Le Babos

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J’ai connu Thomas comme ça. En travaillant d’un patelin l’autre, d’un job saisonnier l’autre. Au départ je l’ai jugé sur son aspect extérieur comme il est trop souvent coutume d’opérer dans notre société du paraître. Je me suis dit en le voyant avec ses dreadlocks et ses clébards puants que c’était encore un de ces clichés de babos, utopistes jusqu’à en crever, sans aucune conscience de cette triste vérité qui nous guettait tous à chaque coin de rue ; et je me suis trompé. Il était bien pire que ça.

Le type était végétarien, il s’astreignait à ne rien manger qui n’ai un jour été vivant. Du moins c’est ce que j’avais cru comprendre. Le végétarisme c’est un peu comme une religion, un musulman pratiquant, chacun fait à sa sauce. Le premier soir où nous avions mangé ensemble, après avoir bien sympathisé à force de crapahutage dans les champs à hurler les prénoms des cueilleuses à l’attention de la préposée aux quotas pas très réactive-les cueilleuses touchaient une prime selon le nombre de carottes qu’elles sortaient de terre en une heure. Il m’avait dit « ramène du vin et ne t’occupes pas du reste ! » Ma bourse étant plutôt mal en point, j’avais obéi sans poser plus de questions. Je me suis donc ramené à la petite Leyre où il avait arrêté son camion et tendu ses tentures de Ganesha aux couleurs criardes-son campement de fortune. En voyant le petit coin qu’il s’était aménagé avec audace, j’avais peur que les flics ne lui tombent dessus et lui intiment de foutre le camp. Ils n’aimaient pas ça les flics, les gens en camion. Les sans-domicile fixe toujours sur la route ça leur foutait les boules. T’avais beau tenter de leur expliquer que l’endroit serait plus propre en partant qu’il ne l’était en arrivant, que tu respectais l’endroit où tu établissait ta maison roulante, le rassurer sur le savoir-vivre de tes chiens, avoir tous les bons arguments inattaquables, ils s’en foutaient. La loi c’est la loi. Et ils avaient déjà beaucoup à faire avec les Roms et autres traîne-savates, alors si même les français s’y mettaient…J’te raconte pas les histoires pour rien. Un roman ! Mais je vous perds…J’étais chez Thomas. Je me doutais déjà avant même d’y arriver que je repartirais d’ici le cerveau émietté et le corps malade. J’y passerais même sûrement la nuit histoire de conserver encore un peu ce précieux petit papier rose qui était jusqu’à présent ma seule gloire aux yeux des biens-pensants.

A dire vrai, ce n’est que lorsqu’il n’a pas allumé le barbecue après nous avoir copieusement servi en anisette que je me suis dit que quelque chose n’allait pas. Merde quoi ! Y’a des règles, des conventions, un savoir-vivre, un cheminement logique à suivre. Il y a des règles même chez les nomades, non ? Le pastis se sert après avoir allumé le feu sinon où c’est qu’on va ?! Mais non. Il n’a rien allumé. Ça ne me dérangeait pas de ne rien manger, de boire le l’estomac vide ; j’en avais pris l’habitude au cours de mes pérégrinations. Le truc c’est que les anté et pénultième jours, je n’y avais pas été de main morte avec le bourbon et que j’avais par conséquent besoin de ma dose infinitésimale matinale en attendant la débauche. J’étais dans ma phase pochetron. J’avais donc picolé plus que la dose limite avant de rejoindre le campement de Thomas. Les flics n’y avaient que du feu, trop occupé à arrêter un camion rempli d’espagnols. C’est ça le problème avec les camions, tu tapes trop l’affiche. Se balader dans ces engins c’est un peu dire aux flics « Arrêtez-moi j’ai sûrement quelque chose à me reprocher ». Et je te parle pas de l’affaire si tu es amateur de weed ou d’alcool. Toujours est-il qu’ils m’avaient sauvé ces pauvres diables.

