POULET DE PRESSE n°1

Amis messins, bonjour ! Je vous écris depuis la pointe Bretagne où, malgré l’éloignement de la capitale, nous ne manquons de rien, surtout pas de journaux ; ainsi, j’ai eu l’occasion, dernièrement, de lire un nombre de revues légèrement supérieur à ma moyenne personnelle, ce qui me donne l’occasion de vous en donner un aperçu…

L’emmanché n°2 : Ne le cherchez pas chez vous, c’est un journal angevin ; si j’ai pu le recevoir, c’est en tant que collaborateur ! Et oui, cinq dessins de mon cru ont été publiés dans ce magazine à « parution apériodique », ce qui, je vous l’accorde, met quelque peu à mal l’impartialité que l’on pourrait attendre de moi pour commenter un organe de presse. Quoi qu’il en soit, vous me connaissez suffisamment bien, maintenant, pour savoir que mes dessins ont tout à fait leur place dans un journal qui publie en couverture un photomontage représentant Sarkozy en slip (avec juste une fourrure sur les épaules et un collier de perles autour du cou) jouant du vuvuzela – un de mes dessins publiés dans cet opuscule revient d’ailleurs sur cette trompette qui a vrillé les tympans de tant de supporters pendant la coupe du monde de football… Voilà donc de quoi vous donner une idée du ton quelque peu iconoclaste de L’emmanché ; autant dire tout de suite, à part ça, que l’ensemble n’est pas exempt de quelques défauts (bien pardonnables) relativement fréquents dans la presse fabriquée par des amateurs, notamment des coquilles (j’ai surtout retenu ma rebaptisation dans l’ours : « Bienvenue au dernier petit quinquin du journal : Belquin ») et des images qui ressortent mal à l’impression – deux de mes crobards en ont pâti. Malgré cela, l’ensemble est agréable, la présentation est nickel, le papier de bonne qualité, la mise en page soignée, on est déjà loin de certains fanzines passablement bâclés. Sur le fond, ceux que la presse conformiste fait bâiller d’ennui seront servis, aucun des rédacteurs ne semble pratiquer l’autocensure, certains textes seraient dignes du Charlie hebdo des années 1970, comme l’article du Docteur B. contre la psychanalyse – non pas qu’elle soit à rejeter toute entière, mais elle est incontestablement dépassée – la chronique de Coline Chérie parlant sans tabou de la zoophilie (et pas pour la dénoncer, s’il vous plaît !) et aussi la « Tranche de vice » de Sushina qui, personnellement, m’a plié en six de rire ! Je signale enfin les dessins de mon confrère Ludo qui a une longueur d’avance sur moi dans le domaine de l’efficacité graphique ; bref, un journal amateur qui mérite le détour et je ne saurais trop vous conseiller d’aller visiter leur site pour que vous vous fassiez une meilleure idée : www.lemmanche.org

