La croissance est un moineau obèse picorant des frites sur le capot d’une voiture

 

Tout à ma joie d’avoir vu Eric Zemmour se faire virer de RTL, j’ai festoyé toute la semaine et j’en ai oublié de chroniquer à mon rythme usuel. Et je vous prie de croire que quand le père Le Pen va plier son pébroque ou quand le logiciel qui écrit la quasi-totalité de la soupe qui passe sur NRJ va tomber en panne, vous n’allez pas me lire pendant un moment. Certes, il est cruel de rire du malheur des gens et de la mort, mais c’est eux qui ont commencé à faire carrière sur ledit malheur. Alors ne venez pas me quereller et me taxer de cynisme ou de complicité avec les gothiques (tout sauf flamboyants) qui ne rient que quand ils se scarifient avec un couteau à boud rond.

La preuve que mon âme n’est pas si noire que ça: je trouve que l’on fait un mauvais procès à Eric Zemmour. Si l’on veut se faire l’avocat du furet, parce que si le diable existait ça m’étonnerait qu’il s’abaisse à raconter ses salades sur RTL juste avant les Grosses Têtes, et si l’on veut jouer sur les mots, on constatera qu’il n’est pas interdit d’être raciste et misogyne en France: ce qui est interdit, c’est l’incitation à la haine et à la discrimination (loi Pleven et suivantes). Sans quoi il faudrait dissoudre Jean-Pierre Pernaut, le FN, une bonne part de l’UMP et de leurs électeurs, il faudrait interdire nombre de brûlots qui ont pourtant pignon sur rue comme le Figaro, Rivarol ou Minute (d’où provient l’ex-conseiller de Sarkozy Patrick Buisson, qui lui a inspiré la glorieuse campagne que l’on sait), et le Français moyen n’aurait plus le droit d’être moyen, ce qui est pourtant sa raison d’être. Quant à la misogynie, c’est un sport national seulement très exceptionnellement passible des tribunaux, et on est encore obligé de cautionner la parité alors que le principe d’égalité entre les citoyens, quel que soit leur genre, est inscrit dans la Constitution. Et à mon humble avis, Zemmour ne s’est pas fait virer uniquement pour sa sortie sur Taubira, puisqu’il a fait quantité de sorties infectes du même tonneau ces dernières années, et qu’il a même un éditeur pour que tout le monde en profite, mais plutôt parce que RTL ne veut pas insulter l’avenir avec le nouveau pouvoir en place.

Mais la joie de la semaine m’emporte, et j’allais formuler des voeux impies pour qu’Alain Soral et Robert Ménard connaissent le même sort, et j’en oublie de parler du sujet qui nous occupe, enfin qui m’occupe, parce que si ça se trouve vous vous en battez les flancs comme de l’anniversaire de la belle-mère de votre voisin, et pourtant c’est la Fête des voisins aujourd’hui, bande d’égoïstes.

Voila donc: comme vous êtes observateurs, vous avez sans doute noté que notre nouveau Président de la République s’entend comme larron en foire avec Barack Obama, et qu’ensemble, ils sont bien décidés à relancer cette fameuse croissance qui nous fait défaut depuis la crise, je ne sais pas précisément laquelle puisque depuis que je suis né c’est toujours la crise (n’y voyez pas de rapport de cause à effet). Et quitte à faire de la peine à Mme Merkel qui voudrait envoyer les Grecs se faire voir dans la Méditerrannée si possible avec une pierre autour du cou, c’est décidé, il faut croître. La croissance c’est magique, ça guérit les écrouelles, ça fait revenir les usines délocalisées et le soleil en été, et si on dépasse les 3% il se peut même, mon ami, que ta femme revienne et te pardonne ton alcoolisme chronique et tes incartades avec ta secrétaire ou que, mon amie, ton jules revienne tout penaud, t’offre sa carte bleue et renonce au football pour tes beaux yeux qui épousent la courbe de son coeur, comme dirait Paul Eluard s’il avait lu Eric Zemmour. D’ailleurs, Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, affirme sans rire et avec une pointe d’amertume sans doute due à la privation du spectacle des talonnettes de la plus petite moitié de Merkozy (je sais qu’une moitié ne peut être plus petite que l’autre, mais c’est la physique des égos qui modifie le volume et la surface d’un des éléments), qu’être « pro-croissance, c’est comme être partisan de la paix dans le monde ».

Alors là, mon bonhomme, je ne suis pas d’accord du tout. D’abord, on peut être pour la croissance et contre la paix dans le monde. Il suffit pour s’en convaincre de comptabiliser le nombre d’armes vendues dans le monde et dûment comptabilisées dans le PIB, le PNB, le bonheur estimé par habitant en fonction des variations hygrométriques sur un axe Dunkerque/Ajaccio, et tous les autres instruments de mesure que l’on voudra. On peut, comme le pauvre journaliste que j’ai pris comme prétexte dans le premier paragraphe pour excuser ma flemme congénitale , penser que le monde au delà de la Méditerrannée, ce n’est pas vraiment le monde, et qu’ils peuvent  s’entretuer, se casser la gueule  et tchadoriser leurs femelles tant que ça leur plaît, du moment qu’ils font ça chez eux et que ça ne nuit ni à notre économie ni à notre identité nationale.

On peut aussi vouloir changer de croissance, et prôner le « développement durable », cette espèce de croissance glauque (compris dans son sens étymologique de gris tirant sur le vert), en pratiquant le tri sélectif, ce qui certes donne plus de couleurs à la poubelle mais ne résout pas le problème de l’existence de la poubelle. Peut-être même qu’on peut militer pour le développement durable et contre la paix dans le monde, en travaillant à l’avènement de guerres bio, où l’on recyclera les armes pour un prochain conflit et où transformera les victimes en compost pour faire pousser du colza et des centrales nucléaires pour faire tourner nos voitures hybrides.

Mais surtout, on peut être contre la croissance et pour la paix dans le monde. On peut penser que la majeure partie de ce que l’on produit et de ce que l’on consomme n’ajoute absolument rien à notre bonheur, et qu’en plus on n’est pas obligé de détruire la planète pour en avoir. Pour en avoir quoi, me direz-vous? Là n’est pas le problème, il suffit de l’avoir.

M. Weidmann, il faut que je vous dise un truc, vous pourrez le raconter à M. Hollande et Mme Merkel quand vous vous ferez des apéros croissance.  J’ai le coeur bien accroché, j’ai à peu près la sensibilité d’une enclume perdue dans un fond marin, et je tressaille à peine du musculus zygomaticus minor quand j’entends parler de cannibale clocharophage ou d’expéditeur de tripaille en Colissimo.

Mais ce matin, en partant au boulot, pour apporter ma très modeste contribution au bonheur économique (parce qu’il faut bien avouer que je n’en fous pas une rame), j’ai vu un moineau obèse picorer des frites qu’un malotru avait jeté sur le capot d’une voiture une fois son festin hypercalorique terminé. Ce n’est pas la première fois qu’il m’est donné l’occasion d’assister à ce triste spectacle, les oiseaux peinant à trouver leur pitance en ville et ailleurs. Je me suis retenu de vomir pour éviter que le moineau ne se jette sur mon petit déjeuner. Mais je me suis dit que s’il fallait chercher un symbole à la croissance c’était bien ça.

Un moineau obèse picorant des frites sur le capot d’une voiture.

 

 

 

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