait être le juste reflet de notre société : un sempiternel refrain machiste qui d’années en années regagne du terrain. L’émulation idéologique créée par cette image, « anodine » dans une société qui fait la part belle au sexe, n’est que le reflet du profond malaise sociétal sur la parité homme/femme. Il y a encore du chemin à faire…

 

10 comments on “Le féminisme, c’est ne pas compter sur le Prince Charmant. Jules Renard

  1. Je connaissais Maude et ses rubriques sportives, je découvre avec plaisir une autre facette. Bravo pour cet article intelligent 🙂

  2. Arf.

    Je ne m’attarderai pas trop sur le manque de pédagogie des féministes. Ce n’est pas de pédagogie dont elles manquent ce sont d’idées abouties et d’actions utiles (aussi de second degré mais passons). Quand j’entends certaines féministes radicales parler, j’ai l’impression d’entendre le PS lors de ce fantastique mandat présidentiel: « Les idées sont mauvaises, les méthodes sont mauvaises, les lois sont mauvaises mais ne parlons à personne de ce que l’on pourrait faire pour améliorer cela. » Le combat qu’elles mènent est juste mais leur vision des choses est souvent (je n’ai pas dit « toujours ») erronée.
    Quant à l’affiche… Elle ne brille pas par sa subtilité, c’est un fait, mais il me semble que les deux personnages principaux non plus. Si on jette un œil à un ou deux trailers, on se rend bien vite compte que ce sont deux bons gros sexistes abrutis qui ne feront fonctionner les zygomatiques des français qu’à l’aide d’un humour potache.

    Certes, réduire la femme a un bout de son corps n’est pas louable mais ici, cette image sert le propos. Ils trompent leurs femmes respectives, ils ont une aventure, ils cherchent du sexe. Les femmes semblent ici consentantes, aucun geste n’est dégradant. Si ce n’est l’attention reportée sur le coup de téléphone et qui fait écho au caractère sexiste et imbécile des personnages. On arrive en un clin d’œil à cataloguer Dujardin et Lellouch. Le message est passé, le coup de pub est -controversé mais- réussi.
    Notre société a créé de toute pièce une femme sexuellement attrayante selon les critères masculins… et féminins! Combien de fois a-t-on entendu une personne munie d’un utérus dire:
    « Les cheveux de cette actrice sont vraiment beaux! J’aimerais me faire la même coiffure. »
    « Scarlett Johansson est vraiment canon. »
    Ou encore: « Johnny Depp est orgasmique! Rien qu’à voir sa photo j’ai la culotte qui palpite. »
    Surement un modèle masculin parfait construit selon des critères uniquement masculins. Tout comme Ken, l’ex mari (c’est vrai que le divorce avait parfaitement sa place dans ce paragraphe sur le commerce du sexe…) de Barbie.
    A toutes les époques on a vu s’imposer aux yeux de tous les canons de beauté. Entre statues antiques, gravures ou peintures, les exemples ne manquent pas. J’espère d’ailleurs que limiter la femme à cette partie du corps ne t’a pas gênée: http://www.idixa.net/Imag1/iVoix/courbet-OrigineDuMonde.jpg (Je taquine, bien entendu.)
    Ces personnifications de la Beauté sont les reflets de nos désirs. Je m’insurgerais bien plus facilement sur une publicité montrant une femme munie d’un aspirateur que sur ces affiches.

    Que le bien être de la société se trouve dans l’émancipation de la femme ou que, plus surement, elle y contribue, je n’en doute pas. Je suppose que je devrais par moi-même lire la totalité des œuvres des auteurs que tu cites pour découvrir quel est ce fantastique argumentaire résumé en quelques lignes.

    J’espère plus tard être capable de répondre à mes enfants si une situation similaire à celle de ton article se présente. Et je ne doute pas que cela arrivera. Que ce soit en tombant sur une pub pour un shampooing (« Pourquoi elle crie autant la Madame? Elle a l’air heureuse pourtant. ») ou dans un téléfilm allemand passant un après-midi (« Qu’est ce qu’ils font les gens sous la couette? Il doit lui faire mal pour qu’elle serre les draps comme ça. »).

    Dans les prépas scientifiques les filles ne sont que 30%? Et en plus elles ont de meilleures résultats au bac que les garçons? Mais comment cela se fait-il? Comment se passe la sélection? … Celle-ci se fait avant même le commencement du bac dans les différents lycées. Elle se fait sur dossier, celui-ci contenant les bulletins des trois trimestres de 1ère et les deux premiers de terminale. S’il y a moins de filles c’est tout simplement parce qu’il y a moins de demandes. Il y a d’autres filières prestigieuses où les filles sont majoritaires telles que les études médicales et les études vétérinaires.
    Si l’éducation pose problème c’est surement dans le conditionnement que peuvent recevoir les enfants. Un pistolet pour les garçons et une poupée pour les filles. Soit. Là où le bât blesse (et ce n’est pas cette sélection pseudo-machiste) c’est que cette éducation peut ne pas encourager les filles à s’engager dans des filières décrites comme masculines.

    L’image négative de la femme que véhicule cette affiche n’est pas inexistante mais elle n’est pas dérangeante. Elle continue sa petite affaire pendant qu’il est au téléphone. Elle sait qu’il ne veut que du cul, sa dignité est intacte. Que sait-on d’elle? Rien. Que sait-on sur cette femme qui s’entend répondre: « Je passe sous un tunnel. »? Rien. Du tout. Elle peut être au courant de tout, ne rien savoir, être désespérément amoureuse, ne plus l’aimer depuis des années, avoir elle-même choisi le style de vie libertin. Tout est possible.