Marianne n°689 : Le Marianne de la semaine dernière (et oui, déjà trop tard pour l’acheter ! On le trouve peut-être dans les médiathèques…) a été remarqué pour son parti pris de l’ironie grinçante, pourtant pas si inhabituel de la part de l’hebdomadaire qui en use déjà chaque semaine dans la rubrique « Les pieds dans le plat ! » et publie les dessins de Tignous et de Gros ; de surcroît, l’éditorialiste Jean-François Kahn est l’auteur d’un Dictionnaire incorrect qui nous le montre plutôt rompu à ce genre d’exercice de style. La nouveauté, il est vrai, est dans le fait que l’ironie s’étend sur un nombre de pages plus conséquent que d’ordinaire et se trouve proclamée dès la couverture ; l’hebdomadaire avait déjà créé l’événement précédemment avec une « une » désignant Sarkozy comme « le voyou de la République » : comment aller plus loin dans la critique radicale ? Le meilleur moyen pour dépasser une critique radicale formulée au premier degré est dans doute l’éloge radical formulé au second degré, c’est-à-dire dans un discours si caricaturalement laudatif qu’on ne peut pas ne pas voir la critique acerbe qui le sous-tend ; on a parlé d’un contraste avec les numéros antérieurs, j’y vois plutôt une surenchère déclarée. Ainsi, en couverture, les titres dépassent les unes les plus lèche-bottes du Figaro ou de Paris Match pour rivaliser en courtisanerie avec les discours nord-coréens à la gloire de Kim-Jong-Il : « Vous êtes formidable », « Hymne à un immense chef d’État », « Le sauveur de la presse », etc. De tels titres sont trop pompeux pour ne pas être pris au second degré, d’autant plus qu’ils accompagnent une photographie de notre demi-président faisant à l’objectif un rictus carnassier qui est censé passer pour un sourire et qui permettrait à l’ancien maire de Neuilly, en cas de non-réélection en 2012, d’embrasser une belle carrière comme épouvantail : comme disait Coluche de Lecanuet, « maintenant, ils le mettent au milieu d’un champ, les oiseaux rapportent les graines ».

Bref, l’ironie est si palpable que l’on se demande pourquoi la rédaction a pris la peine de sous-titrer le journal « Numéro spécial Sarkozysme primaire », l’adjectif « primaire » nous ramenant au niveau de la critique au premier degré : je n’hésiterais pas ici à montrer du doigt une – relative – frilosité de l’hebdomadaire qui n’assume pas suffisamment son parti pris pour se passer de signaler à ces lecteurs que « c’est pour de rire » ; ce sous-titre est comme un écriteau précisant « attention, c’est pas sérieux », à croire que la dérision est devenue une arme aussi dangereuse à manipuler que la nitroglycérine et qu’il est devenu nécessaire de placer un triangle rouge chaque fois qu’on s’en sert… Même remarque à propos du texte de Jean-François Kahn, « de l’antisarkozysme secondaire au sarkozysme primaire » qui précède son « éloge d’un immense président » : on voit si bien que ce dernier discours-fleuve (signé, par ailleurs, Ézatienne Bougeotte, en référence à un illustre confrère…) est ironique que l’on ne voit pas l’utilité de cet article introductif précisant, entre autres, que ce « sarkozysme primaire » n’est pas revendiqué par la rédaction de Marianne et qu’il s’agit d’un parti pris qui ne survivra pas à la semaine ; l’article présente cependant l’intérêt d’expliquer les raisons qui ont amené ladite rédaction à embrasser ce parti pris, en l’occurrence l’accusation d’antisarkozysme primaire adressée par les aboyeurs de l’UMP à tous ceux qui n’applaudissent pas des deux mains aux gesticulations du président Zébulon (suivant l’expression bienvenue de Christophe Alévêque) ; l’idée est donc de satisfaire lesdits aboyeurs en comblant, et même en dépassant largement, leurs attentes ! Au-delà de la mise en garde (superflue à mon avis), nous avons donc la définition d’une esthétique humoristique qui est intéressante.

