Observations sociologiques au sein d’un groupe de figurants de cinéma (4)

10-27-Pluie

Depuis que j’ai démarré le récit de cette expérience cinématographique, je démarre chaque article avec un assez gros paragraphe d’introduction dans lequel j’explique et justifie ma démarche ; je pourrais aller directement à l’essentiel, mais je ne vous cacherais pas que je cultive depuis des années la sale manie de me justifier à tout bout de champ, même (et surtout) si on ne m’accuse de rien ; de surcroît, j’ai un peu peur que certains de mes compagnons de figuration, en tombant par hasard sur ces articles, se méprennent sur mes intentions et le prennent mal ; donc, je l’ai dit, je le répète : mon propos n’est pas de juger qui que ce soit et encore moins de régler mes comptes avec Pierre, Paul ou Jacques mais simplement de faire connaître des observations sur les gens de ma génération, observations que je n’aurais sans doute pas été amené à faire si je n’avais pas vécu cette expérience qui m’a fait sortir du cadre universitaire dans lequel j’ai l’habitude de travailler. Point. Cet aspect étant ré-éclairci, reprenons notre récit…

Une fois l’heure du tournage arrivée, le moment d’entrer en scène n’était pas encore venu pour la plupart des figurants dont je faisais partie : l’équipe du film ne fit d’abord appel qu’à cinq jeunes femmes qui avaient été affublées d’ailes et d’auréoles d’anges afin de figurer une sortie nocturne entre représentantes du beau sexe (enterrement de vie de jeune fille ou autre) tandis que les interprètes principaux du film (dont vous découvrirez les noms bien assez tôt) jouaient leurs rôles. L’équipe fit au bas mot une quinzaine de prises avant de réaliser qu’elle faisait fausse route et qu’il fallait changer de plan, après quoi il ne fallut plus que trois prises pour boucler la scène (je ne peux vous montrer malheureusement aucune photo, il nous a été strictement interdit d’en prendre) ; ce sont bien entendu les aléas du cinéma et de la création artistique en général, mais il n’empêche que les autres figurants, qui assistaient au tournage avec consigne de garder le silence et de rester en place pour ne pas prendre le risque d’entrer dans le champ de la caméra, ne tardèrent pas à être frigorifiés – je précise que le tournage avait lieu de nuit au bas de la rue de Siam, et vous imaginez aisément quelle peut être la température d’une nuit d’automne à Brest, surtout en surplomb du port, donc au bord de la mer par temps humide… Que fait-on alors dans ces cas-là ? On prend son mal en patience ? Il faut croire que non : au cours du tournage de la séquence où l’équipe avait enfin besoin de tous les figurants, j’ai dû entendre mes provisoires collègues dire au moins une bonne cinquantaine de fois « ça caille » comme si ça allait arranger quoi que ce soit. Il est probable que mon allergie irrémédiable à tout propos répété jusqu’à plus soif, couplé à la lecture assidue d’ouvrages de philosophie antique exhortant à faire le plus abstraction possible des affections corporelles, soit pour quelque chose dans le fait que j’aie été si sensible à ce phénomène, en soi, assez anodin (et on ne peut plus compréhensible). Il reste que répéter à l’envi qu’il faisait froid n’allait rien changer à la situation et qu’il aurait été plus pertinent de prendre ses précautions, d’autant que le mail qui avait été envoyé aux figurants stipulait très clairement qu’il fallait prévoir des tenues de saisons et des accessoires tels que bonnets, gants ou écharpes, précaution que, toute fausse modestie mise à part, j’avais prises. Il faut se garder, bien entendu, d’accabler ces figurants auxquels on peut simplement reprocher un certain manque de prévoyance et, il faut bien le dire aussi, d’attention : mais s’il est exact, comme nous l’avons fait remarquer dans l’article ayant précédé celui-ci, que ma génération considère comme « normal » le fait de ne pas être attentif en cours, il ne faut pas s’étonner à ce qu’arrivés à l’âge adultes, ils ne parviennent même plus à fixer leur attention sur les recommandations pratiques qu’on leur donne, à moins que ce soit la saturation d’informations, dont nous sommes tous victimes aujourd’hui, qui soit en cause en nous accoutumant à balayer d’un regard distrait tous les messages que nous recevons, sans même prendre la peine de les lire dans le détail. Je n’ai pas la réponse, je vous laisse trancher si ça vous chante.

En raison de ce froid, le petit groupe de trois personnes dont je faisais partie eut tendance à se déplacer trop rapidement devant la caméra, comme à la sortie des bureaux, en décalage avec le rôle de particuliers en virée que nous étions censés endosser : on nous rappela à l’ordre, mais j’eus tout de même encore un peu de mal à trouver le rythme juste, pour d’autres raisons cependant que le froid – mais ceci est une autre histoire… À suivre…

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