Le journal du professeur Blequin (83)

Jeudi 23 avril

11h30 : Brève sortie pour acheter du pain et poster un paquet. Dans les rues, il y a ceux qui portent des masques et ceux qui roulent avec la fenêtre ouverte : les pessimistes et les optimistes, en somme ; les réalistes se bornent à respecter les consignes officielles. Il n’y a pas grand’ monde à la boulangerie et heureusement : la file serait retardée par l’inévitable pipelette qui croit encore pouvoir se permettre de papoter avec les vendeuses… Je sais que je ne devrais pas accabler ces gens-là qui doivent se faire chier dans leurs clapiers et n’ont plus que leurs courses pour pouvoir échanger avec un vrai humain vivant ; mais est-ce qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls sur Terre (au cas où ils ne le sauraient pas, le virus ne tue pas tout le monde) et que leur attitude ne facilite pas la vie des autre clients ? Le bureau de poste est toujours fermé, j’ai bien fait de racheter des timbres en ligne, mais j’avoue que j’avais pris cette précaution pour éviter une conversation avec les postières qui n’auraient pas manqué de me questionner au vu du caractère pour le moins rustique de mon paquet, que j’ai fait avec les moyens du bord faute de pouvoir acheter de nouvelles enveloppes… Décidément, pour prendre mon mal en patience, il me suffit de repenser aux gens : je suis tout de suite moins presse d’être déconfiné !

Vendredi 24 avril

14h30 : Nouvelle visite de ma mère qui m’offre de nouvelles mules : celles que j’avais étaient tellement usées qu’elle accrochaient toutes les saletés ; les neuves sont exactement à ma taille, comme si elles avaient été faites pour moi : j’ai subitement une pensée pour Raymond Calbuth, l’anti-héros créé par Tronchet qui ne sort presque jamais de son deux-pièces-cuisine et envisage la moindre péripétie du quotidien comme une aventure digne d’un roman de Jules Verne ; ses pantoufles sont donc pour lui bien plus que des vêtements d’intérieur pour les pieds mais sont carrément des véhicules, des compagnes de galère. Mine de rien, nous sommes comme lui, maintenant ! Quoique : demain, je vais chercher un colis, je vais donc probablement faire ma plus longue sortie depuis le début du confinement.

Comment voulez-vous que je sois pressé de retrouver des gens comme ça ?

Samedi 25 avril

10h : Je viens de faire ce que je n’avais plus fait depuis des semaines : franchir le boulevard de l’Europe. Je ne peux pas m’empêcher de trouver que nos rues gagnent à être laissées dans un abandon relatif : quel calme, quelle paix, quel silence ! Les poubelles à roues restent au garage, fini le cauchemar des embouteillages (tiens ça rime) et puis toutes ces fleurs qui ont poussé en liberté, qu’est-ce que c’est beau ! Quand je pense que que ces merveilles seront probablement ratiboisées dès la fin du confinement, ça me rend malade, mais d’un mal contre lequel on ne recherche pas de vaccin… Une fois mon colis retiré, je fais un détour au Super U pour acheter quelques bricoles : si on m’avait dit un jour que je pourrais faire des courses au supermarché un samedi matin en toute tranquillité, sans foule, sans bousculade ! J’ai fait toute la route à pied, ça ne m’aura pas pris beaucoup plus d’une heure en tout : je ne regrette pas le bus et sa cohorte de singes hurleurs… Vous voulez que je vous dise ? Nous ne sommes pas encore le 11 mai… Et je suis déjà nostalgique.

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