J’ai donc demandé à Thomas s’il voulait que je gère le barbecue. Il m’a regardé d’un air drôle, un de ses sourcils s’est levé jusqu’aux cheveux, et il m’a simplement répondu d’un « Pas besoin, ne t’en fais pas ! » Je ne comprenais pas. Un pastis sans barbecue c’est comme une voiture sans volant. « Mais…On grail quoi du coup mon gars ? » Il m’a sondé, m’a décoché un sourire en coin, puis est reparti remplir nos verres. Avant qu’on l’ai éclusé, il m’a enfin avoué qu’il ne mangeait pas d’animaux sans conscience, qu’il détestait ça, le mal que l’on faisait à ces pauvres êtres qui avaient autant le droit de vivre que nous sur cette putain de planète, que c’était cruel, inhumain…et tout le blabla de ceux qui se font une grande idée du règne animal.

« Il n’y a rien de plus humain, au contraire ! que j’ai répliqué.

Il a souri.

« Ne joue pas de dialectique s’il te plait.

–         Excuse moi ! J’écris ! Alors tu sais moi et les mots…c’est la seule histoire durable de ma vie. J’en abuse sûrement, comme toutes les bonnes choses de la vie. »

Il a souri sans rien répondre. Il se foutait de ma gueule ou quoi le type ? Je lui ai donc demandé de quoi il se nourrissait avec ce ton sarcastique et bête dont je ne peux me défaire lorsque je suis vexé :

« Et tu grail quoi à part des graines et de la laitue alors ? Il m’a encore décoché ce sourire que je commençais à trouver redondant.

–         Je vais te faire goûter un met si délicat, si fondant, si fameux, si orgasmique gastronomiquement parlant, que je ne préfère pas te dire ce que c’est avant de peur que tu n’ai plus aucune envie d’y goûter. »

Ça ma intrigué. Grave ! Déjà rien que le fait qu’il utilise le mot « met » pour parler de bouffe, ça m’a estomaqué moi le prêcheur des mots désuets. Qu’est qu’il allait me faire manger ce con ? Les questions ont défilées dans ma tête mais je ne le connaissais pas encore assez pour faire abstraction de ce filtre que chaque personne conserve avec méfiance à chaque nouvelle rencontre, et qui vous empêche d’être vraiment vous-même pour ne pas choquer dès la première approche. Mais bon, j’avais déjà un coup dans l’aile, donc j’ai demandé. Il est resté stoïque avec toujours ce sourire à la con. Il s’est levé pour nous resservir, nous a rapporté ça. Cul sec ! Puis il est reparti trifouiller quelque chose dans son camion et est revenu avec deux grands tupperwares en mains. C’était deux salades de compositions différentes. Dans le premier, je devinais de la tomate, du poivron rouge, de la betterave, en plus d’un amas de gélatine blanc couleur coquille d’œuf tirant sur le gris. Ça avait l’air visqueux et flasque. Aucune idée de ce que ça pouvait être. Le deuxième était plus vert. Salade, poivron vert, concombre, accompagné de petits dès de quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre à de la viande. Pas possible ! C’était encore mon instinct de carnivore qui parlait. Mon estomac qui gargouillait comme un Stones dans le coletar qui me jouait des tours et me faisait voir, sentir, des choses qui n’existaient pas ailleurs que dans mon imagination. Hallucinant comme votre propre corps peut se jouer de vous à sa guise sans que vous n’y entraviez que dalle. De toute façon qu’est que je risquais à y goûter s’il s’en nourrissait ? Et puis j’en avais vu d’autres. Ma mère nous avait forcé, dans la petite enfance, ma sœur et moi, a manger de la cervelle de porc à grands coups de cuillère en bois. J’étais paré quoi ! Ha ! Ha ! Rigolo ! Petit joueur ! J’avais même déjà mangé des couilles de mouton chez l’épouse tardive d’un de mes seuls oncles respectables. Un plat marocain. Et les couilles n’étaient pas broyées en charpie, moulinées, ou coupées en dés. Elles reposaient toutes entières dans un grand bol. Bien rondes, bien molles, bien veineuses. L’apéritif ! Les knacki-balls marocaines. Alors question bouffe bizarre, j’avais un peu d’expérience derrière moi. Il pouvait y aller le mec ! Rien ne me faisait plus peur ! Hérisson, pigeon, rat rôti et chauve-souris, amène la pitance ! J’ai déjà donné !

