Le journal du professeur Blequin (138) Y en a marre !

Dimanche 6 décembre

10h : Malgré les mesures sanitaires, des gens sont descendus dans la rue pour crier leur mécontentement. On peut les désapprouver ou les soutenir ; on peut les condamner ou les aduler ; on peut aussi, comme moi, les envier d’oser sauter le pas. La seule chose qu’on ne peut pas se permettre, c’est les ignorer : le fait qu’ils osent braver les consignes gouvernementales et assumer le risque pour leur santé (même s’il me semble qu’ils ont plus à craindre des CRS que du Covid) est révélateur d’une exaspération de la société civile prête à s’exprimer en dépit de l’éventuel danger. En privant à court terme les Français de distractions sous prétexte qu’elle seraient « non nécessaires » (une expression qui, soit dit en passant, illustre bien un mépris aussi souverain qu’intolérable pour les gens qui gagnent leur vie dans les secteurs concernés), le gouvernement a ôté à la société sa soupape de sécurité : il ne faut donc pas s’étonner si ça lui explose à la figure… Non, nous n’avons pas à avoir honte de ces manifestations : elles prouvent que nous ne sommes toujours pas disposés à devenir de bons petits Chinois dociles qui sacrifient leurs vies sur l’autel de la rentabilité des entreprises et que nous restons des citoyens prêts à lutter pour notre liberté. Bref, elles prouvent que la France comme je l’aime n’est pas déjà morte. La République en marche, c’est nous, c’est pas Macron !

Lundi 7 décembre

9h30 : Recette idéale de la journée bien pourrie, avec 100 % de réussite garantie, testée et approuvée par votre serviteur : pour commencer, rendez-vous dans un bureau de tabac estampillé « relais Bibus » pour y renouveler votre abonnement au bus et découvrez qu’en dépit du document de la mairie qui vous donne droit à un abonnement bon marché, la buraliste n’est pas en mesure de vous satisfaire et qu’il vous faudra encore voyager au prix fort pendant au moins deux jours…

10h30 : Après un trajet sous la pluie et dans le vent, rendez visite à un ami que vous n’avez pas vu depuis longtemps : il est important, pour la réussite de cette recette, que vous gardiez l’illusion pendant quelques minutes que votre journée peut encore être sauvée. Après cette visite, rendez-vous à Bureau Vallée pour y faire scanner votre dernière planche de BD – si vous n’êtes pas dessinateur, n’importe quel document de grand format fera l’affaire.

11h30 : Une fois votre numérisation accomplie, reprenez le bus (toujours payé au prix fort) pour rentrer chez vous : ne descendez pas avant votre arrêt habituel et découvrez au dernier moment que le véhicule est contraint de faire une déviation en raison de travaux importants réalisés précisément dans votre rue, qui est donc barrée. Descendez au premier arrêt desservi, évidemment situé dans un quartier que vous ne connaissez pas, et mettez une demi-heure à retrouver votre immeuble après une marche pénible par un froid de canard.

12h : Avant de manger, essayez d’ouvrir le fichier que vous avez ramené de Bureau Vallée et découvrez que l’employée qui a pris en charge votre planche a utilisé une résolution de fou qui en rend l’ouverture impossible sur votre PC bon marché ! Mettez deux heures à trouver une solution, le ventre vide et exaspéré par les épreuves de la matinée, pour finalement découvrir que cette andouille vous a salopé le boulot…

15h : Enfin, si jamais vous entendez qu’on sonne à votre porte alors que vous n’attendiez pas de visite, ouvrez immédiatement et laissez pénétrer dans votre appartement un gugusse qui semble incapable d’aligner deux mots et qui vient vous déranger pour vous demander si vous n’avez pas eu de problème avec l’électricité pendant le confinement. Si vous n’avez pas envie de tuer la Terre entière après tout ça, alors l’expression « calme olympien » est encore trop faible pour vous caractériser !