Que dire des articles faussement flagorneurs ? Kahn est relativement à l’aise dans cet exercice et nous dit notamment qu’on ne peut pas accuser de populisme un président qui a fêté son élection en compagnie des plus grandes fortunes de France, refuse de retirer des réformes déjà massivement rejetées par les français (qu’on se souvienne de la votation contre la privatisation de la poste et, plus récemment, des manifestations contre le report de l’âge légal de départ en retraite) et s’enlise dans une guerre impopulaire… Le co-fondateur de l’hebdomadaire attribue même au frère spirituel de Martin Bouygues « le courage de dire, l’intelligence de ne pas faire » ; j’ai un goût de chiottes, mais j’ai trouvé l’expression admirable, résumant magnifiquement l’essence même des effets d’annonce politiciens ! Par la suite, Sébastien Lapaque fait mine de louer l’inculture revendiquée de Sarkozy au travers d’un article que je trouve déjà moins adroit, du point de vue de l’ironie, que celui de Kahn – vous pouvez trouver que je vais vite, mais quand on est d’accord sur le fond, on n’a pas grand’ chose à dire… Déjà plus drôle est l’article de Guy Sitbon où il raconte son entrevue (fictive ? Ce n’est pas sûr, mais si tel n’est pas le cas, c’est encore pire !) avec Sarkozy qui le prend pour le correspondant d’un journal colombien qui aurait appelé Nicoléon Ier « le génie », ce qui suffirait à montrer que ce dernier n’est pas hostile à la presse… Joseph Macé-Scaron chante les mérites du courtisan au détriment du citoyen (concept déjà dépassé), Guy Sitbon (encore lui ?) plaint le président à qui l’on reproche ses mauvaises manières alors qu’il est seulement moderne, Hervé Nathan le félicite de ne favoriser que les plus riches (soi-disant les plus méritants)…et puis ça s’arrête : ça reprend brièvement plus tard, avec « Les yeux de Carla », poème en alexandrins signé Guy Konopnicki, mais en attendant, la rédaction trouve le moyen de remplir dix pages avec un minimum d’efforts avec des extraits du Président des riches, que Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon viennent de sortir chez Zones, et de Sarkozy et ses femmes, la B.D. de Renaud Dély et Aurel dont Glénat achève la prépublication dans le dernier numéro de L’écho des savanes : non seulement on remplit le journal à peu de frais pour assurer la promotion des livres des copains – livres dont je ne nie pas l’intérêt intrinsèque – mais en plus, on sort déjà du registre annoncé de l’ironie : la critique au premier degré reprend ses droits sans les avoir jamais vraiment perdus, on pourrait presque crier à la publicité mensongère… Conclusion : pas mal mais sans plus.

L’écho des savanes n°296 (Quand on parle du loup !) : Depuis son rachat par Jacques Glénat, éditeur qui ne prend pas les lecteurs QUE pour des pompes à fric, L’écho des Savanes a tourné le dos aux couvertures bêtement racoleuses avec force filles nues, et c’est un dessin de la grande vedette du journal, Vuillemin, qui nous accueille avec un bouffon tenant un couteau entre les dents pour illustrer le grand dossier du mois « L’humour est-il dangereux ? ». Le mensuel touche ici un sujet qui le concerne particulièrement, non seulement en tant qu’il publie les fameuses Sales blagues inaugurées par Reiser et Coluche puis poursuivies par Vuillemin (avec Gourio au début et en solo aujourd’hui), mais aussi dans la mesure où il a anticipé, à son corps défendant, un grave retour de bâton. Je m’explique : dans la France gaullo-pompidolienne d’avant (et aussi un peu d’après) mai 68, le succès ne protégeait pas les artistes un peu provocateurs, non seulement, évidemment, les indépendants (comme la bande à Hara-kiri) mais même ceux, et c’est plus surprenant, qui travaillaient dans les circuits proches du pouvoir. Un exemple concret ? En 1964, Jean Yanne et Jacques Martin lancent une émission intitulée Un = Trois, qui remporte un succès d’audience important : la direction décide quand même très vite d’arrêter ce programme, trop subversif aux yeux des politicards et des imbéciles. En somme, l’émission marchait, donc rapportait de l’argent à la télévision française, mais ses animateurs (qui ont eu ensuite droit à leur revanche avec Le courrier des Shadoks et Le petit rapporteur) ont été sanctionnés parce qu’ils n’étaient pas dans l’orthodoxie de la grisaille gaullienne. On croyait avoir tourné le dos à ces aberrations liberticides…quand soudain, début 2007, le groupe Lagardère arrête la parution de L’écho des savanes, pourtant bénéficiaire ! Un tabou venait de tomber : le succès ne protège plus les créateurs subversifs, ce dont Siné, Fréderic Pommier, Didier Porte et Stéphane Guillon ont fait les frais par la suite…

