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Ils voulaient faire disparaître l'affiche du film, c'est réussi : tout le monde l'a vue au moins une fois ! Alors je préfère vous mettre ce dessin que j'avais réalisé AVANT la polémique...

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Ça ne vous aura pas échappé, l’affiche du film Les infidèles aura été malgré elle une véritable pomme de discorde entre les pourfendeurs du politiquement correct et ceux qui jugent ça dégradant pour la femme. Les deux camps adverses ont au moins un point commun : ils parlent de façon passionnée, sous l’effet de l’indignation et en oublient de lire entièrement l’image. Moi, j’aime comprendre avant de m’indigner là où on me dit de m’indigner, alors j’essaie d’analyser le propos de cette affiche sans tenir compte des notions de « bon goût » ou de « mauvais goût » qui relèvent de la subjectivité de chacun.

Premièrement, elle a un fond gris. Toutes les couleurs ont une valeur, et le gris, c’est celle de la grisaille dite « quotidienne », c’est celle de la vie urbaine dans ce qu’elle a de plus de trivial, pour ne pas dire de plus médiocre. Le film annoncé se trouve donc placé sous le signe de la quotidienneté, les personnages n’ont pas à être considérés comme des héros magnifiés mais comme des personnages tout à fait banals vivant des aventures totalement ordinaires – rien que ça, ça me donne envie de voir le film, ça fait peur ! L’affiche nous mettrait donc en présence d’une situation considérée comme banale, quotidienne, premier point d’acquis.

Deuxièmement, que met-elle en scène ? Nous voyons le comédien Jean Dujardin porter un costume trois-pièces noir et blanc, une tenue de ville que l’on met pour aller au bureau, mais avec une façon de la porter assez désinvolte, la veste étant grande ouverte, le haut de la chemise déboutonné et la cravate laissée à l’abandon. De surcroît, l’homme est mal rasé et coiffé pour ainsi dire en pétard : il porte une tenue de ville sans être en ville, on l’imagine plutôt dans un cadre privé, soit avant soit après ses heures de travail. Le cadrage ? Il est coupé à mi-corps, on ne voit pas comment il est habillé au-dessous de la ceinture. Que fait-il ? Il tient à la main deux jambes nues, que l’on devine être féminines, et les maintient en l’air : la femme à laquelle ces jambes appartiennent est hors-champ, ce qui vient « après » les jambes quand on regarde le corps de la femme en remontant des pieds à la tête nous est caché, au même titre que ce qui vient « après » le tronc de l’homme quand on regarde son corps en descendant de la tête au pied ; la femme est donc dans une situation inversée par rapport à celle de l’homme et cette inversion ne joue pas en sa faveur dans la mesure où, ne nous montrant pas son visage, elle se trouve privée de ce qui fait son individualité. La femme de l’affiche, contrairement à l’homme, n’a donc pas de personnalité réelle et se résume à une présence. Comme les deux corps paraissent se rejoindre là où se situent leurs organes génitaux (on le devine sans le voir, quels faux-culs !) le public est en droit de considérer qu’il s’agit là d’une relation sexuelle, et l’homme est seul à être actif dans cette relation, la femme se contentant de « recevoir ». L’affiche véhicule donc une conception déséquilibrée de la relation sexuelle où l’activité appartient à l’homme seul qui, de surcroît, parvient à se réaliser en tant qu’individu, ce qui est refusé à la femme ; une conception machiste ? À n’en point douter, d’autant que la tenue de l’homme semble suggérer que l’activité sexuelle de l’homme est un prolongement de l’activité productrice qu’il déploie dans le monde du travail : la femme, passive, n’est même pas envisagée comme pouvant participer elle aussi à cette activité productrice. Deuxième point, l’affiche met en scène une relation sexuelle basée sur des schémas patriarcaux obsolètes ; nous l’avons vu, elle n’exalte pas cette conception de la relation mais la considère comme une chose banale, quotidienne. Que beaucoup trop d’hommes, encore aujourd’hui, se croient maîtres tout-puissants chez eux, c’est une triste réalité ; reste à savoir si la comédie annoncée par l’affiche entend se moquer de ces talibans ordinaires ou au contraire nous servir sur ce sujet une brochette de plaisanteries grasses qui exaltent la supposée suprématie du masculin. Dans le premier cas, on aura eu tort de crier au scandale avant d’avoir vu le film, mais il est vrai que l’affiche était ambigüe. Dans le second cas, le scandale aura permis de faire de la pub à un film qui n’en valait pas la peine et qu’il valait mieux traiter par le mépris.