    Il y a encore du chemin à faire pour la parité hommes/femmes mais ce n’est certainement pas cette censure d’affiche qui fera avancer les choses et donnera du crédit à cette bataille.

    Barbie, une personne loin d’être traumatisée par la pornographie (il y en a aussi de la bonne).

      1. Barbie, c’est un cache-sexe ou c’est vraiment une femme qui s’exprime?
        Dans ce cas… le pire, pour les féministes qui se battent tous les jours sur le terrain et font oeuvre utile, ce sont …
        les conservatrices qui bénéficient d’acquis féministes sans les assumer ni s’en montrer solidaire.
        Voire même qui dénigrent les autres femmes pour se faire remarquer dans la niche « femme anti féministe » sures alors de ne pas déplaire ainsi aux machistes et au systeme qui reproduit les machos au pouvoir.
        Jouissez , madame, des droits que d’autres ont obtenu pour vous.. et tachez, tout de même, de lire un peu et de vous renseigner sur le sujet. Il y a tant de chercheurs, sociologues, anthropologues, politilogues qui ont bossé sur le sujet et qui ont démontré clairement l’inégalité de traitement entre les sujets humains, au prétexte d leur sexe!
        et Bravo à l’auteure de l’article. je découvre le Groully du même coup, bonne continuation

  3. « Je ne m’attarderai pas trop sur le manque de pédagogie des féministes. Ce n’est pas de pédagogie dont elles manquent ce sont d’idées abouties et d’actions utiles. »

    Tremblez Louise Michel, Olympe de Gouges, Rosa Luxembourg et autres Georges Sand ! Une anonyme troll de l’internet le dit : Vos idées ne sont pas abouties. (fermez le ban, aucune contestation possible, l’action utile ce n’est ni le bagne, ni la révolution, ni la décapitation pour ses idées, c’est de troller sur l’internet un mardi après-midi.)

    « [Combien de fois a-t-on entendu une personne munie d’un utérus dire:] « Johnny Depp est orgasmique! Rien qu’à voir sa photo j’ai la culotte qui palpite. » »

    A titre personnel jamais. Mais je ne doute pas que nous n’avons nullement le même genre de fréquentation. Par contre, excusez-moi, mais vos connaissances/amis/fréquentations ne constituent pas la norme.

    « J’espère d’ailleurs que limiter la femme à cette partie du corps ne t’a pas gênée: http://www.idixa.net/Imag1/iVoix/courbet-OrigineDuMonde.jpg (Je taquine, bien entendu.) »

    Ah oui l’Art, la pornographie et la réclame publicitaire tout se dispose sur un seul et même plan. Gustave Courbet n’était qu’un publiciste pornographe tout le monde sait cela. (je taquine bien entendu.)

    « S’il y a moins de filles c’est tout simplement parce qu’il y a moins de demandes. Il y a d’autres filières prestigieuses où les filles sont majoritaires telles que les études médicales et les études vétérinaires.
    Si l’éducation pose problème c’est surement dans le conditionnement que peuvent recevoir les enfants.  »

    Le problème que vous dénoncez haut et fort: le conditionnement des enfants.
    Et quand on vous lit une ligne plus haut : Il y a pleins de filles vétérinaires, c’est très prestigieux.

    N’est-ce pas paradoxal de dénoncer ce conditionnement mais de s’enthousiasmer de voir les jeunes femmes se destiner à soigner des chiots : « parcequ’ils-sont-trop-mignons-kikou-loool-mdr-xD » ?

    « L’image négative de la femme que véhicule cette affiche n’est pas inexistante mais elle n’est pas dérangeante. »

    Les soumis s’accommodent très bien du traitement dégradant que leur réserve ceux qui les méprisent et les dominent. Ravis d’apprendre que vous vous situez dans cette catégorie mais ce n’est pas le cas de l’auteur.

    « Elle continue sa petite affaire pendant qu’il est au téléphone. Elle sait qu’il ne veut que du cul, sa dignité est intacte. »

    La dignité et la crédibilité de l’auteur de ces lignes ont disparus. Forte récompense à qui les retrouvera. S’adresser aux jouets Mattel, campagne : « un cerveau pour Barbie » 18 rue du machisme, Immeuble les petits chiots, 00000 cédex : pétasse-land. (prière de se servir d’une enveloppes illustrée de dauphin et d’un papier à en-tête rose bonbon.)

    « Barbie, une personne loin d’être traumatisée par la pornographie (il y en a aussi de la bonne). »

    Merci pour cette contribution, elle était indispensable, on a vraiment appris quelque chose là.

    Je ne regrette pas d’avoir demandé le divorce.

    Ken l’orgasmique.

  4. Bravo Maude, tu défend ton point de vue et tu as bien raison.
    j’aime ta façon d’écrire vivement le prochain article et merci à ta maman de nous faire d’écouvrir tes articles a chaque fois
    Continue comme sa ;-))

  5. Juste pour resituer le débat: l’article de Maude, comme le mien, n’avaient pour objet de faire un catéchisme du féminisme.
    On a réagi à des articles précédents qui plaçaient le débat sur le terrain de la liberté sexuelle et la liberté d’expression avec des propos qui pouvaient paraître méprisants pour le féminisme.
    Après qu’on soit plutôt Isabelle Alonso ou Emma Goldmann, l’affiche du film on s’en fout un peu, il y a des problèmes plus graves, c’était juste un prétexte pour une petite mise au point.

  6. lecture très intéressante,comme beaucoup d’autres personnes qui sont ici et bien trop nombreuses à énumérer…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *