Obsolescence programmée

 

 

Obsolescence programmée

On consomme, On achète

De jolis frigos, d’abjectes starlettes

Des smartphones suréquipés

Qu’on change ou qu’on jette

Dès lors qu’ils ne sont plus branchés.

 

C’est l’aventure moderne

La vie y est strictement réglée

Tout ça me paraît décidément bien terne

Lorsque je pense aux flibustiers des époques passées.

 

On dépense pour oublier

En bons subalternes

Des différents marchés

Garantis sur facture par certains de leur innocuité

Décriés par d’autres par peur de la vassalité.

 

« Bonjour, ma machine à laver n’arrête pas de déconner.

-Bonjour ! Mon bon monsieur, laissez-moi la regarder

-Très bien je vais patienter… »

 

-…

 

-…

 

-…

 

Trois cent silences plus tard…

 

«  Mais…Votre machine a deux mois monsieur !… Bordel ! En trois ans de carrière, je n’ai jamais vu ça ! Et Dieu sait si les choses ont évolué en l’espace de si peu de temps. »

Je ne comprenais pas où il voulait en venir et le fixai d’un air bête.

« Vous pouvez être plus clair ?

–          Eh bien… Venez. Suivez-moi. Je vais vous montrer. Ça sera plus clair pour vous. »

Je m’exécutais, intrigué. Il me guida dans l’arrière-boutique et après un long dédale de couloir en tout point similaire, ouvrit une des innombrables portes blanches. C’était la porte 080. Je ne suis pas sûr à cent pourcent car les numéros sont peints du même blanc que celui des portes. Pas très pratique. Il pointa ma machine du doigt et reprit :

–          Vous pouvez voir, si vous vous accroupissez et passez la tête en dessous du réservoir à l’arrière de la machine, vous devriez apercevoir une petite étiquette phosphorescente… Allez-y ! Allez voir !

–          Je la vois… On dirait qu’il y a des numéros dessus… Je ne suis pas assez bien placé pour lire.

–          Couchez- vous…?

–          …C’est bien mieux.

–          Qu’est que vous lisez sur l’étiquette monsieur ?

–          Dix du dix deux-mille douze.

–          Et qu’est-ce que vous en déduisez ?

–          Que c’était avant-hier.

–          Vous faites le rapprochement…Votre machine n’est plus garantie » m’envoya-t-il en pleine face encore une fois.

–          Pourquoi ??

–          Vous le faites exprès ?

–          Non…

–          Ah les vieux…

–          Je vous demande pardon ? J’ai vingt-cinq ans !

–          Veuillez m’excuser monsieur…

–          Vous vous décidez à m’expliquer ?

–          Eh bien, la date que vous avez vue sur l’étiquette correspond à l’arrivée de votre garantie à son terme.

–          Vous vous moquez de moi là ? Elle est encore garantie deux ans ! Regardez » lui fis-je en brandissant déjà fier et victorieux, la garantie que j’avais conservé, depuis l’achat, bien au chaud dans le tiroir de ma commode pour le cas où une situation comme celle-ci se présenterait. J’étais fier de moi.

«  Ceci est la garantie du magasin. Elle ne correspond en aucun cas à la garantie de vie réelle !

–          … Mais…

–          Il n’y a pas de mais, monsieur ! C’est comme ça…» me répondit-il, comme si ça allait de soi et que j’étais le dernier imbécile sur Terre à ne pas avoir compris l’astuce.

–          Pouvez- vous quand même me rembourser ?

–          Non monsieur je ne peux pas vous rembourser…

–          Mais qu’est qu’il se passe ici ?

–          Juste une question… Comment croyez-vous que la croissance est repartie si vite ?

–          Je n’en sais rien moi !

–          Si c’est une blague, sachez monsieur qu’elle est de très mauvais gout » répliqua-t-il d’un ton sec et étonnamment sérieux.

–          Eh bien dites-moi ! » J’avais prononcé les mots qu’il avait besoin d’entendre pour se lancer.

–          La plupart des appareils, que ça soit électroménager, hi-fi, informatique et tout le reste ne sont programmés que pour durer un mois GRAND maximum. La vôtre est une antiquité mon pauvre monsieur ! C’est ce qu’on appelle la désuétude planifiée. Je n’y suis pour rien. Je peux, par contre, à titre exceptionnel, vous faire une remise très avantageuse sur mes derniers arrivages. Le dernier cri ! Laissez-moi un instant s’il vous plait, je vais voir ce que j’ai en stock…

Vous êtes chanceux car j’ai justement reçu LA machine qu’il vous faut  » dit-il presque avant de le lire sur son écran. Il avait dû faire semblant. C’était un vendeur après tout. Ces bestioles là, ça tente de vous manipuler dans tous les sens. Ils se marchent tous les uns sur les autres pour être au sommet. Les meilleurs d’entre eux connaissent toutes les techniques ont un certain charisme et sont capables de s’adapter selon les différentes personnalités dont ils ont un éventail plutôt large tous les jours. La vente est un humanisme. Néanmoins, celui-là faisait exception. Le pauvre était imberbe et avait un début de calvitie. Il était mince et flottait dans sa chemise blanche. Il ne devait surement pas être tenu en très haute estime dans le milieu. Et qui plus est, il tentait de me vendre une machine même après la confession qu’il venait de me faire. Le con ! Le plus flippant, c’est qu’il s’excitait bizarrement en disant cela. Il commençait à me répugner…

Il continua son baratin pendant encore un petit moment. Je ne l’écoutais même plus. Je réfléchissais. Soudain j’eus une idée.

Je lui demandai de me montrer quand même la machine qu’il se proposait de me vendre.

« Comme ça. Par curiosité. »

Je vis ses yeux briller. Je le tenais. Je choisis donc une superbe machine entièrement blanche et avec une multitude de potards.

Après qu’il ait chargé la machine dans ma camionnette, je lui demandais pourquoi tout était entièrement blanc ici.

« C’est pour qu’elle se fonde dans le mur contre lequel vous la placez. Effet d’optique. Vous n’avez plus l’impression qu’elle est là et vous ne pensez donc plus à revenir la changer à temps.

-Et si mon mur n’est pas blanc ?

– Eh bien, vous achetez de la peinture » dit-il de ce ton condescendant que je ne puis supporter une seconde de plus.

Ça partit comme si c’était un vieux réflexe. Sans que j’aie le souvenir d’avoir donné à mon bras droit cet ordre, je le vis s’élever et reculer, puis mon poing se serra pour lui décocher la droite la plus violente possible. Comme ça, sans vraiment viser. Enhardi par l’adrénaline. Elle le mit tout de même au tapis. Puis, je fis marche arrière et partit m’installer au volant de mon camion noir pour foutre le camp.

Sans payer.

Une bonne journée finalement.

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