Je n’ai rien dit. D’une car j’ai horreur de raconter ma vie oralement, de deux parce que je pense que chacun à ses problèmes et que je ne trouve rien de plus pitoyable et indécent que quelqu’un qui se plaint. Ah les plaigneurs ! Au barreau ou ailleurs je les ai en horreur ! A m’en faire saigner les esgourdes les types. Mais ferme donc ta gueule et relativise ! Tous c’est « moi j’ai connu ci, j’ai connu ça… » la compétition de celui qui aura eu la vie la plus merdique sera le plus respecté, à croire. Ferme là ! Ta vie je m’en branle coco ! Ets-ce que je te soûle avec la mienne ?! Mais allez expliquer ça aux gens. Aux bouchers et aux coiffeuses surtout ! C’est drôle comme elle se sentent toujours obligé de babiller les poulettes. Quand c’est sur la météo ça passe encore, ça fait partie de la formation, elles apprennent ça à l’école et sont notées dessus. Mais quand ça parle de tel et untel…Et plus la ville est petite et plus ces baveuses vous repeignent les façades. Et vas-y que je dégouline sur le boulanger qui a fait sa demande en mariage sans extravagance, sur la tenante de la droguerie qui ne grimpe plus au rideau depuis des tringles ; que moi le beau jeune homme je devrais lui en mettre un coup pour qu’elle se sente mieux, que j’y aurais des réductions. Un T.I.G en somme. Et moi ? Ma coupe ? Qu’est que ça donne ? J’en sais rien, elle discute. Un petit coup de miroir derrière, sur les côtés, flash ! Et moi ? Pour que j’aille mieux alors ? Que dalle ? J’ai pas à aller mal voyons ! J’ai la beauté et la santé à ce qui se dit ! Ah la santé…Le sacro-saint carrément intouchable ! Tant que t’as la santé tu glisses sur un arc-en-ciel normalement…Le monde joyeux des bisounours ! Mais la santé c’est vaste. Y’a deux sortes. La santé ? Je ne sais même pas si je l’ai. Et puis d’ailleurs ? Physique ou psychologique ? Le plus important ? Toujours le paraître pour les gens. Tant que t’as pas perdu quarante kilos et que t’as tout tes tifs t’as la santé. Y’a une différence ? Veulent pas savoir. L’extérieur qui compte.

Mais je m’égare encore une fois en digressions. Je vous parlais de Thomas. Qu’est qu’il ma donc fait manger ce végétarien hype tout swag ? Eh bien, je ne le savais pas jusqu’à ce que je le chie le lendemain à même les champs et même là encore c’était flou, mes yeux ne semblant plus vouloir répondre à la tâche à laquelle ils étaient assignés depuis vingt-six ans. L’alcool rend aveugle à ce qu’il paraît. J’ai tout lâché chez le patron. Engrais naturel ! Si vous avez le privilège de goûter à une carotte et qu’elle sent le bourbon, venez vous plaindre à moi, je vous attends ! Thomas ne m’a rien dit. J’ai dégusté. Et je dois avouer que c’était plutôt savoureux. Délicat sans virer dans ce snobisme culinaire où c’est tellement beau que tu as peur d’entamer les formes parfaites du plat et qui ne te rassasie pas au-delà de deux heures. Ça fondait dans la bouche aussi rapidement qu’une langue de bœuf à la sauce au vin rouge. On a partagé ce repas en échangeant autre chose que les banalités d’usage que j’utilise normalement lorsque je rencontre une personne que je sais être à des kilomètres de ma conception de la vie. Lui avait tout l’air d’être une bonne personne. Quand je me met à faire des efforts pour communiquer réellement, avec le cœur, va te faire les banalités ! Sinon à quoi bon se faire chier à faire la démarche ? Je met tout de même assez d’eau dans mon vin pour en faire abstraction en général parce que sinon autant se pendre direct ou vivre comme Salinger. Les gens sont tellement inintéressants, des meubles qui prennent la poussière que si je m’arrête à ça, plus aucune rencontre n’est possible. Et il paraît que l’Homme est un animal social. La belle affaire ! Le truc est que j’ai du mal à m’y arrêter lorsque j’ai une bouteille de trop dans le pif. Bourré comme un coing, je deviens une sorte d’élitiste clodo qui vocifère à tort et à travers sans plus aucune considération pour ce prochain dont je sais qu’il me méprise moi et mon style de vie tout comme je méprise le sien. On se prend pour plus que ce qu’on est vraiment et jamais personne n’est vraiment votre égal. J’ai le poil qui se hérisse lorsqu’on se fout de ma gueule parce que j’ai eu le malheur de dire la vérité :