Comment ça, je m’éloigne de la question posée en couverture ? Mais pas du tout ! Si Arnaud Lagardère, qui, de son propre aveu, s’intéresse peu à la presse, a voulu faire disparaître un journal qui marchait bien, comment ne pas voir qu’il espérait faire plaisir à son copain Sarkozy ? On reste donc au cœur du problème : la question « L’humour est-il dangereux ? » est un faux débat lancé par les puissants qui ne supportent plus d’être épinglés par la dérision, ce que dénonce aussi clairement le rédacteur en chef du magazine, Claude Maggiori, dans son édito qui évacue très vite l’interrogation : « L’humour est-il dangereux ? Bah, oui. C’est même fait pour ça. »

Le dossier lui-même, consacré à ce pseudo-débat, ne nous aide pas à changer d’avis : plusieurs humoristes ont été interrogés, tous très différents les uns des autres, en l’occurrence Didier Porte, Anne Roumanoff, Bernard Mabille, Christophe Alévêque, Jean-Yves Lafesse, Rémi Malingrey, Jérôme Daran, Camille Chamoux, Plantu, Willem, Yan Lindingre, Fabrice Éboué, Étienne Lécroart, Jean-Luc Lemoine, Karl Zéro, Frédéric Recrosio, Lasserpe, La chanson du Dimanche, Georges Wolinski, Guy Bedos et Guy Carlier ; les divergences entre ces points de vue sont très ponctuelles et tous ces artisans du rire tombent d’accord sur l’idée qu’on ne peut pas imposer de l’extérieur des limites à l’humour. Par conséquent, le dossier tourne un peu en rond, mais il s’agit moins d’un vrai débat contradictoire que d’une réaffirmation de la nécessité d’une totale liberté laissée aux humoristes : la question de savoir jusqu’où on peut aller nous apparaît donc à l’évidence comme ce qu’elle est, une fausse question que lancent les possédants et les intégristes pour semer le trouble dans les esprits des gens et leur faire croire qu’il est envisageable de contrôler l’arme la plus efficace qui soit contre le pouvoir abusif (comment ça, « pléonasme » ?) et l’obscurantisme, à savoir la dérision. Il y a d’autant moins d’ambiguïté à cet égard que la « tête de con » du mois n’est autre que celle de Philippe Val et que le dossier est littéralement truffé de dessins de l’excellent Maëster représentant l’actuel directeur de France Inter avec un affreux teint jaunâtre et le regard fourbe (quand il ne rit pas sardoniquement)… Conclusion : l’humour est-il dangereux ? Oui, et c’est tant mieux.

L’Humanité n°20468 : La fête de l’Humanité, ça ne vous aura pas échappé, a pris fin ce week-end ; ce n’était pas une édition comme les autres puisque, outre le fait qu’elle a été organisée sur fond de rentrée sociale chargée (doux euphémisme), la fête du parti communiste français fête son quatre-vingtième anniversaire ; ce pourrait être un âge respectable pour mourir, mais si le P.C.F. lui-même est aux fraises, il n’en va pas de même pour sa fête : personnellement, je n’y étais pas (il y a tout de même des choses dont je suis privé par l’éloignement de Paris) mais j’ai cru comprendre que la fête de l’Huma est plus vivante que jamais. Il fallait marquer le coup ; je ne vais pas revenir sur ce qui a été fait sur place mais rappeler plutôt que le journal L’humanité a choisi, pour l’occasion de faire venir dans ses pages des invités de marque : l’équipe de Fluide Glacial ! Le parti pris ? Enlever TOUTES les photos du quotidien (sauf, évidemment, celles des pubs : on a beau être communiste, il ne faut pas oublier les affaires, hein ? Oui, je sais que ce n’est pas bien de le reprocher à un quotidien qui a besoin d’argent… ) et les remplacer par des dessins. Thierry Tinlot, le rédacteur en chef actuel du mensuel d’umour et bandessinées, est rompu à ce genre d’exercice puisque, en 1998, quand il était encore rédacteur en chef de Spirou, il avait mené une opération similaire pour les soixante ans de ce magazine dans les pages du grand quotidien belge Le soir – déjà plus conservateur que L’huma ! D’autre part, c’est un juste retour des choses : en effet, c’est L’humanité qui, jadis, possédait l’hebdomadaire pour jeunes Vaillant qui allait être rebaptisé Pif par la suite ; c’est dans Vaillant qu’a été lancée la carrière de dessinateur-déconneur du grand Gotlib avec les aventures de Gai-Luron ; et enfin, c’est Gotlib qui a fondé Fluide Glacial ! Conclusion : Fluide Glacial n’existerait sans doute pas sans L’humanité, il est donc normal que le premier remercie le second en lui donnant l’opportunité de doper un brin ses ventes.

