« Charlie » et moi. Chapitre 11 : 2007, « Y’a bon ADN »

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Après le léger coup de mou postérieur à l’avènement de Nicoléon 1er, Charlie a eu l’occasion de se réveiller : mais le réveil a été brutal, et pas que pour le journal ; pour tout dire, on s’en serait passé.

Pourtant, depuis l’installation du nabot à l’Élysée, la braise couvait, il ne manquait qu’une étincelle pour mettre le feu aux poudres : l’étincelle, ce fut le tristement célèbre amendement du non moins sinistre Thierry Mariani, le député qui voulait imposer aux immigrés candidats au regroupement familial de se soumettre aux tests ADN. Et ce n’était que la partie émergée de l’iceberg d’une politique qui avait visiblement une envie folle de jouer avec la génétique : Sarkozy avait déjà déclaré, durant sa campagne, qu’on devrait pouvoir détecter les délinquants dès l’âge de trois ans et que l’homosexualité était inscrite dans les gènes (soit dit en passant, le simple fait qu’il ait pu être élu en proférant de telles énormités en dit long sur le bon sens de l’électeur moyen) ; une fois élu, il n’eut de cesse de chercher à imposer le prélèvement d’ADN pour tous les prévenus, exception faite, comme par hasard, de ceux qui étaient soupçonnés de délinquance financière… Voilà ce qui arrive quand on sèche les cours de biologie pour préparer des manifs anti-mai 68 : on en arrive à manipuler les technologies de pointe avec une mentalité de pithécanthrope. Si l’usage des données ADN dans la lutte contre la délinquance pouvait avoir un semblant de justification, son utilisation dans le cadre de la question du regroupement familial faisait tiquer même à droite, et pour cause : c’était créer un précédent fâcheux qui allait réduire la filiation à la génétique, et alors que faire des enfants adoptés et des familles recomposées ? Le progrès technique au service d’une régression éthique, voilà ce qui était à ce point insupportable.

Et qu’est-ce qui s’est passé ? Et bien la majorité UMP a voté cet amendement scélérat, comme un seul homme. Rien de très étonnant à ça : pendant le second mandat de Chirac, le parlement n’était déjà plus qu’une chambre d’enregistrement, sous Sarkozy, c’était carrément un club de supporters ! Plus grave, le conseil constitutionnel a tout validé. Ceux qui espéraient que Chirac allait saisir l’occasion pour emmerder Sarkozy en étaient pour leurs frais et découvraient que le grand braque corrézien et le roquet de Neuilly, c’était kif-kif : je présume qu’ils sont étonnés de découvrir que Quick et McDo c’est la même merde ? Au final, le gouvernement a renoncé de lui-même à cette disposition infâmante, mais je pense qu’au fond, Sarkozy s’en fichait : ce qui lui importait, c’était de s’assurer que sa majorité était prête à avaler les pires couleuvres et qu’il pouvait donc lui faire voter les textes les plus iniques, les plus honteux, les plus abominables ; pendant cinq ans, il ne s’en est pas privé, c’est le moins qu’on puisse dire !

Et pendant que les élus du peuple et les « sages » du conseil constitutionnel crachaient sur les principes de la République, qui défendait encore le droit, la justice et la liberté ? Je vous le donne en mille : Charlie hebdo et sa bande de voyous. Ah, ça, pendant que la gauche française restait les bras croisés, les petits rigolos du journal n’ont pas ménagé leur peine, eux ! Et allez que je te faisais des papiers plus incendiaires les uns que les autres, et allez que je te pondais des dessins rageurs, à commencer par la « une » mémorable de Luz intitulée « Y a bon ADN », et allez que je te faisais des pétitions recueillant des milliers de signatures de personnalités de tous les horizons, y compris des gens de droite comme Villepin (ce à quoi Cabu, pas dupe, avait répondu en représentant l’ancien premier ministre signer la pétition « d’une croix », la croix en question barrant Sarkozy), et allez que je t’organisais de grands concerts de protestation avec Renaud et Carla Bruni (qui n’était pas encore mariée avec qui-vous-savez)… Bref, puisque les garants officiels de l’éthique républicaine baissaient leur froc devant le néo-fascisme incarné par Sarkozy, Charlie a fait à leur place leur boulot de sauvegarde des valeurs de droit, de liberté et de tolérance : pour le jeune étudiant que j’étais, débordé de travail (double cursus oblige) et accablé par le contexte politique (on l’aurait été à moins), l’équipe de Charlie étaient mes héros face à la mentalité préhistorique qui triomphait à la tête de l’État. C’est dire si je n’avais aucune raison de voir venir la terrible affaire qui a secoué l’année suivante…

À suivre…

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