« Sur la piste du Marsupilami » : j’ai un goût de chiottes, mais j’ai vraiment aimé !

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Et bien cette fois, ça y est, c’est demain que l’on vote pour élire le chef de l’État ; entretemps, maintenant que la campagne officielle est finie, la loi nous interdit de passer des messages politiques… Alors si je vous parlais de cinéma, pour changer un peu, tiens ?

Un cinéaste français qui fait des films pour faire plaisir et non pas pour essayer de « dire quelque chose » au travers de deux heures de parlottes rasoir sur la crise de la trentaine histoire d’avoir de bonnes critiques dans Télérama, déjà, ça devient rare ; mais alors, un réalisateur français qui s’est sorti dignement de l’exercice particulièrement casse-gueule que constitue l’adaptation d’une bande dessinée, ça n’a même jamais été fréquent, ce n’est pas la belle Maude, qui nous avait troussé une chronique radio bien sentie à ce sujet quand RPL ne nous avait pas encore virés, qui va me contredire. Par conséquent, si l’adaptation à l’écran des aventures du Marsupilami avait été faite par quelqu’un d’autre qu’Alain Chabat, qui restera longtemps auréolé par le colossal succès critique et public de Mission Cléopâtre, je ne serais peut-être pas allé voir ; mais là, la question ne se posait même pas ! Et donc ?

Et bien satisfecit. D’accord, on ne se fend pas autant la poire que devant Mission Cléopâtre. D’accord, le génie de Franquin reste et restera absolument insurpassable. D’accord, mettre en scène le Marsupilami, c’est un peu jouer le jeu des productions Pixar, Dreamworks et consorts. Mais n’empêche. N’empêche que l’humour, vraiment pas nul du tout, d’Alain Chabat est bien là, avec des plaisanteries, des allusions culturelles et un comique de situation (ah, quand Dan Geraldo, le personnage joué par Chabat, se retrouve face au Marsu et ne le voit pas, occupé à compter jusqu’à 8.000 avec un sac sur la tête !) qui ne peut pas dépayser le spectateur qui a tant apprécié Mission Cléopâtre. L’intrigue elle-même, tissue de convoitises, de chantages et de rebondissements, retient l’attention du spectateur et le tient en haleine jusqu’au dénouement.

Mais le trait qui retient le plus mon attention est certainement le refus du manichéisme, logique à une conception des choses qui était déjà chère au génial Franquin : si vous relisez les aventures de Spirou et Fantasio dessinées par la maître, vous remarquerez sans trop de peine que le bien et le mal sont loin d’être imperméables entre eux : du côté des « bons », on range spontanément les habitants du village de Champignac, et pourtant, ces villageois, à l’instar des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » chantés par Brassens, sont toujours prêts, dès que leur bonheur précaire est menacé, à lyncher un bouc émissaire, de préférence étranger à leur communauté (cf. Il y a un sorcier à Champignac) ; même le pacifique comte de Champignac se mue en monstre d’agressivité pour peu qu’il fasse une erreur au cours d’une de ses expériences (cf. « La peur au bout du fil » in Le voyageur du Mésozoïque). Du côté des « mauvais », le si redoutable Zorglub s’avère finalement n’être qu’un pauvre type en mal de reconnaissance et qui finit d’ailleurs par à obtenir sa rédemption (cf. Panade à Champignac) ; même l’infâme Zantafio laisse entrevoir la possibilité d’un rachat le concernant (cf. Spirou et les héritiers) et même si cet espoir de rachat est déçu, il est loin d’être un adversaire redoutable pour les héros et finit toujours en lambeaux.

De même, dans le film d’Alain Chabat, la frontière entre le bien et le mal est tout sauf étanche : Dan Geraldo, le journaliste, est un escroc dont le seul titre de gloire est d’avoir fait carrière à la télévision grâce à un faux reportage sur la guerre civile en Palombie ; son aventure sur la piste du Marsupilami lui donnera justement l’occasion de rattraper cet impair et de gagner sa légitimité en tant que journaliste. Pablito Camaron (joué par Jamel Debbouze), le guide de Geraldo, a pour but premier de soutirer de l’argent à ce dernier en lui servant de guide et en lui donnant de faux espoirs de scoop ; il gagne son rachat en prouvant l’existence du Marsupilami et, surtout, en sauvant la vie du fabuleux animal. Mais le refus du manichéisme est surtout remarquable dans l’opposition entre le général Pochero (joué par Lambert Wilson) et le botaniste Hermoso (joué par Fred Testot) ; le premier, dictateur de la Palombie, n’offre pas un premier abord très engageant en arrêtant arbitrairement Geraldo et en méprisant son vieux botaniste : mais le général est finalement un pauvre type qui n’exerce le pouvoir que par respect pour la tradition familiale (il a hérité du trône de son père) et dont toutes les actions n’ont pour mobile que sa passion pour l’œuvre de Céline Dion (chacun ses goûts !), passion qui lui donne la motivation et même un plan pour contribuer au sauvetage du Marsupilami. Quant à Hermoso, on croit dans un premier temps à un vieil original plutôt sympathique qui ne vit que par et pour sa passion pour les plantes, mais il lui suffira de retrouver sa jeunesse grâce à l’orchidée du Marsu pour devenir un bellâtre cruel qui renverse (au sens propre comme au sens figuré) son chef et qui, surtout, cherche à réduire le fabuleux animal en esclavage, au mépris de toute considération écologique ; fort heureusement, le Marsupilami ne se laissera pas faire…

En effet, et c’est là où je voulais en venir, de même que le Marsupilami est le seul personnage véritablement positif créé par Franquin (Spirou, créé par Rob-Vel, ne compte pas), il mérite amplement son statut de héros du film dans la mesure où il en est le seul personnage qui n’agit pas par calcul : le seul but qu’il poursuit est la perpétuation de son espèce et, subséquemment, la protection de ses œufs. À cet égard, la confrontation du Marsupilami avec le monde des humains mis en scène par Chabat recoupe en grande partie le pessimisme profond qui se dégageait de l’œuvre de Franquin qui avait rendu seul dépositaire du bien un animal, un être qui ne parle pas… Le réalisateur avait-il cette intention d’auteur ? Je ne pense pas, mais il reste que son film recoupe avec une finesse certaine le propos du grand dessinateur belge tel qu’il a pu s’exprimer dans Le Nid du Marsupilami : c’est loin des villes et de la folie des hommes que l’on trouve la paix et le bonheur.

À part ça ? Et bien le Marsupilami est vraiment trop mignon : depuis que j’avais vu ce sketch des Guignols où Kad Merad se propose de jouer l’animal, je craignais que ce coquin de Chabat ne parte dans un gros délire de ce genre, mais en définitive, le Marsu est très réussi et en fera fondre plus d’un. Maintenant, ce que j’en dis, moi… Allez, salut les poteaux !

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