Redevenons sérieux : les différents dessinateurs qui ont participé se sont acquittés tout à fait honorablement de leur tâche, restant fidèles à ce que les habitués de Fluide attendent d’eux tout en restant cohérents par rapport à la spécificité du support. La couverture de Julien CDM (Julien Solé dans le civil) illustre assez bien le mélange de divertissement et de militantisme qui caractérise la fête de l’Huma, avec ce groupe rock qui fait de son mieux pour accompagner musicalement un manifestant hurlant dans son mégaphone contre la retraite à 62 ans ; le résultat pourrait difficilement être pire que l’hymne des jeunes socialistes… Bon, je ne vais pas tout vous décrire par le menu, même si vous avez peu de chances maintenant de trouver ce numéro « collector » (qui se résume, du point de vue du texte et pour une bonne partie, à une plaquette d’informations sur la fête) dans vos kiosques ; signalons simplement que le très célèbre Frank Margerin a laissé, en page 3, à son cher Lucien le soin d’inaugurer la fête devant un public aussi hétérogène qu’enthousiaste ; Christian Binet, de son côté, s’est arrangé pour que ses fameux Bidochon soient de la partie, campant ainsi ce bon vieux Robert en lecteur assez improbable de L’Huma : on le verrait mieux lire Paris Match ou Le Parisien libéré ! Isa, elle, a mis à contribution son héroïne du moment, Laurence Parisot, tête de turc rêvée pour le « journal fondé par Jean Jaurès ». Dans ce tas de dessinateurs, il y avait aussi des dessinateurs habitués au dessin de presse, comme Lindingre (qui assure même la météo), Hugot (qui revisite à sa façon la page télé) et aussi Lefred-Thouron qui s’est même payé le luxe de dessiner le gag de Pif le chien ! Tiens, c’est une bonne idée, d’ailleurs : puisque Roger Mas n’est plus, il serait grand temps de profiter de ce décès pour renouveler le stock de gags de Pif et ainsi relancer la série, non ? Je tiens donc à signaler à monsieur Appel-Muller, le directeur de l’Huma, que s’il cherche un dessinateur motivé pour reprendre Pif, je suis à sa disposition !

Une dernière chose : l’équipe de Fluide ne s’est pas contentée d’illustrer le journal ; les chroniqueurs se sont taillés la part du lion en y écrivant des articles ! Pascal Fioretto administre aux éditorialistes-maîtres à penser une gifle salutairement tonique, Éric Deup casse le mythe du Mens sana in corpore sano, Yves Frémion commente le contenu du journal en criant au scandale, non sans ironie – l’humour de Frémion vaut ce qu’il vaut, mais je le préfère encore à celui de beaucoup de rédacteurs de Marianne (c.f. supra) – et Bruno Léandri dévoile les dessous de cette opération « Fluide saute sur L’huma » en signalant notamment un fait qui fera verser des larmes à plus d’un : l’immeuble dans lequel travaille aujourd’hui la rédaction de L’huma n’appartient pas au journal et le propriétaire des lieux refuse d’enlever les grandes lettres « Castorama » collées sur les vitres des bureaux qui cachent le nom du journal ! Il y a trente ans, c’était le portrait de Lénine qui était sur les vitres de L’huma… Ça pourrait être triste, mais les auteurs de Fluide n’ont pas oublié l’essentiel : ils étaient là pour faire rire, et il faut reconnaître que L’huma n’avait probablement rien connu de tel depuis l’époque où Wolinski dessinait dans ses pages.

