Le journal du professeur Blequin (116) à (vau-) l’eau

Lundi 20 juillet

15h : Malgré la météo clémente, j’avoue avoir hésité à sortir de mon trou. Pourquoi faut-il toujours que le soleil soit au rendez-vous quand j’ai besoin de me recroqueviller dans un cocon de réconfort ? Pourquoi faut-il que les élections aient lieu au printemps ? Pourquoi le ciel est-il resté bleu pendant presque toute la durée du confinement ? Pourquoi faut-il que mes proches meurent en plein été ? Franchement, je suis plutôt content que ces questions ne puissent pas avoir de réponse… Quoi qu’il en soit, c’est donc presque en me faisant prier que j’ai fini par me décider à aller prendre un nouveau bain de mer, déjà le neuvième depuis le début de l’été ; je suis déjà dans l’eau quand j’entends une bande de jeunes glands crier « Gros porc ! » Il me semble que c’est à moi qu’ils s’adressent… Dans ces cas-là, je ne réponds jamais. De toute façon, je ne suis peut-être pas mince, mais moi, je reste deux heures dans l’eau froide, ce ne sont pas ces freluquets qui pourront en dire autant ! Il n’empêche que le patron du Offside bay avait raison : les connards ont débarqué en masse à Brest ; avec le couple qui menace de me faire bouffer mon carnet, la bonne femme qui laisse son marmot me donner des coups puis m’enguirlande parce que je m’en plains et, maintenant, ces demi-cailleras grossophobes, il me semble bien, années collège mises à part, que je ne m’étais jamais autant fait engueuler et insulter par des inconnus en si peu de temps ! Est-ce dû à l’effet désinhibant de l’ambiance estivale, à l’arrivée massive de touristes qui se croient tout permis, ou aux deux à la fois ? Encore une question qui me pousserait au suicide si j’avais la réponse…

18h30 : Oh oui, je sais, je sais… Certains doivent se dire qu’encaisser des incultes grossophobes sur la plage devrait m’inciter à entretenir davantage mon corps… Je leur réponds : quand un Noir se fait traiter de sale nègre, est-ce qu’on va l’exhorter à se faire blanchir la peau ? Quand une femme se faire harceler en pleine rue, est-ce qu’on l’incite à changer de sexe ? Vous me direz que ce n’est pas pareil, je dirai que ça l’est presque car, contrairement à ce que prétendent les promoteurs de la taille mannequin à tout prix on n’est pas tous égaux face à la nourriture : certaines personnes grossissent sans faire d’excès, d’autres, au contraire, restent minces malgré un style de vie relâché. De toute façon, j’ai vu mourir d’un cancer suffisamment de personnes qui avaient une hygiène de vie « saine » pour m’auto-dissuader de devenir à mon tour un obsédé du corps… C’est pourquoi, revenant de la plage, je suis une nouvelle fois sur une terrasse de café à boire une Guinness et à engloutir une planche moyenne de tapas. De toute façon, je vous rappelle que je suis en deuil : si je ne m’accorde pas quelques plaisirs simples, je n’ai plus qu’à me laisser mourir à mon tour. Encore une chose : si on devait se fier à ce que racontent actuellement les médias, les rues des villes bretonnes devraient presque rappeler La Peste de Camus or, sur cette terrasse brestoise, rien ne rappelle l’épidémie à part les serveurs qui portent des masques… Qu’on nous lâche un peu avec notre santé : personne ne connait mieux notre corps que nous-mêmes.

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