La B.D. fait son cinéma (1)

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! C’est cette semaine que sort dans les salles Astérix et Obélix au service de sa majesté, l’occasion idéale pour parler une nouvelle fois des rapports qu’entretiennent la B.D. et le cinéma ; commençons par revenir sur d’autres adaptations cinématographiques de bandes dessinées, qu’il s’agisse ou non de films d’animation – je précise tout de suite que, par honnêteté intellectuelle, je ne parle que des adaptations que j’ai vues et que mon avis n’engage évidemment que moi.

TINTIN

Tintin et le mystère de la toison d’or (1961), réalisé par Jean-Jacques Vierne : L’intrigue du premier film inspiré des aventures du reporter créé par Hergé ne devait pratiquement rien à la B.D. ; n’est pas Hergé qui veut et le scénario est loin d’être aussi bien ficelé que celui d’un véritable album de Tintin. De plus, à quelques passages près, le rythme est affreusement lent et on s’ennuie presque, sans compter que Jean-Pierre Talbot et Georges Wilson ont l’air déguisés dans leurs costumes de Tintin et Haddock. Un premier essai pas très heureux, donc…

Tintin et les oranges bleues (1964), réalisé par Philippe Condroyer : L’essai de la Toison d’or ne fut pas transformé : malgré le changement de réalisateur et de casting (Haddock est désormais joué par Jean Bouise) le second film réunit les défauts du premier et l’intrigue est quelque peu confuse. La carrière cinématographique de Tintin dut donc s’interrompre pour ne reprendre qu’une quarantaine d’années plus tard avec Steven Spielberg et Peter Jackson aux fourneaux.

L’affaire Tournesol (1964), réalisé par Ray Goossens : Présenté sous la forme d’un film à part entière, L’affaire Tournesol n’est en fait qu’un des épisodes de la première série animée inspirée par les aventures de Tintin, produite par Belvision dans les années 60, bien avant l’excellente adaptation télévisée des studios Ellipse. Le résultat est proprement calamiteux : l’intrigue originale est massacrée de façon à en éliminer tout élément de suspense, l’animation est réduite au strict minimum , Haddock n’est ni grossier ni alcoolique, Tournesol n’est plus sourd… Bref, tout le charme des albums d’Hergé s’est évaporé sous les coups de boutoirs d’une bande de tâcherons qui adaptent à la truelle. Un dessin animé à oublier.

Le temple du soleil (1969), réalisé par Raymond Leblanc : Le premier « vrai » dessin animé de long métrage de Tintin est d’une qualité nettement supérieure ; les moyens n’ont d’ailleurs pas manqué, l’équipe a même pu compter sur la collaboration de Jacques Brel pour la bande originale. Toutefois, si l’album est un chef-d’œuvre, le film n’est pas tout à fait à la hauteur : malgré l’animation, les images sont tout de même moins vivantes que les dessins d’Hergé, le rythme haletant de l’album manque cruellement au dessin animé. Les tintinophiles ne sont pas dépaysés mais le dessin animé n’apporte rien à la B.D.

Tintin et le lac aux requins (1972), réalisé par Raymond Leblanc : Encore un dessin animé mais, cette fois, avec un scénario original rédigé spécialement pour le cinéma. Encore une fois, le graphisme est plutôt banal et l’intrigue, imaginée par le génial Greg, fait penser à du Hergé fatigué : tous les éléments qui font l’identité de l’univers de Tintin sont présents, mais la magie n’opère pas. Je ne serais pas étonné que cela ait contribué à la décision d’Hergé de refuser que l’on reprenne la série après sa mort…

ASTERIX

Astérix le gaulois (1967), réalisé par Ray Goossens : Le premier dessin animé mettant en scène le petit gaulois créé par Uderzo et Goscinny s’est fait sans que ces derniers aient donné leur accord ni même en aient été seulement informé ; Ray Goossens réédite la même erreur qu’avec L’affaire Tournesol en se contentant de plaquer bêtement l’animation sur le premier album d’Astérix, comme si celui-ci pouvait faire office de story-board. Les images sont mièvres et le film a l’air de débiter mécaniquement l’intrigue imaginée par Goscinny ; dommage…