17h : J’écris pour Côté Brest une page qui devrait paraître la semaine prochaine ; j’y parle des problèmes de santé au début du XXe siècle et, en me relisant, je réalise soudainement une chose : en ce temps-là, il y avait la pandémie de grippe espagnole qui a fait cinquante millions de morts en deux ans (le Covid n’en fera sûrement jamais autant), la tuberculose faisait encore des ravages en France et la mortalité infantile était élevée, entre autres pour cause de consommation de lait de mauvaise qualité. Et malgré tous ces fléaux, aucun gouvernement n’avait envisagé de cloîtrer les gens chez eux ni de les empêcher de travailler ! Alors, bien sûr, autres temps, autres mœurs : je sais que ce qui était tolérable jadis ne l’est plus aujourd’hui ; je sais aussi qu’on ne peut pas dire que c’était mieux avant. Mais ça suffit, il me semble, à remettre sérieusement en doute la nécessité du confinement et, à plus forte raison, celle du sacrifice de la culture sur l’autel de la santé publique ! Que Michel Serres m’en excuse, mais je crois que je déteste mon époque…

19h : Cédant à la sollicitation de mon amie Elena, j’ouvre un compte Instagram sans trop savoir si ça va vraiment m’être utile : jusqu’à présent, sur les réseaux sociaux, je m’étais borné à publier des liens vers mes différentes créations et j’évitais autant que possible d’y publier mes dessins, de peur que ceux-ci ne deviennent la propriété légale de monsieur Zuckerberg. Bien sûr, je sais que je ne pars pas gagnant dans cette démarche : la majorité des gens est si paresseuse aujourd’hui qu’ouvrir un lien, c’est encore trop lui demander ! Ils protestent (à juste titre) contre les applications que leur propose le gouvernement pour lutter contre l’épidémie, mais ils trouvent parfaitement normal de donner les clés de leur intimité aux géants du web dont le seul but, quoi qu’ils disent, est de faire du fric sur leur dos ! Par conséquent, sur cette page Instagram que j’ai créée pour faire plaisir à une amie, je ne mettrai que des esquisses et de vieux dessins que je ne compte pas (ou plus) exploiter, et ces images ne seront que les supports visuels d’annonces pour des pages web ou des produits qui seront destinés au public que je vise, celui chez qui la boulimie d’images n’a pas supplanté définitivement la curiosité intellectuelle. La curiosité est un vilain défaut, mais ce sont les ignares qui disent ça !

Mardi 8 décembre

9h15 : J’ai un mal de chien à me lever tôt en ce moment, et ce n’était pas la journée pourrie d’hier qui allait m’aider beaucoup. Je suis en train de préparer mon petit déjeuner comme à l’habitude quand, tout à coup, le courant est coupé ! Plus moyen d’utiliser mon grille-pain ni mon micro-ondes… On m’avait bien prévenu qu’il y aurait une coupure de courant, mais ce n’était censé avoir lieu qu’en janvier : c’est d’autant plus étrange que, dans mon appartement à deux étages, seul l’étage du bas est concerné, l’électricité fonctionne toujours au-dessus !

11h : J’ai téléphone à EDF ; il m’a fallu vingt minutes pour enfin être mis en contact avec un interlocuteur… Qui m’a donné un autre numéro de téléphone. J’appelle : c’est Enedis qui, au bout de vingt minutes, s’avère tout simplement incapable de me répondre en raison d’un « problème technique »… Au lieu de m’ouvrir les veines, j’appelle mes parents qui auront peut-être une solution. Cette anecdote résume tout le drame des services publics privatisés : avec les services publics, si tu payais tes factures, tu avais des services en retour ; avec l’entreprise privée, même si tu paies, tu n’as rien ! Le jour où on privatisera la famille, on n’aura plus qu’à organiser un suicide collectif !