Troisièmement, enfin, la légende ; le film s’intitule Les infidèles : la relation sexuelle mise en scène est donc adultérine. La femme sans individualité est donc une simple maîtresse ; mais la femme trompée, que devient-elle ? Elle n’est rien, elle n’est présente nulle part, à ceci près que l’on devine que c’est à elle que s’adresse la phrase « Je rentre en réunion », fausse excuse que l’homme donne à sa légitime pour justifier qu’il rentre en retard au foyer. Cette phrase est censée prêter à rire dans la mesure où l’usage du verbe « rentrer » renvoie aussi bien à l’action qu’il prétend exécuter pour justifier son retard qu’à celle qu’il exerce effectivement (pas de doute, je me marre, vous n’avez pas idée !) : ce trait d’humour renforce la différence qui est fait entre l’activité de l’homme et la passivité de la femme mais, surtout, il ne nous dit rien sur la façon dont la femme trompée accueille l’excuse. La femme trompée est donc quantité négligeable, comme nous l’annonce le titre du film qui ne se focalise que sur les hommes infidèles et non pas sur les femmes trompées dont la souffrance morale est maintenue à l’état de tabou. Le film en parlera-t-il ? Probablement pas autant que des hommes infidèles, qui restent la trame centrale, mais s’il n’en parle pas du tout, la chose sera d’autant plus regrettable que cela donnera une légitimité à l’adultère dont le caractère tristement quotidien est souligné à juste titre : même si le film se moque des hommes infidèles, il risque fort de présenter ces derniers comme des maladroits qui n’en auraient pas moins le droit de multiplier les expériences susceptibles d’assurer l’épanouissement de leur sexualité alors qu’ils ne sont bien souvent que des machistes qui ne voient en la femme qu’une paillasse à foutre, des traitres à leur parole qui font souffrir celle qui les aimait.

Conclusion : cette affiche si scandaleuse met en scène un fait culturel reconnu, à savoir le machisme ordinaire des époux adultères qui ne voient dans leur maîtresse qu’un objet d’assouvissement de leurs passions et qui n’ont que mépris pour la souffrance endurée par la femme qu’ils trompent. L’affiche n’exalte pas cette conception perverse de la sexualité (là, on pourrait parler de scandale) mais il ne la dénonce pas non plus, du moins pas explicitement, et tel est probablement le reproche qui lui est adressé, à savoir de ne pas prendre clairement parti contre une conception des relations entre les deux sexes qui est directement à la source de toute une série de discriminations dont les femmes sont encore aujourd’hui les victimes. Ne pas tenir compte de cette donnée culturelle, se voiler la face à ce sujet au point de refuser qu’elle soit mise en scène dans une fiction, serait pourtant préjudiciable puisque c’est justement en la connaissant que l’on peut espérer lutter contre elle. Maintenant, de trois choses l’une : ou bien le film exalte effectivement la virilité du mari adultère, ce qui serait étonnant au vu de notre analyse. Ou bien la comédie Les infidèles dénonce ouvertement, en la ridiculisant, cette attitude machiste, et dans ce cas, le scandale était infondé. Ou bien le film se contente de moquer les maladresses des adultères sans remettre en cause ce qu’ils supposent être le bien-fondé de leur attitude, et alors nous avons affaire à un énième navet lourdingue qui n’aurait pas mérité deux secondes d’intérêt. En tout cas, difficile de juger tant qu’on n’as pas vu le film, à laquelle cette polémique aura apporté une promotion gratuite et très probablement imméritée. Bref, j’ai raté une belle occasion de fermer ma gueule en intervenant dans ce débat sans intérêt alors qu’il est beaucoup plus urgent de lutter efficacement contre les discriminations que subissent effectivement les femmes au quotidien, mais remarquez, je ne suis pas le seul ! Allez, salut les poteaux !

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