Zorrino au gettho de Varsovie.

« Le visage de l’enfant, c’est la terreur du monde, l’innocence violée, l’humanité bafouée ; la gueule du pourri c’est l’abus du pouvoir, l’éternelle saloperie, tout pouvoir est maudit. » (François Béranger)

03-29

Devezh mat, Metz, mont a ra ? Il y une image du Temple du soleil d’Hergé qui n’arrête pas de me trotter dans la tête, ces derniers temps : le petit Zorrino, qui a guidé Tintin et Haddock jusqu’au temple où des « Incas de carnaval » (dixit le capitaine) perpétuent la religion imbécile (un pléonasme, excusez-moi) de leurs ancêtres, refuse obstinément qu’on fasse griller sur un bûcher le jeune reporter et le vieux marin ainsi que Tournesol qu’ils retrouvent enfin ; deux gros bras du grand inca le retiennent de foncer sauver les condamnés, non sans mal parce qu’il bouge vraiment beaucoup, mais avec la détermination que donne l’assurance imbécile d’être du bon côté…

Zorrino, dans cette scène, représente la vie qui ne se laisse pas faire face à la pulsion de mort, l’innocence violée par la loi du plus fort, l’humanité qui n’accepte pas d’être bafouée. Les deux déguisés au faciès de pierre tombale représentent cette face de l’humanité sans doute plus méprisable que les gens de pouvoir, à savoir ses indéfectibles serviteurs, ceux sans qui le pouvoir ne serait rien mais qui ont vendu leur liberté contre un peu de sécurité, soit par crainte, soit par intérêt mesquin, soit par fanatisme. C’est toujours la même histoire : ces deux cerbères pourraient être des nazis braquant les gosses du ghetto de Varsovie, des flics traquant des enfants sans papiers, des policiers municipaux arrêtant une gamine dont les parents n’ont pas payé la cantine, des CRS gazant des indignés, des militaires torturant des arabes… Ils pourraient faire leur sale besogne au nom de n’importe quoi d’autre que le « dieu Soleil », ça ne changerait rien pour eux si ce n’est la couleur de leurs défroques ; ont-ils vraiment conscience de ce pour quoi ils se battent ? Rien n’est moins sûr, ils ne sont que des maillons dans une chaîne qui enserre et étouffe le monde, un enfermement permanent décidé par des fossiles ennemis de la vie… Bref, ils ont sacrifié leur humanité sur l’autel du sentiment illusoire de toute-puissance que procure l’esclavage le plus avilissant qui soit : apeurés à l’idée de désobéir à celui qui pense pour eux et de compromettre le faux bien-être dont ils bénéficient, aveuglés par cette peur qu’ils cachent sous le masque hideux de l’arrogance, ils en oublient ce sans quoi ils ne seraient plus sur terre eux-mêmes, ce sentiment qui anime ceux qu’on leur commande de réprimer : le respect de la dignité humaine.

La suite vous la connaissez : Tintin, grâce à un stratagème qui donne lieu à l’une des scènes les plus marquantes de la bande dessinée, parvient à convaincre le grand Inca de se montrer respectueux envers cette dignité humaine qu’il méprisait par admiration fanatique pour son dieu-soleil et Zorrino décide de rester au temple, réconcilié avec la civilisation contre laquelle il se révoltait. C’est bien évidemment là que ça devient trop beau pour être vrai ; à la décharge d’Hergé, ce retournement de situation doit beaucoup plus à la chance qu’aux talents persuasifs du héros : si Tintin n’avait pas lu dans un journal qu’une éclipse totale de soleil allait plonger le Pérou dans la pénombre, il y aurait juste eu trois croix noires de plus sur la liste du grand Inca et celui-ci n’aurait pas eu des insomnies pour si peu… Évidemment, ce serait trop beau si on pouvait si facilement empêcher une société d’avilir l’homme et de le réduire au rang de bête ou de numéro qu’on peut bafouer ou éliminer au nom d’une chimère, que cette chimère ait pour nom le soleil, Dieu, le bien, le roi, l’empereur, la république, le peuple, la patrie, la croissance ou autre baliverne : l’Europe n’a pas le monopole de l’alliance du sabre et du goupillon… Tournesol n’a pas tort de croire jusqu’à la fin qu’il s’agit d’un simple tournage de cinéma ; pour le coup, c’est vraiment « faire son cinéma » de nier l’humanité d’autrui au nom d’une idée alors qu’il y a tant de belles choses à voir, à sentir et à vivre, ici-bas…

N’empêche… Même si l’obligation dans laquelle il se trouvait de raconter une histoire qui finit bien lui a valu d’être à côté de ses pompes, Hergé avait quand même du génie, tout conservateur qu’il était, pour dépeindre aussi efficacement, en une seule image, ce que la photo du môme du ghetto de Varsovie représente, en fin de compte, assez laborieusement… Kenavo, les aminches !

03-29

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