« Oui ! Je lis ! »

Merde ! Le con ! Faut jamais dire de conneries pareilles si tu veux serrer mec ! dixit mes amis. Et ça s’est vérifié plus d’une fois au bar ou en boite. Mais comment m’empêcher d’être suffisamment moi-même ? D’être ce que je suis ? Un type entier et sans concessions. IMPOSSIBLE ! Et avec l’alcool, le filtre a disparu. Alors la jolie donzelle, elle te remballe direct du haut de ses dix centimètres de talons aiguilles! « Je suis écrivain ! » Autant dire J’AI LE SIDA, QUI EN VEUT ?!

Je digresse et je vous perds. Encore une fois ! Thomas avait de la discussion. C’était pas le branleur bas de plafond, l’esprit au niveau de la moquette, que j’ai trop tendance à rencontrer. En parlant avec lui je ressentais cette sensation que j’aime tant, celle de s’élever un peu plus l’esprit et de savoir que je me coucherais un peu moins con cette nuit. Cette sensation, il n’y en a pas de meilleure pour moi à l’heure actuelle. Si la vie était vraiment le partage qu’on nous vend dans ce royaume de je-m’en-foutiste, l’échange culturel en serait sûrement la Reine. Reine et veuve, car le Roi est mort étranglé par une ceinture lors d’un jeu sexuel dont je tairais les détails ici. Les expériences, les angles de vues, les tranches de vie.

Thomas avait pas mal bourlingué dans tout le pays et ailleurs, à l’étranger. Il en avait des histoires trépidantes à raconter toutes plus fameuses, plus réelles, et moins ennuyeuses que celle de Jules Verne. C’est ainsi qu’on a sympathisé et qu’on a commencé à se voir de temps à autre pour échanger. Nos discussions nous ont montré à l’un et à l’autre qu’au-delà de nos différences, nous disposions encore de quelques valeurs impossible à remettre en question dans cette tornade cynique qui faisait tout pour nous emporter. Il était fasciné par mes connaissances littéraires, moi par sa vie. Lui qui n’aimait pas forcément lire à la base-ou qui n’en prenait pas le temps disons-le- il avait dévoré les « Histoires extraordinaires » de Poe avec autant de délice qu’il suçotait sa nourriture et la gardait un moment en bouche avant de l’avaler. La nourriture et la littérature ne sont pas si éloignées que l’on pourrait le croire. Un bon livre est comme un bon repas. Il s’apprécie tellement qu’on le déguste le plus lentement possible de peur d’arriver trop vite à la fin et de se dire « Merde ! Je ne retrouverais sûrement jamais un livre aussi bien écrit. Un repas aussi fameux. » Et bien sûr on en retrouve, car un bon livre en amène toujours un autre-contrairement à la gastronomie. Mais j’arrête ce parallèle douteux ici et maintenant. Je peux me passer de repas plus que de lecture c’est un fait. Le cerveau a des besoins que l’estomac ignore.

Ce n’est qu’au bout d’une semaine ou deux qu’il m’a dit ce qu’il m’avait fait manger car je ne voulais plus partager de repas avec lui sans savoir ce que je dégustais. Nous avions alors établi un simili de relation de confiance et après quelques verres il s’ est lâché.

« Tu veux vraiment savoir ?

–         Evidemment que je veux savoir !

–         …

–         Alors ?

–         Ce que tu as dégusté, c’est une viande très peu conventionnelle…

–         Une viande ? Je croyais que tu n’en mangeais pas.

–         Non. Je t’ai dit que je ne mangeais pas d’animaux sans conscience. Nuance.

–         Ah….Tu peux cracher le morceau direct parce que là je t’avoue que je ne comprends plus.

–         Tu es sûr que tu es prêt à l’entendre ?

–         Evidemment. Je peux TOUT entendre.

–         Promets-moi juste quelque chose avant.

–         Quoi donc ?