12h40 : J’étais encore à table quand mes parents sont arrivés : mon père découvre assez rapidement que c’était seulement un des disjoncteurs (il y en a trois) qui avait sauté. J’avais souvent entendu parler du « disjoncteur » mais c’était généralement dans des films ou des BD des années 1960 : soixante ans après, on n’a donc toujours pas trouvé de système plus sûr pour l’électricité domestique ! On préfère que les grands cerveaux de la planète gaspillent leur énergie à concevoir des gadgets qui font mal aux yeux… Désormais, certes, je me souviendrai du coup du disjoncteur si ça se reproduit, mais je commence à saturer…

14h : Je relève ma boîte aux lettres et je découvre… Un courrier d’Enedis ! Je rêve ! J’ai passé la matinée à essayer des les joindre en vain et ils m’envoient une lettre ! Ça me rappelle Le quadrumane optimiste, une aventure d’Achille Talon où un chauffeur de taxi, après avoir vainement essayé d’appeler la police, surprend un agent en train de coller une contravention à son véhicule…  Et c’est pour me dire quoi, ce courrier ? Pour me prévenir de la coupure de courant qu’ils m’ont déjà annoncée par SMS ! En matière de gaspillage du papier, le secteur privé ne vaut pas mieux que la fonction publique ! Mais le point culminant, c’est qu’ils précisent dans leur lettre que « pour suivre l’évolution de cette coupure et connaître l’heure approximative de rétablissement du courant, vous pouvez télécharger l’application Enedis à mes côtés » ! Bref : ils présupposent eux aussi que je suis forcément en possession d’un smartphone et ils m’annoncent QUAND MÊME par lettre une nouvelle que j’ai déjà parfaitement apprise avec mon vieux portable à touches ! Vous êtes obligés de me croire sur parole : je ne peux pas vous montrer cette lettre que j’ai déchirée rageusement…

Mercredi 9 décembre

10h30 : J’avais réservé ma matinée pour recevoir la visite d’un ami ; il a été obligé de reporter au dernier moment. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je décide d’en profiter pour acheter du pain et essayer une nouvelle fois de renouveler mon abonnement au bus : on m’avait assuré qu’il faudrait deux jours ouvrables pour que la buraliste soit à nouveau en capacité de me donner satisfaction… Mais bernique ! Je craque et je tape du poing sur le comptoir ! Je sais que je ne devrais pas faire ça, que cette commerçante n’est probablement pas responsable de ce retard, mais je suis véritablement à bout de nerfs… C’est pas pour une journée pourrie que j’ai la recette, c’est pour une semaine entière !

12h : J’apprends que Bolsonaro s’est mangé une raclée aux municipales brésiliennes ; cette nouvelle, un mois après la défaite électorale de Trump, confirme le recul des populismes, minés par leur incapacité flagrante à faire face à la crise sanitaire. A tout prendre, les gouvernants traditionnels comme Merkel apparaissent pour ce qu’ils sont en dernière analyse : un moindre mal qui a au moins la vertu d’avoir une relative utilité face à de vrais problèmes de grande ampleur et non pas seulement face à des polémiques mortes-nées plus ou moins bidon. On frémit rien qu’à penser à ce qu’aurait fait Macron (que je mets dans le même sac qu’Erdogan, Orban et Johnson) s’il avait dû faire face aux attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015 : déjà qu’il se met à persécuter les musulmans de France sans même avoir un prétexte… Bref, dans les années 1930, la crise avait mené les fascistes au pouvoir, aujourd’hui, elle tend plutôt à les en chasser. Un cauchemar chasse l’autre, en somme. Mais, comme dirait Bertrand Renard, on aurait pu faire plus simple en évitant dès le début de voter systématiquement pour les plus cons…

