Ne mettez pas nos libertés à la retraite !

Brest, Samedi 16 janvier, 11h45. Avant d’aller à la bibliothèque universitaire pour fignoler le texte d’une communication que je dois donner dans trois semaines, je casse la croûte dans une friterie du centre-ville. De là où je suis installé, je peux voir passer une énième manifestation contre la réforme des retraites.

Un mois et demi après le début du mouvement, on aurait pu s’attendre à un essoufflement palpable, mais force m’est de constater qu’il n’en est rien : il faut un bon quart d’heure au cortège pour défiler tout entier… Je ne sais pas si je dois féliciter les syndicats pour leur détermination ou engueuler le gouvernement pour son amateurisme. Je penche cependant un peu plus pour la seconde option, renonçant à faire trop d’honneur aux syndicats quand je vois les voitures de police qui referment le cortège : je ne peux pas m’empêcher de les comparer à des chiens de berger qui veillent à ce que le troupeau marche en bon ordre ! Je sais que je ne devrais pas dire ça, mais j’avoue que je ne vois pas d’autre utilité à cette présence de l’appareil répressif : non seulement il n’y a pas suffisamment de boutiques prestigieuses à Brest pour craindre des cassages de vitrines mais, de surcroît, le cortège est composé en grande partie de « seniors » qui n’ont probablement plus la force de risquer une action d’éclat ; les jeunes, eux, sont trop occupés à enchaîner les petits boulots merdiques pour tenter de survivre, et ce sont eux qui paient les retraites des syndiqués qui défilent, faites-moi confiance !

Je suis aussi attentif aux couleurs qu’arborent les manifestants : il y a quelques « gilets jaunes » dans le tas, mais ils sont loin d’être majoritaires. Je surveille surtout les drapeaux et les banderoles, des fois que le RN ou quelque autre milice fasciste ne se serait pas immiscée pour phagocyter le mouvement, mais non, je ne vois rien de suspect, les seuls drapeaux politiques que je distingue sont ceux de La France Insoumise, de Génération(s), de Lutte Ouvrière et du Parti Communiste (oui, il parait que ça existe encore) : rien à dire, ceux-là sont dans leur rôle. Il faut dire qu’à Brest, l’extrême-droite n’est pas des plus audibles, j’imagine qu’il en va autrement dans d’autre villes… Encore que ? Ce mouvement qui dure depuis plus d’un mois et qui n’en finit pas de bloquer les transports, est-ce qu’il serait dans l’intérêt des fachos de le soutenir ? Pas sûr… J’avoue que c’est même ça qui me fait peur, maintenant : est-ce que la gène engendrée par ces grèves ne va pas pousser les Français à se tourner de plus belle vers des populistes qui prôneront l’ordre et l’autorité à tout crin ? Est-ce que le mouvement ne va pas dégoûter les gens des syndicats au point de les pousser à voter pour le premier candidat qui promettra une restriction voire une abolition du droit de grève, laquelle entraînera assez inéluctablement, comme dans un jeu de dominos, la chute de toutes les libertés individuelles ?

J’en étais là dans mes réflexions quand j’ai fini mon cornet de frites : rassasié, je sortis de l’établissement, traversant une rue déjà désertée par la manif pour gagner la bibliothèque et y compléter mon intervention, consacrée à l’un de mes écrivains préférés, ce penseur épris de liberté et d’humanisme qu’était Albert Camus… Pourquoi est-il parti si tôt ? Putain de bagnole…

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