–         Promets-moi que quelque soit ton ressenti, ça reste entre toi et moi. Je pense pouvoir me fier à ta parole.

–         Ok. Je te donne ma parole mec ! Alors dis moi maintenant !

–         Ok…C’est délicat…

–         Accouche putain ! Tu commences à me faire flipper !

–         Tu as mangé du cerveau et du foie d’animal conscient !

–         Hein ?

–         De l’être humain… »

Bim ! Il m’a lâché ça de but en blanc. La claque dans la gueule ! Je suis resté muet pendant un temps qu’il lui a sûrement semblé plus long à lui qu’à moi-même. Il se foutait de moi… à tous les coups.

« De la viande humaine ? Tu t’fous de ma gueule là ? T’as trop regardé Hannibal toi non ?

–         Pas du tout, je ne fais que te dire cette vérité qui t’intéresse tant.

–         Attends ! T’es sérieux ?

–         On ne peut plus mon gars. Hannibal n’est qu’un petit joueur» me fit-il avec un sourire narquois.

Là, j’étais comme bloqué. Je ne savais plus quoi lui répondre. Il m’avait rabattu le caquet comme personne. Je l’ai regardé fixement sans m’en rendre compte car mon regard se perdait dans le vide et dans le ciel privatisé des alcoolos puis je me suis levé sans rien dire et j’ai fait demi-tour pour rejoindre ma caisse. J’étais en mode pilote automatique. Il a essayé de me rattraper mais je me suis alors mis à détaler comme un lapin, j’ai démarré la caisse, et suis parti sur les chapeaux de roues. Presque immédiatement, mon téléphone s’est mis à sonner. Et ça a continué jusqu’à ce que j’arrive chez moi. Je n’ai pas répondu. Je l’ai même éteint. Sans savoir comment, ni même me souvenir d’avoir conduit, je me suis retrouvé sur mon lit à ruminer tout ça. J’ai décidé d’ouvrir un bouquin pour me chasser les idées mais mes yeux allaient venaient sans cesse des pages à mon téléphone. Je ressentais le désir, le besoin de l’allumer sans trop savoir pourquoi. Sûrement encore cette curiosité malsaine qui me jouait des tours depuis trop d’années. J’ai tenté à plusieurs reprises de me replonger dans le bouquin mais j’étais inexorablement attiré par mon téléphone. J’ai donc décidé de l’allumer histoire d’en finir avec ça et de me libérer l’esprit. A peine deux minutes après que j’ai tapé le code pin, je recevais vingt-sept notifications d’appels et huit messages sur le répondeur en plus d’un sms. Ils disaient tous à peu près la même chose. Il était désolé de m’avoir fait ça, il savait que c’était dégueulasse, il regrettait et blablabla…Ce qui ressortait surtout c’était le fait qu’il avait peur que je parle de ça à quelqu’un. Comme qui ? Il savait ce que je pensais des flics mais ça ne l’empêchait pas de flipper comme un malade. Ne sachant que faire et me disant que la nuit me porterait conseil, j’ai reteint mon téléphone et me suis servi plusieurs rasades un peu trop généreuses de whisky jusqu’à ce que je tombe comme une merde dans les limbes maltées.

