Le journal du professeur Blequin (166)

Brooke Burke à 42 ans… N’ayez pas trop de complexes, les filles : prendre soin de son corps, il y en a qui n’ont que ça à foutre !

Lundi 5 juillet 

14h : Ce n’est pas le beau temps, c’est même la journée la plus pourrie qu’on ait eue depuis le début de cet été pour le moins chahuté. Il y a quelques années, une telle météo m’aurait conduit au désespoir, mais aujourd’hui, j’estime que je ne peux plus me payer le luxe de déprimer à cause d’un été pourri. Alors je mets ce temps à profit en peignant : en effet, j’ai tout un stock de toiles que je tiens de ma défunte tante et je suis bien décidé à l’écouler avant la fin de la semaine. Pour compenser le manque de soleil, je peins des femmes en maillot de bain, d’après des photos découpées dans des torchons « people » interceptés avant qu’ils ne soient jetés à la poubelle (non, ce n’est pas moi qui les achetais)… Oui, je dis bien « des femmes » et non pas « des filles », car je m’aperçois d’une chose : aucune des célébrités que je prends pour modèle n’a moins de 40 ans ! Brooke Burke, Florence Foresti, Valérie Steffen, Alexandra Lamy, Heidi Klum, Anne-Sophie Lapix… Serais-je attiré par les femmes mûres plutôt que par les jeunettes ? En tout cas, je ne me recyclerai pas comme gigolo pour autant : gaulé comme je suis, je n’ai pas d’avenir dans la profession… Bon, j’arrête là avant de donner des idées aux psychanalystes de comptoir.

22h : Mon marathon de peintre est loin d’être fini et il s’annonce difficile : il n’est pas aisé de recouvrir le motif d’une toile déjà peinte, il faut au moins deux couches pour y parvenir, et l’acrylique est une matière plutôt ingrate, nettement moins fiable que la gouache. Une tempête se lève : je laisse la fenêtre de ma salle de bain ouverte, dans l’idée que le vent sèchera mon linge pendant la nuit, je verrai bien au réveil si c’est une erreur de calcul… 

Mardi 6 juillet

10h : Mon linge a partiellement séché, mais je n’aurais pas obtenu de meilleurs résultats en fermant la fenêtre… Je sors acheter quelques provisions de bouche et deux tubes de peinture : plusieurs poubelles sont à terre, le coup de tabac de cette nuit a dû être sérieux. Chemin faisant, je vois que Le Télégramme consacre sa une au « variant Delta » : apparemment, alors que la vie est en train de reprendre ses droits et que tout le monde se remet à faire des projets à moyen terme, la presse n’a pas fait son deuil de la terreur qu’elle inspirait en colportant les nouvelles les plus inquiétantes (faute d’être toujours les plus fondées) sur le virus ; ainsi, elle persiste à « oublier » allégrement qu’on peut être infecté sans mourir et même sans tomber malade – c’est les cas de ceux qu’on appelle les « asymptomatiques » parce que « personne en bonne santé » ne fait pas assez peur. Mais le seul chiffre qui mérite d’être pris en considération, c’est celui de l’occupation des hôpitaux, point barre ! De toute façon, on en a marre de s’inquiéter en permanence et de se priver de tout : entre mourir du Covid et vivre comme on l’a fait ces derniers mois, je ne suis pas sûr que le premier choix soit le moins enviable !

Mélanie et Audrey, deux chanteuses qui gagnent à être connues.

18h30 : Ce soir, après une autre journée passée à peindre sans discontinuer, je comptais manger des frites en ville et assister dans la foulée à la répétition du Putain de Renaud, la dernière avant le concert prévu ce week-end. Mais alors que je suis déjà dans le bus, je reçois un sms du metteur en scène me notifiant que la répétition est annulée ainsi que le concert, car la troupe n’aurait jamais eu assez de temps pour être prêt. Déçu, je décide de ne pas faire demi-tour et d’aller quand même la friterie : il n’empêche que cette anecdote est révélatrice du fait qu’on n’a pas fini de ressentir les effets néfastes des restrictions sur le monde de la culture…

20h : Je rentre à Lambézellec ; un type visiblement bourré à la mauvaise bière me demande l’heure. Moi : « 20 heures. » Lui : « Du matin ? » Moi : « Non, du soir. » Lui : « Ah merde, je croyais qu’on était l’après-midi. » Il ne faut pas chercher à comprendre…