Astérix et Cléopâtre (1968), réalisé par René Goscinny et Albert Uderzo : Après ce premier essai pas très heureux, la doublette mythique Goscinny-Uderzo prit les choses en main pour le deuxième film, avec un bien meilleur résultat : les deux auteurs s’en sont donnés à cœur joie pour animer leur petit gaulois, offrant un véritable cocktail de gags et d’action à un rythme endiablé. Un des meilleurs dessins animés français.

Les douze travaux d’Astérix (1976), réalisé par René Goscinny et Albert Uderzo : Insatisfait du travail des studios Belvision, le grand Goscinny décida de créer ses propres studios d’animation, les éphémères studios Idéfix, dont le premier-né fut ce film dont l’intrigue était entièrement originale. Pour la première fois, le trait magique d’Uderzo est parfaitement rendu à l’écran ; de plus, Goscinny nous offre une autre facette de son talent : ce film est une merveille de bout en bout, digne des meilleurs albums de la série, preuve que Goscinny avait les moyens de réaliser son rêve de devenir un Disney français.

Astérix et la surprise de César (1985), réalisé par Gaëtan et Paul Brizzi : Première adaptation post mortem Goscinnis des aventures d’Astérix, basée sur un scénario mêlant les intrigues d’Astérix légionnaire et d’Astérix gladiateur, ce qui n’était pas la meilleure chose à faire : le deux albums se suffisent largement à eux-mêmes et le mélange des deux scénarios rend l’intrigue du film un peu confuse. L’animation est cependant irréprochable et les moyens n’ont pas manqué, mais la bande originale est innommable ; la chanson « Astérix est là » due au pitoyable Plastic Bertrand est inaudible !

Astérix chez les Bretons (1986), réalisé par Pino Van Lamsweerde : La leçon de La surprise de César a porté et ce dessin animé ne se base plus que sur l’intrigue de l’album dont il porte le titre, l’un des meilleurs de la série, celui qu’Uderzo lui-même préfère. La BD est un chef-d’œuvre, le film un peu moins : on s’éloigne parfois du scénario original, même si l’esprit est globalement respecté, et on rit bien. De plus, « The look out is out », interprété par le groupe Cook da Book, remplace avantageusement la chanson de Plastic Bertrand.

Le coup du menhir (1989), réalisé par Philippe Grimond : En voilà un qui n’a rien compris ! Il était vraiment inutile de mêler les scénarios du Combat des chefs et du Devin, chacun des deux se suffisant largement à lui-même : on a l’impression d’avoir affaire à deux histoires qui se télescopent… disons plutôt qui se parasitent sans que l’une n’ait d’effet sur l’autre ! En outre, les couleurs sont ternes et le rythme épouvantablement lent, conférant à l’ensemble une atmosphère pesante en lieu et place de l’ambiance bon enfant qui caractérise habituellement les albums d’Astérix. Il n’y a que la bande originale, très sophistiquée, qui mérite le détour.

Astérix et les Indiens (1994), réalisé par Gerhard Hahn : Aïe, aïe, aïe… En croyant enrichir l’intrigue de La grande traversée, l’équipe du film n’a réussi qu’à l’affadir. Animation bâclée et prétentieuse, humour presque absent (il n’y a que la scène des galériens bretons, qui taquine la rivalité entre les rameurs d’Oxofrd et ceux de Cambridge, qui vaut le détour), beaux sentiments dignes d’un Disney en mauvaise forme et une amourette improbable qui donne à l’ensemble sa dose de mauvaise sauce larmoyante… Une adaptation ratée.