J’ai fait des rêves plutôt bizarres dont je parvenais à entrer et sortir au gré de mes éveils/assoupissements, lorsque ma bouche devenue trop sèche réclamait sa dose d’eau. Puis je me suis réveillé pour de bon. Je me suis frotté les yeux et tout de suite m’est revenue dans un flash les évènements de la veille. Bizarrement, je ne trouvais plus ça vraiment choquant d’avoir consommé de la viande humaine ; après tout c’était un rite approuvé dans nombres de civilisations respectables. J’avais absorbé l’âme d’un autre être humain soit, restait à savoir si elle était digne de mon réceptacle. Si ça se trouve, j’avais avalé un idiot fini, un xénophobe, un sanguinaire, un nationaliste, ou pire…un journaliste ! Peut-être que j’allais moi-même me transformer en cette chose. Ça me foutait les boules. Mais j’ai bu un café pour me réveiller, j’ai péniblement reprit mes esprits-les miens- et j’ai décidé que toutes ces croyances aztèques ou de je ne sais où, n’étaient que de la foutaise tout comme l’était la fin du monde. Toujours est-il que le fait était là. J’avais ingurgité un type. Du moins le supposais-je. Et si c’était une femme tiens ? Est-ce que j’allais me transformer en une sorte de transexuel ? Peut-être que des nichons allaient me pousser et que je pourrais les tripoter à ma guise. Ah ça ne serait pas si mal ça ! Mais rien que pour une journée. Et je garde ma bite. Je tiens trop à pouvoir pisser debout où je veux et quand je veux. Si j’étais une femme je crois que je serais une grosse salope et que j’userais de ce grand pouvoir mystique à des fins plus que méprisables. C’est ce qu’ont dû se dire tous ceux qui ont changé de sexe et peut-être ce qui l’a motivé. Mais je délirais encore. L’alcool ça. Je me suis resservi un café. Plus je me réveillais et moins je trouvais que ce que j’avais fait, involontairement, était méprisable. Après tout, n’avait-il pas raison Thomas, lorsqu’il disait que l’Homme était un animal comme un autre mais que c’était sa faculté de penser qui le rendait délétère, qui lui faisait croire qu’il avait des droits sur les autres espèces de la planète simplement parce qu’il avait érigé(et érigeait encore) des phallus monumentaux à sa propre gloire ou à celle d’un Dieu qui ne semblait exister que dans LE best-seller de l’histoire de l’humanité. Un roman qui vieillissait apparemment même mieux que les écrits de Balzac. N’avait-il pas raison ? Si, sûrement. Sauf que nous n’étions pas en temps de guerre et que c’était plutôt mal vu de bouffer son prochain tant que la famine n’avait pas passée les frontières de l’Afrique. Mais d’ailleurs…D’où est-ce qu’il les tenait le cerveau et le foie qu’il m’avait fait déguster ? Voilà la vraie question, la plus grave même. Est-ce qu’il avait tué quelqu’un ? Non ! Ça semblait impossible. Ce type était la bonté même. Je me faisais encore un roman dans la tête. La maladie du créatif. Un fait, quelques extrapolations, vous avez un roman. N’importe quoi ! Mais alors ? D’où est-ce que ça venait ? Et puis on ne connaît jamais vraiment les autres. Je ne suis pas un solipsiste définitif mais je ne réfute pas l’idée qu’on ne connaît jamais vraiment que sa propre personne. Le reste est souvent mascarade sociale. Descartes l’a dit dans le discours je crois. Mais le Thomas…Est-ce qu’il ne m’avait pas juste fait une blague ? Vu le nombre de ses appels, ça paraissait incertain. Quoiqu’il avait l’air fertile niveau conneries le Thomas…Je ne savais plus et je n’osais pas rallumer mon téléphone.

Plus tard dans la journée, j’ai rallumé l’engin. J’avais plusieurs messages supplémentaires. Je n’ai pas répondu et me suis décidé à aller directement lui parler face à face. Rien de tel. J’ai une sainte horreur du téléphone et des sms qui ne sont que pour moi qu’un truc de faux-derche bien représentatif de cette génération à laquelle je m’efforçais pourtant parfois d’appartenir. J’aime avoir les personnes à qui je parle en face de moi. Plutôt mourir que de passer plus de dix minutes au téléphone avec quelqu’un et encore…il faut vraiment que ça soit une personne chère à mes yeux ou une gonzesse que j’ai envie de me faire. Je me suis donc pointé jusqu’à son campement mais quand je suis arrivé je n’ai trouvé rien d’autre que des traces de pieds et de pattes dans le sable. Il s’était fait la malle. J’ai essayé de l’appeler, en vain. Je tombais directement sur la messagerie. J’ai été voir dans tous les coins du patelin où il aurait eu moyen d’établir son campement mais je ne l’ai trouvé nulle part. Je me suis donc décidé à faire demi-tour. J’ai ressayé à quelques reprises, à intervalles irréguliers, de ravoir des nouvelles de lui mais sans succès. Thomas avait foutu le camp et peut-être que, quelque part, ailleurs, une autre personne se nourrissait de la viande d’un homme. Au début j’avoue que j’ai été un peu jaloux. J’avais beaucoup aimé ce fameux repas et il me tardait de pouvoir y goûter à nouveau. J’allais devoir prendre les devants.

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