La Mèche n°1 : Depuis le temps qu’on nous le promettait, ça y est ! Orphelins de Siné hebdo, l’ancienne équipe du « journal mal élevé » est revenue au quasi-complet pour vous proposer une patrie d’adoption ; il y a cependant de nombreux absents, notamment papa Siné lui-même : ses anciens collaborateurs sont maintenant des trublions adultes, et ils le prouvent. Arthur (de son vrai nom, Henri Montant) non plus : le « monsieur écologie » de Siné hebdo, ancien de Charlie hebdo et de La gueule ouverte, est mort d’un cancer à soixante et onze ans… Mais revenons à l’équipe de La mèche : Pour le moment, ils travaillent tous bénévolement, et n’ont même pas de locaux (vous voyez, il a plus mal loti que L’humanité) : ils n’ont ni pub ni actionnaires, la seule façon de les soutenir est d’acheter leur journal ou de s’y abonner. Bien sûr, on pourrait disserter encore longuement sur le tiraillement entre anarchisme et militantisme, mais ce défaut – perceptible uniquement pour les pinailleurs – était aussi celui de Siné hebdo, ce qui ne l’empêchait de dépasser largement la plupart de ses confrères. De toute façon, Olivier Marbot, gérant du journal et ex-rédacteur en chef adjoint de Siné hebdo annonce la couleur dans son édito – qui n’en est pas un, mais plutôt un « menu » : le but n’est pas d’être homogène mais de recueillir toutes les formes que peut prendre un juste mécontentement contre les media castrateurs à la botte du pouvoir. Passons donc là-dessus et examinons le bébé.

Premièrement, la une : la couverture d’un journal satirique ne doit pas être simplement un dessin satirique agrandi et doit être effectivement conçue dans le but de fournir une couverture ; il ne faut donc pas hésiter à être cinglant, voire à choquer. Pari réussi pour Sergio qui inaugure le bal en démontant, en l’espace d’une image, le mythe de l’entrepreneur qui prend tous les risques – on trouve encore le journal dans les kiosques, allez donc voir vous-mêmes ! Une fois la première page tournée, quatre pages intitulées « C’est maintenant que ça se passe » consacrées à l’actualité française la plus brûlante ; il va sans dire que la réforme des retraites et les expulsions de Roms occupent une place de choix. Je vous jure que si, après avoir lu ça, vous croyez encore qu’il est inévitable de reculer l’âge légal de départ en retraite et que les travailleurs français sont privilégiés – car on rigole, mais on apprend aussi beaucoup de choses, je ne vous dis que ça ! – alors vous avez besoin qu’on édite le journal en braille… Bien entendu, le dessin occupe une place de choix, comme dans Siné hebdo – mais La mèche doit beaucoup, du point de vue de sa mise en pages, par ailleurs agréable, à son désormais devancier – et on a même une première interview, celle d’un homme politique non-véreux (parce que ça existe, heureusement !), le sénateur communiste Jack Ralite.