14h : Lassé d’attendre pour mon abonnement au bus, je me décide à me rendre directement au siège de Bibus sur le boulevard Clemenceau : surprise, ils arrivent à le reconduire sans problème ! Il vaut mieux s’adresser à Satan qu’à ses démons (pour diverses raisons, je préfère le Diable au bon Dieu). Chemin faisant, je prends le dernier Côté Brest où ma double page sur les visites présidentielles à Brest fait la une : je suis bien sûr satisfait, malgré ma difficulté à savourer pleinement mes succès, mais je suis déçu de découvrir une grosse coquille dans le chapeau : « leurs visitent se suivent »… J’entends d’ici les ricanements sarcastiques : je me sens proche de Zorglub découvrant que son message publicitaire sur la Lune est écrit à l’envers…

Jeudi 10 décembre

19h30 : La sentence est tombée : il ne sera donc pas possible de passer le réveillon du 31 décembre entre amis. Nouvelle crise de désespoir. Macron n’aurait jamais osé nous priver de Noël, c’était un coup à se mettre à dos les cathos, et autant le pouvoir, en France, n’a aucun scrupule à persécuter les musulmans, autant les chrétiens sont quasi-intouchables – entre parenthèses, je frémis rien qu’à penser à ce que nos dirigeants feront aux Juifs quand le souvenir de la Shoah et de la collaboration sera vraiment lointain… Quoi qu’il en soit, j’ai vraiment le sentiment de vivre le cauchemar auquel je voulais échapper en votant contre Marine Le Pen il y a trois ans ! Je comprends mieux pourquoi le RN n’a pas fait d’étincelles aux dernières municipales : c’est parce qu’on n’a pas besoin de l’extrême-droite pour que son programme soit appliqué… Certaines de mes amies m’exhortent à défendre mes droits, mais qu’est-ce que je peux faire à part mettre fin à mes jours ?

Vendredi 11 décembre

9h : C’est aujourd’hui que Pauline Huon soutient sa thèse de doctorat sur les rites de passage à Rome. Native de Lesneven comme mon père, Pauline est une jeune chercheuse brillante que je considère comme une amie et il y avait longtemps que je m’étais promis de ne pas rater sa soutenance : je me voyais déjà l’applaudir, la serrer dans mes bras avant de lui donner ses cadeaux et ensuite câliner sa petite fille née il y a un an… Mais la soutenance se fait en visioconférence. Je suis quand même au rendez-vous, ma fidélité en amitié et ma passion pour la culture antique étant plus fortes que mon aversion pour l’informatique : mais la directrice de thèse de Pauline, comme la plupart des chercheurs en lettres, est aussi à l’aise face à l’informatique que Cyril Hanouna face à un livre (je ne lui jette pas la pierre, je ne suis pas meilleur qu’elle dans ce domaine) et la soutenance débute avec une heure de retard, laissant mariner dans son jus la jeune candidate qui n’en avait pas besoin… Celle-ci se défend admirablement bien malgré son stress, ce qui n’est pas fait pour m’étonner ; malheureusement, le public doit se déconnecter pour laisser le jury délibérer et je n’arriverai jamais à me reconnecter : à l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais même pas si mon amie a été reçue ; le contraire m’étonnerait beaucoup, mais tout ça n’est pas fait pour améliorer mon moral… Au risque de me répéter : je HAIS l’informatique, je HAIS Macron, je HAIS l’hygiénisme ! Mais surtout, je HAIS la peur, cette peur que ressentent pour un oui ou pour un non les volailles de batterie que trop de mes semblables sont devenus et dont des margoulins tirent profit pour rogner nos libertés ! Et c’est bien pour ça que je soutiendrai toujours les chercheurs comme Pauline, qui font profession de curiosité : quand on est curieux de tout, on n’a peur de rien ! C’est ce que j’avais retenu de la scène des Collines noires où les scientifiques escortés par Lucky Luke, loin d’être effrayés par les Cheyennes qui les ont fait prisonniers, savourent leur chance de découvrir leurs coutumes… Vivre, c’est prendre un risque en soi : sortons de temps en temps de nos zones de confort, nous serons moins bêtes, moins trouillards et, surtout, plus libres : alors nous ne serons plus des pigeons, nous ne serons plus des moutons, nous ne serons plus des poires… NOUS SERONS DES HOMMES !

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