Pas de pilori pour les profs !

On n’a jamais que les gouvernants qu’on mérite. Il n’y pas si longtemps, sur ce même site, j’affirmais que le passage à tabac de l’infirmière Farida entrait dans la logique d’une société qui, depuis des années, n’a que mépris pour celles et ceux qui sauvent des vies au quotidien. Le gouvernement glorifie les soignants par devant mais les tabasse par derrière, entre autres parce qu’il a bien compris que le soutien massif dont ils bénéficient dans l’opinion n’aura qu’un temps.

Avec les enseignants, il n’y met même pas autant de façons : le pouvoir sait que les braves gens n’aiment pas les profs, ces emmerdeurs qui mettent des mauvaises notes à leurs rejetons si parfaits, ces intellos qui veulent transformer les gosses en pédés autistes non-footballeurs et respectueux des étrangers, ces fainéants pas foutus de s’aligner sur les horaires des vrais travailleurs… Bref, quand le gouvernement parle de sanctionner les enseignants qui ont décroché pendant le confinement, il s’en prend à une cible facile.

Ceci étant posé, essayez de m’écouter un bref instant : il y a un peu plus de trois mois, un grand silence s’est subitement abattu sur tout le pays. Pour le corps enseignant, ça s’est traduit par l’interruption brutale d’une dynamique engagée depuis le début de l’année scolaire, soit la bagatelle d’un semestre entier : tout ce qui avait été construit avec les élèves depuis septembre a été jeté à bas sans ménagement, il a fallu tout rebâtir en quelques jours ! Mission impossible, même en travaillant de nuit !

Le mot d’ordre a alors été de donner cours à distance : idée lumineuse ! J’ai un scoop pour vous : tous les enseignants n’étaient pas forcément équipés de façon idoine, et même ceux qui avaient une connexion Internet et une bonne webcam n’étaient pas forcément familiarisés à ce genre d’outil. De toute façon, donner cours devant un écran, ce n’est absolument pas la même chose que devant une salle de classe, le rapport à l’interlocuteur ne peut pas être le même ! Il faut au moins cinq ans pour former un prof et il suffirait de quelques jours pour qu’il réapprenne son métier sur des bases toutes nouvelles ? Non mais : ça vous viendrait à l’idée, vous de forcer un artisan à remplacer subitement l’outil avec lequel il est habitué à travailler depuis des années ? Vous ne vous imaginez quand même pas que dans ces conditions, le travail sera toujours aussi bien fait ?

Admettons que certains enseignants n’aient pas eu trop de difficultés à s’adapter à cet outil numérique : mais du côté des élèves, qu’en est-il ? N’allez surtout pas vous imaginer que les apprenants aient tous, sans exception, un ordinateur personnel dans leur chambre, avec une connexion au web optimale et une webcam de la dernière génération ! Imaginez le travail pour ceux qui cohabitent avec deux ou trois frères et sœurs dans la même chambre ? Et pour ceux chez qui il n’y a qu’un ordinateur pour toute la famille, avec le papa et le maman qui devaient eux aussi travailler depuis chez eux ? Et pour ceux qui captaient mal le cours parce qu’ils n’ont qu’une webcam bon marché ? L’école ne gomme pas les inégalités en temps normal, mais l’école à distance ne fait que les aggraver ! Sans compter que certains profs aussi ont des enfants et qu’ils les avaient eux aussi à la maison, avec les perturbations que ça peut comporter…

Conclusion : c’est déjà assez difficile, en temps normal, de retenir l’attention d’une classe de trente élèves, alors imaginez quand on ne peut leur parler que par l’intermédiaire d’un écran qui ne transmet pas toujours parfaitement l’image et le son ! Compte tenu de ces facteurs, au lieu de sanctionner les profs qui ont déposé les armes dans ce combat inégal, on devrait récompenser ceux qui se sont accrochés malgré tout, car ils ont été au moins aussi méritants que les soignants ! Mais c’est tellement facile, de jeter les pièces défaillantes en pâture à la vindicte populaire…

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