Viennent ensuite les deux pages « Faut voir ailleurs… » consacrées à une actualité internationale qui ne fait pas la une des autres journaux ; on notera notamment l’article, probablement le premier d’une série, de Miguel Bensayag sur les procès de militaires impliqués dans les actes de barbaries perpétrés en Argentine sous la dictature de Videla (vous avez dit que les militaires étaient là pour nous protéger ?). Les deux pages qui suivent, « Philo de comptoir » sont plutôt déconnectées de l’actualité et rappellent plus le mensuel Hara-kiri : d’authentiques iconoclastes tels que Manuel Pratt, Étienne Liebig, Diego Aranega, La Blanche et d’autres profitent de cette aire de liberté pour faire ce qui aujourd’hui, presque partout ailleurs, vous vaut le bannissement : rire de tout, même et surtout de l’horrible. Rafraîchissant ! Les deux pages suivantes, « Ça peut changer », vous donnent des nouvelles de notre douce France (et aussi d’ailleurs) que les grands quotidiens évitent soigneusement d’ébruiter… Pour la culture, on a la double page « Ça fait plaisir » avec Nick Kent et Laurence Romance pour la musique, Pierre Brice pour la gastronomie (pas très fine !), Jean-Pierre Bouyxou pour le cinéma et Noël Godin (oui, le gloupier !) pour la littérature. La dernière double page répertorie les phrases de ceux qui nous gouvernent qu’il serait dommage de laisser passer dans « C’est eux qui le disent » et publie le courrier des lecteurs (pour l’instant, essentiellement des messages de soutien, évidemment) avec « C’est vous qui le dites ». Le lecteur de Siné hebdo ne sera pas trop dépaysé, d’autant plus que La mèche renoue avec la désormais traditionnelle quatrième de couverture proposant un dessin en pleine page : à Decressac de commencer avec un dessin vraiment drôle (personnellement, je n’avais pas pensé à l’idée qu’il développe !) mais que je ne vous décrirai pas : ils méritent qu’on les soutienne, achetez leur journal, tonnerre de Brest ! C’est pas le prix que ça coûte, franchement ! Vous ne le trouvez pas dans votre ville ? Et bien contactez-les : La Mèche, 38 rue Dunois, 75013 Paris ou contact@lameche.org.

Psikopat n°223 : Carali non plus ne participe pas (pour l’instant) à l’aventure de La mèche : il concentre ses efforts sur son propre journal, créé à la suite de la disparition du vrai Charlie hebdo (méfiez-vous des imitations !), que les imbéciles disaient mort-né en 1982… Vingt-huit ans après, lesdits imbéciles en sont pour leurs frais, et le patron-fondateur du magazine n’est pas près de prendre sa retraite, comme il le rappelle sur la couverture à deux jeunes dessinateurs ( ?) aux dents longues qui aimeraient prendre sa place. D’ailleurs, le grand dossier du mois du Psikopat est justement consacré aux retraites – ça tombe bien, tiens ! Quels sales opportunistes ! Sans entrer dans le détail, je me permets de signaler que le tiraillement militantisme-anarchisme que l’on observe concernant La mèche se recrée dans ce magazine où l’on peut distinguer deux tendances : d’un côté, il y a ceux, essentiellement des dessinateurs, qui plaignent (à juste titre) les pauvres travailleurs qui ont été exploités durant toute leur existence et à qui on veut ôter le droit de se reposer après une vie de dur labeur ; d’une autre coté, il ya ceux, essentiellement des rédacteurs, qui soulignent que n’ont intérêt à prendre une retraite que ceux qui ont un métier où ils ne s’épanouissent pas et qu’il vaut mieux profiter de la vie à chaque instant et ne pas attendre d’être vieux et cassé pour le faire : impossible de trancher en faveur de l’un ou de l’autre point de vue, non seulement parce qu’ils comportent tous deux une part de vérité mais aussi et surtout parce qu’ils ne s’opposent pas l’un à l’autre. Vous avez la chance de vous épanouir dans votre travail ? Et bien profitez-en à fond la caisse, ne vous sentez pas obligé de partir à la retraite dès vos soixante ans, ne vous condamnez pas à l’impression d’être jeté comme une vieille chaussette. Vous avez un boulot qui vous fait chier et que vous ne faites que pour gagner du blé ? Et bien mobilisez-vous pour avoir le droit de quitter cette galère avant d’en crever ! Je deviens grossier, ce doit être l’influence de ce mensuel iconoclaste… Cela dit, je prends l’affaire au sérieux, mais au Psikopat, on est surtout là pour déconner, de préférence contre ce qui nous fait peur, justement pour le conjurer : les pages de Félix, de Besseron, de Coco, de Pat Ryu et de Rattila sont de parfaits outils de conjuration de la peur qu’éveille en nous le cauchemar d’une retraite misérable et sénile. Même remarque pour Olivier Ka (le fils de Carali, oui ! Tous des pistonnés…) et sa nouvelle qui vengera joliment tous ceux qui se sont déjà frottés à la police de la France d’après…