Mercredi 7 juillet

10h : Je visionne le documentaire Là où poussent les coquelicots dans lequel plusieurs auteurs de BD, dont le grandissime Tardi, expliquent comment ils ont relevé le défi casse-gueule de dessiner la première guerre mondiale – comme sujet plus risqué, je ne vois que la Shoah. Il est bien sûr impossible d’aborder un tel sujet sans évoquer toutes les horreurs de la grande zigouille : les soldats gazés, les mutins fusillés, les gueules cassées… Et pourtant, le seul moment où je grince vraiment des dents, c’est quand on voit le dessinateur britannique Charlie Adlard utiliser son fusain ! Au grand désespoir de ma prof de dessin, j’ai toujours détesté cet outil dont le bruit m’irrite excessivement, mais ce désagrément sensoriel n’a aucune mesure avec ce que les « poilus » ont subi… Notez que si on va par là, pendant ces longs mois de couvre-feu et de confinement, je n’ai pas enduré la moitié de ce que subissent au quotidien ces milliers de personnes qui vivent dans la rue et crèvent de faim, et savoir ça ne m’aide pas à relativiser… Il n’y a rien à faire : se sentir concerné par une souffrance n’a rien à avoir avec l’intensité réelle de cette dernière dépend plutôt de notre proximité avec elle. C’est monstrueux, mais c’est ainsi.

Jeudi 8 juillet

Albert Camus

14h : Brève visite à une AVS qui m’a connu quand j’étais à la maternelle – je ne sais plus exactement si « AVS » est l’intitulé exact de son emploi, je suis fâché avec les acronymes et les dénominations administratives diverses, mais bon, toujours est-il qu’elle travaillait à l’école où j’ai débuté ma scolarité. Cette dame est en deuil, je voulais donc lui apporter un peu de réconfort : elle me dit l’admiration qu’elle éprouve pour le chemin que j’ai fait depuis ma petite enfance et se dit touchée que je continue à penser à elle car tous les anciens élèves de l’école n’ont pas cette élégance. Je lui réponds qu’il ne faut pas oublier d’où on vient et que mon modèle en la matière est Albert Camus qui, après avoir reçu son prix Nobel de littérature, a contacté son vieil instituteur. « Je ne suis pas institutrice », me dit-elle. « Ben ça tombe bien, je ne suis pas prix Nobel non plus », conclus-je !

16h : Je rentre à Lambézellec : descendant du bus, je suis contraint à un détour par le service de nettoyage des rues qui inonde littéralement le trottoir ! Non seulement c’est gênant pour la circulation, mais avec toute la pluie qui est tombée ces derniers jours, on est en droit de se demander si c’est bien utile… Pour ne rien arranger, leurs machines font un bruit épouvantable, à tel point que je me décide à garder les boules dont je me bourre les oreilles chaque fois que je prends les transports en commun. Gaspillage d’eau potable et pollution sonore sont les deux mamelles de l’emmerdement des piétons !

19h : J’ai des nouvelles du lycée que je fréquentais jadis : je savais que le bâtiment avait été détruit, mais j’ignorais que le nouveau n’était toujours pas bâti et que les cours se poursuivaient dans des modulaires. Je me dis que ce n’est pas grave : à Brest, on est habitué depuis 1945 à vivre en baraques, même sous le pluie !

Vendredi 9 juillet

10h : Une nouvelle fois, je fais mon marché en bravant l’obligation de porter le masque ; n’étant pas kamikaze pour autant, je le mets dès que j’aperçois les (affreux) gilets vert fluo des « garde-chiourme light » : mais dès que je suis assuré qu’ils quittent la place et ne reviendront pas, je le remets en poche, n’étant définitivement pas disposé à porter une muselière en plein air, surtout pour ce que ça sert… De toute façon, personne ne me fait de remarques, surtout pas les commerçants qui ne sont pas là pour faire la leçon à leurs clients ; tout au plus quelques rombières débiles me regardent-elles de travers, mais qu’elles aillent se faire foutre !

Serena Sozzi en pleine présentation de sa thèse.