Astérix et Obélix contre César (1999), réalisé par Claude Zidi : Le premier film « live » inspiré des aventures d’Astérix n’est pas une éclatant réussite : le scénario est assez plan-plan, on s’éloigne excessivement de l’esprit des albums et les plaisanteries sont parfois lourdingues ; on n’avait pas besoin, par exemple, de voir les poissons s’écraser au ralenti sur la figure des gaulois en pleine bagarre. Le film vaut surtout pour ses interprètes mémorables, comme Sim et Arielle Dombasle en monsieur et madame Agecanonix, Roberto Benigni en Détritus ou, bien sûr, Gérard Depardieu dans un rôle taillé sur mesure pour lui.

Mission Cléopâtre (2002), réalisé par Alain Chabat : L’humour des Nuls cohabite particulièrement bien avec celui de Goscinny : après Didier, Chabat nous livre une nouvelle preuve de son talent avec ce film pêchu, moderne, tout à fait fidèle à l’esprit de Goscinny, avec un Jamel Debbouze en pleine forme, une Monica Bellucci plus sexy que jamais et Claude Rich qui remplace avantageusement Claude Piéplu dans le costume du druide. Les images sont irréprochables, d’une beauté à couper le souffle, même si on oublie de bien les regarder tellement on rit. Un chef-d’œuvre indépassable et d’ailleurs indépassé. A voir et à revoir.

LUKY LUKE

Daisy Town (1971), réalisé par Morris et René Goscinny : « On n’est jamais mieux servi que par soi-même » a dû se dire Goscinny : c’est à ce titre que les deux auteurs de Lucky Luke ont pris eux-même le soin de réaliser la première adaptation cinématographique des aventures de l’homme qui tire plus vite que son ombre, dont le titre était tout simplement, à l’origine, Lucky Luke ; lors de ses sorties en vidéo, on préféra rendre justice à la ville que nous voyons naître et mourir, qui vole quelque peu la vedette au cow-boy qui essaie de la protéger, parfois malgré elle. Rien ne manque de l’esprit des albums, à part peut-être Rantanplan ; un bon film.

La Ballade des Dalton (1978), réalisé par Morris et René Goscinny : Morris et Goscinny signent à deux une nouvelle fois ce deuxième grand dessin animé, deuxième et dernière production des studios Idéfix, qui n’ont pas survécu au décès de leur fondateur (Goscinny est mort avant la sortie du film, ce qui donne une coloration involontairement particulière à l’intrigue, basée sur une course à l’héritage). Le fidèle des aventures du « poor lonsesome cow-boy » n’est pas dépaysé, les deux auteurs nous offrant un dessin animé varié, coloré et joyeux dans la lignée des Douze travaux d’Astérix. Irréprochable.

Lucky Luke (1991), réalisé par Terence Hill : Ouille, ouille, ouille, ouille, ouille ! Un de mes pires souvenirs d’enfance ! Terence Hill était déjà connu du grand public pour avoir proprement massacré le genre « western » dans ses navets : comment Morris, grand amateur du genre, a-t-il pu le laisser faire ça ? Le film s’inspire de Daisy Town, mais il n’y a quasiment rien qui puisse rappeler le dessin animé : on ne reconnaît pas quoi que ce soit de l’esprit des albums dans ce film d’une vulgarité consommée (Jolly Jumper qui boit et fume, argh !) qui a probablement servi de contre-modèle pour les adaptations ultérieures…

LE MARSUPILAMI

Sur la piste du Marsupilami (2012), réalisé par Alain Chabat : Sans rééditer l’exploit de Mission Cléopâtre, Chabat restitue assez bien sur grand écran l’esprit de l’univers imaginé par Franquin, notamment en ce qui concerne le refus affiché du manichéisme et le message de paix et d’écologie, deux caractéristiques essentielles du grand dessinateur belge. Les moyens n’ont pas manqué et les amateurs d’action, de suspense et d’humour ne sont pas déçus ; quant au Marsu, il fait presque vrai et il est absolument irrésistible. Allez, salut les poteaux !

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