Du coq à la poule (expression idéale pour signaler qu’on change de sujet mais pas trop), je me permets de rappeler qu’il n’y a guère, Carali se flattait, à la une de son magazine, d’avoir embauché cinq rédacteurs de feu Siné hebdo, en l’occurrence Bouyxou, Godin, Liebig, Langaney et Karine Vallée : maintenant que les quatre premiers ont repris du service dans La mèche, vont-ils rester, sachant que Carali n’en veut jamais (ou alors pas longtemps) à ses collaborateurs qui quittent le navire ? L’avenir nous le dira… Une dernière chose concernant le Psikopat : je voulais me mettre à faire de la critique B.D., mais une planche de l’excellent Reuzé publiée dans ce numéro m’en a enlevé l’envie pour un moment ; pourquoi ? Je vous en laisse la surprise…

Bon, je vais arrêter là, sinon on va m’accuser de faire de la publicité à la concurrence, et puis je crois que j’ai battu tous les records de longueur d’un article sur ce webzine. Qu’il me soit cependant permis de faire deux remarques pour conclure : premièrement, j’ai réussi dernièrement à me procurer le Charlie hebdo n°507 du 30 juillet 1980 et j’y ai lu, dans une note de bas de page d’un article de Paule, un message prémonitoire : « L’usage de la pince [à électronarcose] est obligatoire [pour l’abattage d’animaux] sauf pour ceux dont la religion l’interdit. Mais si tu veux la LICRA aux fesses et des lettres d’injures, la réprobation d’une « Gôche » qui n’a rien compris : avise-toi de gueuler contre l’abattage rituel. Curés sales cons ? Oui, oui, oui. Rabins, imams, sales cons ? Non, non, non. Tant pis pour les moutons qui tombent entre leurs pattes, je ne risquerais pas ma tranquillité pour tenter d’assurer la leur (celle des moutons, bien sûr) ». Paule a donc anticipé, avec plus de vingt ans d’avance, ce triste retour de balancier qu’est l’utilisation de l’antiracisme par les intégristes religieux et les défenseurs d’Israël pour imposer leurs vues… Une preuve parmi d’autres que l’humour d’Hara-kiri et de Charlie hebdo n’a pas vieilli et que Choron avait donc raison : les lycéens qui, à Droit de réponse, traitaient son hebdomadaire de « journal de vieux » sont des « merdeux, des trous du cul, des cons » qui n’ont rien d’autre à dire que tout ce avec quoi leurs aînés leur ont bourré le crâne. Deuxièmement, enfin, étant donné qu’il a été question, dans ces lignes, de communisme et de presse, qu’il me soit permis de sortir un scoop : Dominique Baudis, sous ses dehors de journaliste propret et de militant centriste inodore est un agent double ! Il travaille en sous-main pour le compte du parti communiste ! La preuve avec cette photo, prise pendant les années 1980, où il s’entraîne à présenter le premier journal télévisé de la France socialiste et soviétique…

Amis de Lorraine, kenavo !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *