« Docteur, je n’arrive pas à être indigné par la mort de Rémi Fraisse, c’est grave ? – Non, mais ça fait un titre un peu long. »

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De nos jours, l’information fonctionne sur le modèle « un clou chasse l’autre » : par exemple, ces derniers temps, les médias avaient réussi à nous tenir en haleine avec l’épidémie d’Ebola et l’État islamique, et du jour au lendemain, bang ! Terminé ! Il n’y en a plus que pour ce pauvre Rémi Fraisse, devenu malgré lui un gavroche des temps modernes, tombé par terre le nez dans le ruisseau, c’est la faute à… À qui, au fait ?

Naturellement, un jeune homme qui meurt dans une manifestation, c’est plus que navrant, ne serait-ce que pour la famille de la victime : rien de pire que voir son enfant mourir ne peut arriver dans une vie d’homme… Pourtant, j’avoue, non sans honte, que je n’arrive pas à être aussi indigné que je le souhaiterais par cette histoire. Sans doute parce que je sais pertinemment, contrairement à beaucoup de mes compatriotes qui ont une bonne image des forces de l’ordre, qu’il n’y a rien de positif à attendre des pandores qui n’attendent que la permission de leur chef pour tirer dans le tas : l’histoire de France est pleine de glorieux moments de cet acabit ; à Brest, où je réside, on connaît ça : une petite place porte le nom d’Edouard Mazé, un manifestant assassiné par les gendarmes le 17 avril 1950… Bref, l’événement, aussi tragique soit-il ne m’étonne pas : je n’ai jamais eu à affronter les forces de l’ordre et j’espère que ça va durer parce que les « bleus » me font autant peur que les voyous.

Ajoutez à ça qu’en fin de compte, on ne connaît pas exactement les circonstances de la mort du jeune homme : pour l’instant, à l’heure où j’écris ces lignes, on se doute qu’il aurait été tué par l’explosion d’une grenade lancée par un gendarme… La belle affaire ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Étant donnée la confusion qui régnait au moment des faits, comment savoir si le gendarme avait visé précisément Rémi Fraisse, si son geste était prémédité, s’il l’avait exécuté de sang-froid, s’il avait reçu l’ordre de sa hiérarchie d’agir ainsi, si le manifestant n’avait pas simplement ramassé la grenade avant qu’elle explose ? L’enquête tranchera et il reste à espérer (sans trop y croire) que les responsables seront identifiés et punis : en attendant, vous m’excuserez si je préfère comprendre avant de m’indigner, il y a déjà tellement de faits avérés qui méritent notre colère qu’on peut éviter de la gaspiller inutilement pour des choses sur lesquelles il n’existe que des conjectures.

Il n’y a que deux choses qui sont sûres : premièrement, les opposants au barrage de Sivens (parce que c’est bien de ça qu’il s’agit) ont gagné ce dont tout militant n’ose même pas rêver : un martyr. Je ne dis pas qu’ils se réjouissent de la mort d’un des leurs, je pense même qu’ils préféreraient, comme moi, qu’on puisse faire triompher une cause sans qu’il y ait de sang versé, mais force est de constater qu’on n’émeut pas l’opinion publique rien qu’avec de belles paroles… Si la mort de Rémi Fraisse peut retarder ce projet, c’est un grand mal pour un petit bien puisque tout ce qui peut entraver le bétonnage orchestré main dans la main par les élus et les marchands de soupe est bon à prendre. Deuxièmement, et ça, c’est plus embêtant, l’État ne sort de toute façon pas grandi de cette affaire : pourquoi envoyer les forces de l’ordre pour une manifestation de militants écologistes ? Après les faits, on n’a pas été long à accuser, à juste titre, le « fascisme d’État » : ce qui est vraiment embêtant, c’est qu’après un coup pareil, allez donc dire aux gens que vous militez contre l’extrême-droite parce que vous défendez une liberté d’expression qui est DÉJÀ bafouée ! Un tel événement ne peut que renforcer la conviction suivant laquelle, avec le FN, ça ne pourrait pas être pire que maintenant – et pourtant, si, ça pourrait être pire !

Mais pas de panique : si l’information continue à fonctionner suivant le modèle exposé en introduction, il y a gros à parier que l’émotion suscitée par la mort de Rémi Fraisse retombera aussi vite qu’elle est montée, chassée des mémoires par quelque autre fait sensationnel monté en épingle par les médias qui traitent l’actualité comme Gaston Lagaffe classe son courrier, c’est-à-dire en jetant automatiquement à la poubelle tout ce pour quoi il n’y a plus de place… Ça vaudra peut-être mieux pour la justice qui pourra ainsi faire son travail sans que la vindicte populaire s’en mêle et pour la famille qui pourra faire son deuil dans les meilleures conditions possibles.

Ça va, j’ai pas dit de conneries ?

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