Morale: un débat old school

 

Impossible d’y échapper: c’est la rentrée. Ce triste moment de l’année où l’insouciance estivale le cède à l’enchristement obligatoire jusqu’à 16 ans, où ce n’est plus vraiment la belle saison mais pas encore l’automne qui roussit les feuilles des arbres et qui assombrit le tempérament du vacancier, et où, comble de malheur, il faut se lever à l’aube. Tous les ans il en est de même depuis des générations, jusqu’à ce qu’enfin le chômage libérateur nous autorise à faire la grasse matinée, et même pour les plus audacieux un gras après midi. Mais les enfants ne connaissent pas leur chance.

Car pendant que les bambins maugréent et consultent le calendrier en rêvant des prochains congés, les plus hautes autorités se torturent le neurone éducatif autour du thème de la morale. Le Ministre de l’Éducation, Vincent Peillon, souhaite en effet que les cours de morale reviennent dans les salles de classe (toujours rien sur les marchés financiers, ça doit être moins urgent), ce qui lui a valu de se faire qualifier de « pétainiste » par l’ancien titulaire du poste Luc Chatel. Peillon a pourtant bien précisé « morale laïque », et à ma connaissance le Maréchal n’a jamais rien prôné de laïc. Chatel, qui sort d’un gouvernement qui n’a pas peu fait pour la résurgence des idées de Pétain, et qui a toujours trouvé plus facile de stigmatiser les pas-chrétiens que d’actualiser la loi de 1905 devrait donc éviter de la ramener sur le sujet. Faisons fi de la passe d’armes entre nos deux amis, à qui l’on souhaite les vacances les plus longues possibles, le plus rapidement possible.

Mais posons-nous quand même la question: pourquoi la morale à l’école? Est-ce à dire que les enseignants sont des suppôts de Satan qui laissent leurs élèves sniffer de la colle et siphonner du Martini pendant la dictée, est-ce qu’entre deux tirades sur le théorème de Thalès et l’axiome d’Euclide ils enseignent la dissimulation, le mensonge et la trahison, est-ce qu’ils préparent leurs jeunes disciples à devenir trader, chasseur, banquier, maire de Woippy, ministre de l’Intérieur ou à s’épanouir dans une autre carrière peu compatible avec la morale? Est-ce que l’institutrice austère qui apprend aux tout-petits à coller des gommettes sur le front de leurs camarades les façonne, avec force messages obscurs et symboles cabalistiques, à entrer sans discernement dans la première secte qui se présentera? Et est-ce que nous autres, pauvres Mosellans et pauvres Alsaciens toujours sous le joug d’un Concordat archaïque, serons dispensés de laïcité pour nous adonner sans retenue à notre penchant tout germanique pour la discipline et la bière lourde comme une blague de Claude Guéant? Pauvres fonctionnaires de l’Éducation Nationale, c’est déjà méritoire d’affronter une trentaine de marmots avec les faibles moyens du bord, mais en plus vos ministres ne vous aident pas.

En plus, Vincent Peillon n’est pas un con en matière d’éducation et de pédagogie. Pas le genre à imposer la lettre de Guy Môquet ou à vouloir faire parrainer les morts des anciennes guerres par des gamins qui n’y entravent que couic. Il a même étudié la philosophie à la Sorbonne: il sait donc parfaitement ce que signifie le terme « morale », à moins que comme tout le monde il ait oublié la plus grande partie de ce qu’il a appris à l’école. On s’étonne quand même un peu qu’un homme de gauche convoque une morale transcendante, fut-elle sous l’égide de la laïcité, quand l’école républicaine a pour mission de former des esprits critiques (ou de développer le libre-arbitre pour ceux qui y croient). D’ailleurs, la morale laïque existe déjà, et elle s’appelle le civisme. C’est elle qui vous suggère de passer, à dix-huit ans, une journée dans une caserne quand bien même on conchie l’armée, c’est elle qui vous rejette dans le camp des ennemis de la démocratie si vous préférez rester au lit plutôt que d’aller voter, c’est elle qui en appelle à la responsabilité quand on fait une politique de rigueur, et c’est elle qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde et surtout pas celle des Roms. C’est une morale à géométrie variable où le champ du bien et du mal est limité par la loi, parce que sans notion du bien et du mal, l’Homme se fane, se ratatine et retournerait vivre dans les arbres au lieu de courir après la croissance. (Bon sujet de philo pour le prochain bac: peut-on faire le bien à l’encontre de la loi?).

Pendant ce temps, Desmond Tutu propose d’assigner Bush et Blair devant les tribunaux internationaux pour avoir déclaré la guerre à l’Irak sur la base d’un gros bobard, les fameuses armes de destruction massives. On peut toujours rêver, Desmond, mais si l’on tient à toute force à moraliser tout ce qui bouge, c’est quand même autrement plus ambitieux que de demander aux instituteurs de mettre une robe de bure bleu-blanc-rouge. Et un ministre socialiste qui prend une leçon de morale par un curé, je trouve ça plutôt drôle. Plus que Luc Chatel, en tout cas.

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