Le journal du professeur Blequin (47) Un philosophe n’est PAS un gourou !

Votre serviteur à la remise des diplômes de docteur de l’Université de Bretagne Occidentale (promotion 2015).

Vendredi 23 février

12h : Un particulier, conscient du fait que je suis docteur en philosophie, m’annonce qu’il aura une question à me poser. Je ne peux m’empêcher de faire « aïe » car je suis bien placé pour savoir que les philosophes n’ont pas réponse à tout mais ont plutôt question à tout ! Assistant à la scène, une dame me dit « Il faut bien que ton doctorat serve à quelque chose » : elle disait ça probablement sur un ton ironique, mais cette phrase me rappelle trop le jour où une conne m’avait dit « il faut bien que les doctorants servent à quelque chose » et je manifeste mon mécontentement en demandant « vous voulez une claque » ? Ce à quoi elle répond « Quelle violence ! A quoi ça sert d’être philosophe si on est violent ? »  Je me prends la tête dans les mains, las de lutter contre cette conception galvaudée et caricaturale de la philosophie. Une fois pour toute : un philosophe, ce n’est pas un gourou omniscient, ce n’est pas non plus un ascète sans sexe et sans estomac, c’est encore moins un sage qui vous apprend à mieux vivre ! Un philosophe est un homme comme un autre, qui se pose juste un peu plus de questions que la moyenne, et sa vie n’est pas plus sereine qu’une autre, au contraire ! Elle est même nettement plus inconfortable ! Mais elle est aussi plus passionnante.

Quand on leur parle des philosophes, beaucoup de gens ont cette image-là en tête : une référence encombrante…

13h : La conversation se poursuit ; je ne peux cacher mon impatience en écoutant mes interlocuteurs évoquer des histoires abracadabrantes d’illuminés ayant vu des défunts ou autres récits aussi invraisemblables qu’invérifiables. Je me prends même à dire « quand quelqu’un me dit ça, j’appelle les alcooliques anonymes » ! Je lis dans leurs yeux leur déception : comment, moi, le philosophe, ne puis-je donc pas m’intéresser aux phénomènes occultes et à avoir l’esprit aussi fermé quand on évoque devant moi ces phénomènes qui défient la raison ? Les gens sont souvent déçus de constater à quel point les philosophes sont terre à terre : de fait, le philosophe n’a pas besoin de chercher dans l’au-delà des interrogations qu’il tire de l’observation de ce qu’il a sous la main ; le réel concret est déjà une source suffisante d’ahurissement pour qui prend la peine de l’observer. Alors, si vous cherchez quelqu’un pour vous faire croire à un autre monde, plus satisfaisant que celui dans lequel vous vivez, fuyez les philosophes et allez plutôt consulter votre charlatan habituel ! Une bonne fois pour toute : un philosophe n’a pas la tête dans les nuages, il a même les pieds un peu trop sur terre au goût de ses frères humains !

20h : Pour clôturer en laideur cette journée nulle, j’apprends au dernier moment que le rendez-vous vespéral pour lequel j’avais réservé ma soirée était annulé depuis ce matin : je n’avais pas reçu le SMS, envoyé le matin même, qui prévenait tous les convives… Bref, j’ai poireauté pendant une demi-heure dans le froid pour des prunes : dans ce genre de circonstances, on se sent inévitablement seul, sale, inutile, visqueux et moche, et ma science philosophique ne m’est d’aucun secours pour me remonter le moral. Quand je vous disais que ça n’aide pas à mieux vivre…

Dessin réalisé une semaine après ma soutenance de thèse.

One thought on “Le journal du professeur Blequin (47) Un philosophe n’est PAS un gourou !

  1. Peut être qu’on se sent …etc. mais félicitations sincères quand même. Et puis pour clore sur une note d’humour afin de faire sourire en ce si beau jour, c’est donc la poule qui fit le z’oeuf et pas les BHL ans Co !

    Très bonne journée !

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