14h15 : Je me rends à la soutenance de thèse de Serena Sozzi ; en effet, j’avais depuis longtemps une affaire à régler avec l’une des membres du jury, c’était le moment ou jamais. J’aurais donc pu partir tout de suite après l’avoir livrée et avoir reçu mon dû, mais je préfère assister à la soutenance jusqu’au bout : la thèse s’intitule La monnaie en Aquitaine XIIIe-XVe siècles, un sujet qui ne me passionne pas outre mesure, mais il y a si longtemps que je n’ai plus assisté à une soutenance que je ne vais pas laisser passer l’occasion. De surcroît, il n’y a que deux spectateurs, alors un peu de renfort pour encourager cette doctorante italienne est bienvenu ! Je ne voudrais pas donner l’impression de chercher à faire croire à tout prix que j’ai du mérite, mais je tiens à préciser que deux jurés suivaient la soutenance à distance, de sorte que quand les trois autres présents sur place parlaient, ça faisait du larsen : j’ai eu la sensation d’éprouver ce qu’Obélix et Idéfix ressentent quand ils accompagnent Assurancetourix qui tient absolument à chanter en marchant dans Astérix et les Normands… Sauf que c’est Olivier Véran, que je bâillonnerais bien à l’heure du festin !

Serena Sozzi, le masque baissé.

18h : La soutenance a pris fin, la candidate est reçue malgré les réserves émises par certains jurés et on a droit au traditionnel pot de soutenance : je n’avais plus vécu ça depuis seize mois, c’est donc une belle revanche. Serena en arrive à nous raconter qu’avant d’arriver en France, elle a travaillé comme assistante d’un grand professeur italien, ce qui veut dire qu’elle se tapait tout le boulot ingrat ; jusqu’ici, rien d’étonnant, hélas, sauf qu’en Italie, les étudiants qui font ce travail… Ne sont pas payés ! Et c’est tout à fait légal ! Inutile de chercher à comprendre pourquoi elle a quitté son pays natal ! Quand on apprend des trucs comme ça, on se dit que l’Europe a des côtés merveilleux : elle offre notamment aux gens la possibilité d’échapper aux décisions les plus iniques de leur gouvernement. Tant pis pour les Anglais, ils ont eu ce qu’ils voulaient…

Claire Morin ouvrant la soirée

20h : J’arrive au Temple du Pharaon pour la première scène ouverte organisée par le Collectif Synergie depuis dix mois ! Je me munis d’un masque pour entrer, mais je constate très vite que personne n’en porte et que tout le monde se fait la bise. Tout ça ne me dérange pas, bien au contraire : j’explique à Claire, la présidente du Collectif, qu’avec tous les cancers et AVC qu’il y a autour de moi, le Covid me passe à cent pieds au-dessus ! Point de vue partagé par Seb, le régisseur, qui a enterré une dizaine de copains ces derniers mois sans que le virus y soit pour quelque chose : dans son milieu de punks, la santé n’est pas une préoccupation majeure ; entre vivre cent ans à se faire chier ou vivre dix ans à s’amuser, ils ont fait une choix qui n’est pas celui de notre siècle d’experts-comptables hypocondriaques, et je ne leur jetterai pas la pierre !

Malika, une autre artiste venue participer.

21h : Il n’y a pas beaucoup d’artistes à avoir fait le déplacement et je me lève régulièrement pour meubler en lisant mes textes. Je chante même des parodies de chanson ! Je suis étonné de ne pas faire fuir le public : je dois en conclure que je fais rire avec mes vacheries sur les réacs de tout poil. Le régisseur me dit que mes textes « piquent », ce que je prends comme un compliment : cela dit, venant d’un dessinateur qui a pris le hérisson comme mascotte, c’est normal de piquer !

22h : L’ambiance monte d’un cran grâce à l’arrivée d’un chanteur et guitariste. Comme l’équipe n’a pas de pied de micro (on ne peut pas penser à tout), on lui tient le micro à la main à tour de rôle ! Quand vient mon tour, je me dis que je n’avais encore jamais été à ce point aux premières loges : cette expérience particulièrement immersive nettoie mon esprit d’au moins trois mois de crasse laissée par le confinement… C’est d’autant plus agréable que cet artiste chante en arabe, une langue qui est déjà musicale en soi – et merde à Zemmour et ses supporters !

23h : La fatigue se faisant sentir, je pars, non sans remercier Claire et toute l’équipe pour cette soirée. Je sors presque convaincu que la vie en vaut la peine, ce qui donne une idée du bien que ça m’a fait !

Samedi 10 juillet

11h : La soirée avait été filmée et retransmise sur Facebook ; j’ai ainsi l’occasion de m’entendre et je m’aperçois que je n’ai décidément pas une voix de chanteur ! A moins d’exercer dans le créneau de Carlos, car j’ai la barbe et la carrure adéquates, mais je n’arriverai jamais à raconter des blagues racistes et surtout pas à faire la fête avec Olivier de Kersauson ! Il y a des choses que même un autiste refuse de faire…

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